ECRIRE SA VIE Texte d'apres l'œuvre de Virginia Woolf, Adaptation et mise en scene Pauline Bayle, Scenographie Pauline Bayle, Fanny Laplane, Lumiere Claire Gondrexon, Costumes Petronille Salome, Musique Julien Lemonnier, Son Olivier Renet, Assistanat a la mise en scene Isabelle Antoine. Avec Helene Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loic Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesseles.

Écrire sa vie de Pauline Bayle : l’âme et les vagues

Événement attendu du Festival d'Avignon, l'adaptation théâtrale des "Vagues" et d'autres textes de Virginia Woolf par Pauline Bayle s'avère imparfaite, mais finit par trouver sa voie vers la pensée de l'écrivaine.

Événement attendu du Festival d’Avignon, l’adaptation théâtrale des Vagues et d’autres textes de Virginia Woolf par Pauline Bayle s’avère imparfaite, mais finit par trouver sa voie vers la pensée de l’écrivaine.

© Christophe Raynaud de Lage

Les Vagues ont failli se nommer Moments of being. Ce fut finalement le titre d’un recueil de cinq textes dont la publication n’a eu lieu qu’après le suicide de leur autrice à l’âge de cinquante-neuf ans. Dans nos esprits, la mise en scène de ces instants de vie, comme on les a traduits, pouvait appeler au premier abord une artiste comme Julie Deliquet, qui sait rendre au théâtre la texture du temps qui passe, celle que le cinéma, ontologiquement, a plus aisément tendance à capter. Sans doute plus que Pauline Bayle, plutôt attachée aux épopées du XIXe siècle (Les Illusions perdues) ou de l’antiquité (L’Iliade et L’Odyssée).

On ne doutait cependant pas que la délicatesse du travail de la jeune directrice du TPM, son intelligence de la scène et son attention aimante au texte puissent faire de cette incursion dans l’écriture si particulière de Virginia Woolf une réussite. Bayle hérite donc d’une autre des cours les plus emblématiques d’Avignon, le cloître des Carmes, pour y déployer Écrire sa vie, montage du texte poétique de 1931 et d’autres écrits autobiographique de l’Anglaise.

Nouveau territoire

Il faut un sol à Pauline Bayle pour ancrer les présences au plateau, même si les comédiens amarrés à ce terrain ont pour vocation paradoxale d’ensuite s’y élever, prendre la tangente, s’inventer des envolées ou dessiner des lignes de fuite. Celui du cloître est donc couvert de graviers blancs dont on se demande s’ils ne contraignent pas les comédiens à pousser un peu le volume. Un rectangle blanc, avec des gradins des deux côtés. Il le faut aussi pour circonscrire les flux d’affects et de perceptions qui s’entrelacent sous la plume de Virginia Woolf, pour leur donner un cadre. À l’intérieur, ensuite, ça jaillit, ça circule, ça foudroie et ça tremble ; les six amis se racontent enfants, tombent amoureux adultes et font face à la mort, comme une vie passée en accéléré ; ils se répondent parfois, souvent non, voix chorales d’une subjectivité qui a fait tomber les barrières avec son dehors, à tel point qu’on ne sait bientôt plus qui est qui, qui fait quoi.

Le discours d’apparence bourgeoise, introspectif et ultra-sensible, n’est pas facile à assumer dans une époque tournant plein pot au régime ironique. C’est une chose de l’écrire — Woolf le faisait avec une rythmique, une précision formelle —, c’est autre chose de le dire à voix haute, de l’extirper de l’abstraction littéraire pour aller l’agencer dans le concret de la scène. Alors, dans le théâtre d’épure de Bayle ainsi redoublé par la contingence de cette fête qui ne saurait commencer, chaque élément prend une importance cruciale : le banquet qui y est posé, élément antique pour une garden party début XXe, les ballons qui finissent par décorer celle-ci, eux trop pop pour parvenir à épouser la logique esthétique à l’œuvre ; le punch que, dans cette réalité à fleur de peau, l’on ne peut supporter de boire ; les très belles lumières de Claire Gondrexon et le son d’Olivier Renet, qui font beaucoup pour soutenir et alimenter cette dramaturgie.

La légèreté et la pesanteur

Les talentueux Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam et Charlotte Van Bervesselès deviennent, là-dedans, les porte-voix du stream of consciousness de Virginia Woolf. Leur interprétation chorale mérite encore de s’affiner. En outre, peut-être parce qu’il achoppe à penser en termes théâtraux la modernité littéraire inventée par l’autrice (même si la pensée démocratique à l’œuvre dans le roman woolfien, celle dont parle Jacques Rancière, partage déjà une substance avec l’écriture scénique de Bayle), Écrire sa vie aura besoin d’une relance dramatique pour renouveler ses enjeux. Alors la pièce se leste d’un poids nouveau, à l’envers de la légèreté arborée de prime abord. Elle retrace les liens qui unissent une angoisse globale inexhaustible de siècle en siècle aux tourments intimes de celle qui, dix ans plus tard, mettra fin à ses jours en se jetant dans l’Ouse. Et l’on peut voir là, à travers les scories et les imperfections, un hommage remarquable au pari que l’écrivaine et essayiste a formulé des années durant : plonger à l’intérieur de soi, écrire sa vie, c’est, profondément, écrire le monde.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Écrire sa vie d’après Virginia Woolf
Théâtre Public de Montreuil
Salle Jean-Pierre Vernant,
10 place Jean-Jaurès
93100 Montreuil.
Du 26 septembre au 21 octobre 2023.
Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h.
Durée 2h

Tournée 2023-2024
20 et 21 novembre 2023 Le Parvis Scène nationale Tarbes-Pyrénées
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8 et 9 décembre 2023 Châteauvallon-Liberté Scène nationale de Toulon
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14 et 15 décembre 2023 TCC Théâtre Châtillon Clamart
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13, 14, 15 et 16 février 2024 Théâtre Dijon Bourgogne Centre dramatique national
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5, 6, 7 et 8 mars 2024 Théâtre de la Croix-Rousse-Lyon
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Festival d’Avignon
Cloître des Carmes
Places des Carmes, 84000 Avignon

Du 8 au 16 juillet 2023 à 22h

Texte d’après l’oeuvre de Virginia Woolf.
Adaptation et mise en scène Pauline Bayle.

Avec Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès
Scénographie de Pauline Bayle, Fanny Laplane.
Lumière de Claire Gondrexon.
Costumes de Pétronille Salomé.
Musique de Julien Lemonnier.
Son d’Olivier Renet.
Assistanat à la mise en scène Isabelle Antoine
Accessoires d’Éric Blanchard
Regard extérieur chorégraphie Madeleine Fournier
Construction des décors Éclectik Scéno
Régie générale et lumière Renaud Lagier, Antoine Seigneur-Guerrini
Régie son Tom Vanacker
Régie plateau Lucas Frankias
Assistanat aux costumes Nathalie Saulnier

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