Au festival d’Avignon, l’autrice et metteuse en scène bretonne fait entendre la parole de ceux qui ne l’ont pas, qu’ils soient migrants ou héros du quotidien. Partant de la séance publique du Tribunal permanent des peuples à laquelle elle a assisté et qui aboutissait en 2018 à l’émission d’un acte d’accusation par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) qui met l’Europe face aux violations des droits des personnes migrantes et réfugiées perpétrés sur son sol mais aussi ailleurs, Patricia Allio tente de réveiller les consciences des spectateurs, de les mettre face à une sordide réalité trop souvent occultée.
Clairement, bien que nous soyons mal installés à même le sol sur des tatamis bleus, les paroles dites et les termes juridiques clairement exposés sont nécessaires et essentiels à entendre. On ne peut que se révolter par autant de violences commises, de droits bafoués. Mais le quatrième mur brisé et la présence au plateau du public ne suffissent pas à faire théâtre. Le geste artistique est pourtant indéniable. Patricia a du talent, on peut le voir dans la manière qu’elle a de transformer la salle en agora une esquisse de théâtralité. La façon de gérer l’espace est intelligence et permet à l’artiste de déployer son schéma de pensée qui, aux termes des deux heures trente, aura forcément modifié notre vision de la migration et notre regard sur les migrants. Mais malheureusement, cela ne suffit pas. Les témoignages sont touchants, poignant, notamment celui enregistré du journaliste Mortaza Behboudi*, aux mains des talibans et toujours emprisonné à Kaboul, les dix chefs d’accusation particulièrement graves.
Rien n’y fait, malgré tout l’intérêt du spectacle, l’esprit vagabonde vers d’autres pièces qui traitaient de la même thématique et qui nous reviennent en mémoire. On pense à Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu du Nimis groupe ou Crocodiles d’après Dans la mer il y a des crocodiles de Fabio Geda vu au 11·Avignon en 2019. On aurait tellement souhaité aimer Dispak Dispac’h — qui signifie en breton ouvert et révolte — tant ce qu’il dit, ce qu’il met en lumière ne peut que nous toucher, nous bouleverser. Le rendez-vous est manqué, dommage !
*Une pétition de Reporters sans frontières est en ligne pour obtenir la libération de Mortaza Behboudi.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Dispak Dispac’h de Patricia Allio
Festival d’Avignon
Gymnase du Lycée Mistral
20 boulevard Raspail
84000 Avignon
Jusqu’au 20 juillet 2023
Durée 2h30
Tournée
le 4 et 5 octobre 2023 à La Criée Théâtre national de Marseille, dans le cadre du Festival Actoral
du 21 au 31 mars 2024 au Théâtre Silvia Monfort (Paris)
du 9 au 13 avril 2024 au Théâtre national de Bretagne (Rennes), dans le cadre du Festival Mythos
les 17 et 18 avril 2024 à la Comédie de Caen – Centre dramatique national
du 23 au 25 mai 2024 à la Comédie de Valence – Centre dramatique national Drôme-Ardèche
les 30 et 31 mai 2024 à La Passerelle Scène nationale de Saint-Brieuc en partenariat avec le Théâtre du Champ au Roy de Guingamp
Mise en scène de Patricia Allio assistée d’Emmanuel·le Linée
Texte de Patricia Allio, GISTI, Élise Marie et extraits de The left to die boat de Forensic Architecture
Avec Patricia Allio, Gaël Manzi, Élise Marie, Bernardo Montet, Stéphane Ravacley, Marie-Christine Vergiat, David Yambio
Scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy avec les Bancs d’utopie de Francis Cape
Lumière d’Emmanuel Valette
Musique de Léonie Pernet
Son de Maël Contentin
Costumes de Laure Mahéo
Graphisme de H·Alix Sanyas
Régie générale – Anthony Merlaud
Régie son - Maël Contentin