Le point de départ du spectacle est à peu près le même sur la scène que dans la vraie vie : un soir de première, Thibaud Houdinière, producteur et directeur de théâtre, évoque son grand-père, Charles Gentes, auprès de l’auteur et metteur en scène Éric Bu. Un chanteur qui a eu sa petite heure de gloire dans les années 1950. « J’ai toujours pensé que ça ferait un bon point de départ pour un spectacle musical… L’après-guerre, l’émergence des talents de l’époque aux Trois baudets et chez Patachon ; Aznavour, Ferré, Brassens… » Et ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd !
Une belle connivence
Un auteur en mal d’inspiration est convoqué par un producteur. C’est la panique, car il n’a rien à proposer. Il sèche complètement ! Ce passage permet à Bu un très beau passage sur ce qu’est la création, ou comment une idée permet de dérouler le fil d’une histoire. Marc Citti est absolument génial dans ce personnage. Comme dans le film de Max Ophüls, La Ronde, tirée de la pièce de Schnitzler, il est le meneur de jeu qui va dérouler toute une suite de tableaux, apparaissant et disparaissant comme par magie.
Cela fonctionne à merveille, car il a face à lui un binôme : Guillaume, le producteur. Ce dernier redécouvre à travers le prisme de l’auteur l’histoire de sa famille. Ils forment un duo comme Dom Juan et son Sganarelle, comme Laurel et son Hardy, et leurs échanges sont captivants. Benjamin Egner est plus que formidable dans ce personnage de clown blanc souvent dépassé par les événements narratifs de son auguste auteur. Le comédien est tout à son aise autant dans les parties jouées que chantées et dansées. Avec ses vrai-faux airs de Montand, il nous fait craquer.
Tout tourne autour de ce grand-père tant haï, ce fameux chanteur qui a enchanté les cœurs de bien nombre de donzelles. Pour son petit-fils, il n’est qu’un rabat-joie qui aime l’ordre, que ça file droit. Mais comment est-il devenu cet homme au cœur de pierre ? Grégory Benchenafi l’incarne avec une grande finesse. Il y a Brigitte, sa fille et la mère de Guillaume, qui a longtemps coupé les ponts avec son géniteur. Élodie Menant est parfaite dans cette incarnation de cette femme douce et tendre. Puis, il y a la grand-mère, énigmatique. On ne dira rien de plus sur elle, pour vous laisser le plaisir de la découvrir. On est tombé sous le charme de Sandrine Seubille. Charlie Fargialla interprète l’arrière-grand-père Alfred, l’égyptien au grand cœur. De 1931 à nos jours, cette petite saga familiale raconte une page de notre histoire nationale.
Un musical dynamique
Ces comédiennes et comédiens maîtrisent le chant et la danse à merveille. Chorégraphiés par Florentine Houdinière, les ensembles dansés sont excellents. Les plus simples nous donnent presque envie de nous joindre à eux. Quant aux chansons tirées du répertoire, elles nous atteignent au plus profond de notre mémoire. Tous sont accompagnés par le pianiste Stéphane Isidore, à qui l’on doit la création des musiques et des couplets originaux. Éric Bu n’en est pas à sa première expérience. Son spectacle, Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, co-signé avec Élodie Menant, nous avait enchantés. Il a parfaitement intégré au récit ces grands airs qui continuent à traverser les époques.
Comme pour Dolto – Lorsque Françoise paraît et Le retour de Richard de Richard 3 par le train de 9h24, sa mise en scène est une sorte de feu d’artifice de trouvailles, de poésie et d’humour. Comme on a aimé ces vestes jetées depuis la coulisse et qui atterrissent dans les mains des artistes qui se changent à vue ! Un gag visuel très efficace. Il y a beaucoup de rythme entre chaque scène, inscrivant très aisément les changements d’époque et de lieu.
La scénographie de Marie Hervé, les lumières de Cécile Trulleyer, les costumes de Virginie H, sans oublier la création des maquillages, perruques et postiches d’Emmanuelle Verani, tout contribue à donner à ce spectacle une belle atmosphère. Au final, une boule d’émotion nous étreint la gorge. La raison en est simple : cette belle histoire de réconciliation avec son passé nous ramène à notre propre vécu. Je ne devais pas être la seule, car les spectateurs se sont levés d’un bond pour leur crier : bravo !
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon
La voix d’or, spectacle musical d’Eric Bu, écrit avec Thibaud Houdinière.
Théâtre Actuel La Bruyère
5 rue La Bruyère
75009 Paris
Du 30 août au 30 décembre 2024
Durée 1h25.
Festival Off Avignon
Théâtre Actuel Avignon
80 rue Guillaume Puy
84000 Avignon.
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 11h45, relâche les 3, 10 et 17 juillet.
Spectacle créé en juillet 2023 au Festival Off Avignon – Théâtre Actuel
Mise en scène d’Eric Bu.
Avec Sandrine Seubille, Élodie Menant, Grégory Benchenafi, Marc Citti ou Stéphane Giletta, Benjamin Egner, Charlie Fargialla, Stéphane Isidore (pianiste).
Musiques et chansons originales composées par Stéphane Isidore.
Scénographie de Marie Hervé.
Costumes de Virginie Houdinière.
Lumières de Cécile Trelluyer.
Chorégraphie de Florentine Houdinière.
Création maquillage, perruques et postiches d’Emmanuelle Verani.
Assistante mise en scène Sophie Bouteiller.
Merci j’irai voir en septembre,grâce à vote critique.