Exit Above, Anne Teresa de Keersmaeker, Festival d'Avignon ©Christophe Raynaud de Lage
©Christophe Raynaud de Lage

Exit Above : Par ici la sortie ! Go, go, go !

La création d’Anne Teresa de Keersmaeker, "Exit above, after the tempest", réenchante un Festival d’Avignon jusqu’ici plutôt gris-noir. Un mélancolique et joyeux joyau.

L’ange arrive. Il est la tempête annoncée dans le titre. Il est ce corps qui joue de la gravité, ce souffle qui bondit, étire le temps, rebondit au sol, et vole, vole, disparaît, renaîtra lorsqu’un voile transparent l’enveloppera. La voix de Walter Benjamin se fait entendre à travers son texte sur l’Angelus Novus de Paul Klee : « Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête ». Le voile de l’ange rappelle celui d’un autre ange, celui qui s’adresse à Matthieu dans le chef d’œuvre de Caravage à l’église Saint-Louis des Français à Rome. Un voile aveuglant et voluptueux, définition parfaite du vertige et de la chute, qui enroule et déroule le corps devenu paradoxe, tant la tension perçue joue avec la détente, le release nécessaire pour que la danse mène la danse. C’est un solo si magnifique que l’on pourrait s’arrêter là. Mais heureusement, ce n’est pas le cas. Car la musique, les chansons, la voix et les paroles de Meskerem Mees, petite silhouette parmi les danseurs, prennent possession de l’espace qui unit dans un même mouvement la salle et la scène. Sa voix angélique, douce et profonde, nous dit le monde — écouter Walkin’song : « Pose ton pied gauche devant ton pied droit, viens, avance… »

Marcher, danser
Exit Above, Anne Teresa de Keersmaeker, Festival d'Avignon ©Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Alors ça avance et ça marche. Ça marche même très bien. Anne Teresa de Keersmaeker explique que « la danse sert à organiser les mouvements dans l’espace sur un axe vertical et un axe horizontal et en ce sens, la marche est une danse possible. » Oui, ça danse. Ça trace dans les airs et ailleurs, dans nos mémoires. Ces jeunes danseurs qui travaillent désormais avec la chorégraphe sont formidables. Et avec eux, sa danse retrouve ici un élan fondamental : ce groupe qui va, vient, dessine des trajectoires, qui coupe les lignes comme on coupe la parole, qui joue de la proximité, du frôlage comme de l’espace étiré, crée une dynamique qui sonne en nous spectateurs, comme essentielle. Tout d’un coup, on est là avec eux, un ensemble, peu importe le reste. Les gestes, ils nous les donnent, le visage farouche ou rigolard, aucun corps pareil, toute flexion différente des autres, ce savoir du sol et de l’air, le délié d’un bras, le dessin d’une jambe, la grâce d’un saut léger ou d’un tournoiement sur la nuque, sur les mains, sur la tête, sur le toit du monde. Pose, attitude, et hop et hip et vogue…

Nous, pauvres assis, on veut bouger aussi. Les doigts frémissent, la tête balance, rien ne résiste à la musique qui s’insinue, guide et excite. L’envie de marquer les temps, d’écouter. La voix de Meskerem Mees, la guitare électrique de Jean-Marie Aerts, et ces danseurs-là qui n’en finissent plus de couvrir le large périmètre de la surface de l’air et de l’imaginaire, tout cela nous balance dans des flots de flux : oublié le moment de creux du début (juste après la tempête), le rythme avait marqué le pas, comme si la danse s’était cherchée. Alors voilà, elle s’est trouvée et nous a trouvés, à tel point qu’à la presque fin, le public ne tenait plus et a éclaté en applaudissements et eux les performeurs, mine grave, nous ont ramenés au présent et ont continué à danser, rondes, lignes, pas après pas. Lorsque la « vraie » fin est arrivée, tout le monde s’est levé et a crié de joie. De joie, oui, c’est rare. Comme on aurait aimé voir cette merveille dans la cour des Palais des Papes, là où l’air est libre même si on sait bien, comme nous l’annonce Exit above…, que la tempête, nous la vivons déjà. 

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Avignon

Le prochain spectacle d’Anne Teresa de Keersmaeker au Festival d’Avignon, En Atendant, reprise d’une de ses pièces, est à voir au cloître des Célestins du 14 au 25 juillet. 

EXIT ABOVE, after the tempest d’Anne Teresa De Keersmaeker, Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts
et Carlos Garbin

Festival d’Avignon – La FabricA
11 rue Paul Achard, 84000 Avignon

Du 6 au 13 juillet 2023
Durée 1h30

Tournée
18 et 19 août 2023 Haus der Berliner Festspiele, Tanz im August (Allemagne)
25, 26 et 27 août 2023 Dansens Hus (Norvège)
30 et 31 août 2023 Danses Hus Elverket (Suède)
10 et 11 septembre 2023 Auditorium Parco della Musica Ennio Morricone, Romaeuropa Festival (Italie)
14, 15 et 16 septembre 2023 ITA (Pays-Bas)
20, 21 et 22 septembre 2023 Opéra de Lyon, La Biennale de Lyon
3 octobre 2023 Scène nationale Carré-Colonnes Bordeaux-Métropole
8 octobre 2023 Teatro Municipale Valli, I Teatri di Reggio Emilia, Festival Aperto (Italie)
12 octobre 2023 Theater im Pfalzbau (Allemagne)
Du 25 au 31 octobre Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, Festival d’Automne à Paris
7 novembre 2023 Tanzhaus NRW (Allemagne)
10 novembre 2023 De Werf (Belgique)
24, 25 et 26 novembre 2023 Opera Gent, Viernulvier (Belgique)
Du 29 novembre au 2 décembre 2023 De Singel (Belgique)
27 février 2024 CC Hasselt (Belgique)
6 mars 2024 Theater Rotterdam (Pays-Bas)
15 mars 2024 Le Cratère Scène nationale d’Alès
19 mars 2024 Scène nationale d’Albi
22 et 23 mars 2024 Le Parvis Scène nationale de Tarbes
26 mars 2024 Scène nationale Grand Narbonne
5 et 6 avril 2024 Opéra de Lille
26 et 27 avril 2024 Teatro Central de Sevilla (Espagne)
19 mai 2024 Teatro del Canal de Madrid (Espagne)
12 et 13 novembre 2024 Sadlers Wells (Royaume-Uni)

Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Musique Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts, Carlos Garbin
Scénographie Michel François
Lumière Max Adams
Costumes Aouatif Boulaich
Texte et paroles Meskerem Mees, Wannes Gyselinck
Texte d’ouverture Über den Begriff der Geschichte, Thèse IX, de Walter Benjamin
Dramaturgie Wannes Gyselinck
Direction des répétitions Cynthia Loemij, Clinton Stringer
Coordination artistique Anne Van Aerschot
Assistanat à la direction artistique Martine Lange
Administration de tournée Bert De Bock
Direction technique Freek Boey
Assistanat à la direction technique Jonathan Maes
Régie plateau Jonathan Maes, Quentin Maes, Thibault Rottiers
Régie son Alex Fostier
Direction costumes Emma Zune assistée de Els Van Buggenhout
Habillage Els Van Buggenhout
Couture Chiara Mazzarolo, Martha Verleyen

Créé avec et dansé par Abigail Aleksander, Jean-Pierre Buré, Lav Crnčević, José Paulo Dos Santos, Rafa Galdino, Nina Godderis, Solal Mariotte, Mariana Miranda, Ariadna Navarrete Valverde, Cintia Sebők, Jacob Storer et Carlos Garbin, Meskerem Mees (musique)

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