Comment résumeriez-vous votre spectacle ?
David Geselson : Il s’agit d’un groupe de chercheurs qui travaillent sur l’ADN ancien pour comprendre les origines de l’homme. Tout en rêvant de changer le monde, ces hommes et femmes vont s’aimer, se déchirer, vivre des histoires d’amour. Cette histoire m’a été inspirée par les vies de plusieurs figures de scientifiques, dont celles de Svante Pääbo, Rosalind Franklin et Craig Venter, entre autres.
Qu’a découvert Svante Pääbo ?
David Geselson : Quand on lit ses recherches des années 90, on découvre qu’avec l’ADN, on fait de la géopolitique ! Parce qu’on peut tracer les origines géographiques, on peut dire que telle population était présente à tel moment. La science est un outil dont peuvent se servir les décideurs politiques, à bon ou mauvais escient. Les recherches de certains paléoanthropologues au début du XXe siècle ont par exemple été utilisées pour alimenter des théories sociales et racistes et ont appuyé l’idée fausse de l’existence de différentes races au sein de l’espèce Homo Sapiens, ce qui est évidemment totalement faux.
Qu’entendez-vous par « faire de la géopolitique » ?
David Geselson : L’ADN permet de faire une cartographie de l’histoire migratoire d’un individu ou d’une population et révèle que nous avons tous une origine commune, l’Afrique, que nous sommes tous des migrants. C’est le travail sur les molécules en laboratoire qui l’a prouvé. Mais si l’ADN montre que l’Afrique est notre territoire d’origine, cela ne signifie pas que l’Afrique nous appartienne. Quand Svante Pääbo commence à travailler sur Neandertal dans les années 90, le monde vit dans une période de conflits épouvantables : par exemple, le conflit israélo-palestinien qui explose avec la première intifada, la première guerre du Golfe ou encore le conflit en ex-Yougoslavie. À chaque fois se pose la question : à qui appartient le territoire ?
Qu’est-ce qui vous a mené à l’histoire de Svante Pääbo ?
David Geselson : Cela s’est fait en deux temps. D’abord en 2018 par l’émission Sur les épaules de Darwin de Jean-Claude Ameisen où il racontait l’histoire de cet homme. Il la poétisait de manière tellement magnifique que je m’y suis intéressé, alors que la biologie n’est pas du tout un domaine qui me passionne. Ce qu’Ameisen m’a permis de comprendre, c’est que très concrètement notre passé était en permanence dans notre présent, qu’il suffisait de trouver la bonne loupe pour lire notre passé et ainsi préparer notre avenir. Ensuite, j’ai découvert le livre de Svante Pääbo, Neandertal, à la recherche des génomes perdus, écrit comme un roman policier. Pour étudier le séquençage de Néandertal, Svante Pääbo se rend en ex-Yougoslavie, sur les ruines de la guerre fratricide serbo-croate : il ne s’intéresse pas du tout aux charniers mais aux grottes où se trouvent les os de Néandertal depuis 42 000 ans. Et ses recherches lui apportent la preuve que Sapiens et Néandertal se sont croisés au Moyen-Orient. Ce sont deux espèces distinctes, mais à un moment donné, elles ont été inter-fécondes. Une centaine d’unions seulement, mais c’est grâce à elles que nous avons entre 2 et 5% de gènes qui proviennent de Néandertal. Il a pu démontrer que toutes les populations ont toujours été mélangées, y compris les espèces humaines. Nous sommes ce que nous sommes parce qu’il y a eu une longue succession de mélanges, et que l’idée de pureté n’existe pas.
Comment avez-vous procédé pour créer l’histoire à partir de la sienne et l’autre, l’histoire avec un grand H?
David Geselson : Je me suis servi des histoires que Svante Pääbo a vécues, racontées dans son livre. Elles forment des arcs narratifs. Par exemple, il est obsédé par l’idée de trouver les « parents originels », ceux d’Adam et Ève, et j’apprends que lui a été abandonné par son père, prix Nobel de Chimie, à sa naissance. Il fallait faire quelque chose de cette « coïncidence ». De l’histoire d’amour avec l’épouse d’un autre scientifique, un ami dont il sera extrêmement proche, il ne disait presque rien, trois lignes à peine que j’ai développées et mélangées à la vie d’autres scientifiques, comme celle de Rosalind Franklin, la co-découvreuse de la structure moléculaire de l’ADN. Elle en a fourni les premiers clichés… mais c’est une oubliée de l’Histoire car dans les années 50, le prix Nobel a été attribué aux hommes seulement : James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins. Une partie de la famille de Rosalind était en Palestine pendant le mandat britannique, je me suis dit qu’il fallait mettre en scène une femme juive en crise avec les questions de lieu. Quel est le lieu où elle peut vivre ? son obsession était de prouver à sa propre famille qu’il était impossible d’occuper la Palestine sous prétexte qu’il fallait une terre aux Juifs même s’ils étaient chassés de partout. Et quand j’ai découvert que c’était au Moyen-Orient que les Sapiens et Néandertal s’étaient mélangés, j’ai voulu en faire quelque chose dans notre fiction.
Vous avez gardé les noms ?
David Geselson : Non, j’ai tout changé.
Comment avez-vous acquis le savoir scientifique nécessaire pour écrire ce spectacle ?
David Geselson : Nous avons suivi des cours de paléo-génétique pendant deux ans au musée de l’Homme, sous la direction d’Evelyne Heyer, la commissaire scientifique du laboratoire de recherches du musée de l’Homme et du Museum d’Histoire naturelle qui souhaitait collaborer au projet. L’ingénieure Sophie Lafosse nous a formés dans des laboratoires. C’était très important pour l’équipe de cette institution car leur souhait est de médiatiser la science. On a manipulé de l’ADN, on a réalisé des séquençages. Et j’ai pu écrire des scènes inspirées de nos cours.
Comment écrivez-vous ?
David Geselson : Il y a ce que j’écris avant, amené par mes propositions et ce que j’écris après les improvisations des acteurs. J’aime jouer avec la frontière entre ce qui semble improvisé et ce qui semble écrit. Les premières répétitions datent de 2020.
Où en êtes-vous du spectacle maintenant ?
David Geselson : À quelques jours de la première, j’ai réagencé la première partie. Mais c’est toujours comme ça : pour Doreen, on a trouvé la fin la veille de la première, pour En route- Kaddish c’était le matin même. C’était facile, nous étions deux ; là, c’est la première fois que nous sommes autant et que je joue aussi. C’est le challenge le plus excitant qu’on ait eu à vivre jusque-là !
Vous étiez déjà passionné par l’ADN ?
David Geselson : Pas du tout, ça ne m’intéressait pas. Mais quand j’ai découvert qu’on peut lire dans l’ADN comme dans un bouquin pas encore déchiffré — c’est une sorte de Pierre de Rosette — j’ai été conquis. Il faut interpréter ce qu’on lit comme dans le Talmud…
Vous pensez que Néandertal va surprendre ?
David Geselson : J’espère !
Vous étiez un grand fan d’Avignon déjà avant d’avoir des spectacles dans le Festival ?
David Geselson : Il y a dix ans, je cherchais du travail comme acteur et je venais à Avignon voir des spectacles. Finalement, je me suis retrouvé sur la scène de la cour du Palais de Papes dans La Cerisaie mise en scène par Tiago Rodrigues l’an dernier ! En 2013, Géraldine Chaillou, alors co-directrice de la programmation au Théâtre de la Bastille m’a proposé de présenter En route-Kaddish et grâce à elle, c’est dans le même théâtre que j’ai rencontré Tiago Rodrigues. « Un jeune metteur en scène portugais occupera le théâtre dans deux ans pendant trois mois et il veut remonter Bovary, un texte qu’il a monté avec ses acteurs au Portugal, ça t’intéresse ? » La relation d’amitié et de travail avec Tiago date de là. Il m’a alors proposé d’être dans sa première édition s’il était nommé le directeur du Festival. Je préparais déjà Neandertal. Et voilà… j’ai beaucoup de chance.
Propos recueillis par Brigitte Hernandez
Neandertal de David Geselson
Festival d’Avignon
L’autre scène du Grand Avignon-Vedène
les 6,7,8, 10,11, 12 juillet, à 15h
durée 2h30
Tournée
Du 28 novembre au 2 décembre 2023 au Théâtre Dijon Bourgogne Centre dramatique national
Le 22 février 2024 au Canal théâtre du pays de Redon Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour le Théâtre
Du 28 février au 11 mars 2024 au Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis
Du 15 au 17 mars 2024 au Théâtre-Sénart Scène nationale (Lieusaint)
le 21 mars 2024 au Gallia Théâtre Scène conventionnée d’intérêt national art et création de Saintes
le 4 avril 2024 au Théâtre de Choisy-le-Roi Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité́ linguistique
Du 10 au 12 avril 2024 à La Comédie – Centre dramatique national de Reims
Du 22 au 26 mai 2024 à la Comédie de Genève
Le 30 mai 2024 au Théâtre de Lorient Centre dramatique national
Texte et mise en scène David Geselson – Compagnie Lieux-Dits
En français, surtitré en anglais
Avec David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Dirk Roofthooft et Jérémie Arcache (violoncelle), Marine Dillard (dessins)
CAFÉ DES IDÉES avec David Geselson
• La matinale le 6 juillet à 10h30
• Dialogue artistes-public avec les Ceméa le 9 juillet à 12h
• 10 es Rencontres Recherche et Création – La fabrique des sociétés
– Raconter les origines avec l’ANR le 10 juillet à 9h30
• Bienvenue au Club avec France Culture le 14 juillet à 12h45
LES DOUZE HEURES DES AUTEURS AVEC ARTCENA
• Contxeto, lectures d’extraits en langue anglaise de textes et rencontre avec David Geselson le 12 juillet à 12h