Cabaret du futur, rêverie baroque, A Revue de Benjamin Abel Meirhaeghe propose quelques gestes saisissants dans un court-circuitage historique trop inégal.
©Fred De Brock
Quand on sait que Benjamin Abel Meirhaeghe avait performé en ouverture de la fashion week de Berlin il y a deux ans, on ne s’étonne pas, lorsqu’on entre dans la grande halle de la Villette pour ce spectacle de 2020, de s’asseoir tout au long d’un plateau bifrontal quasiment transformé en catwalk. D’ailleurs, A Revue fait valoir une esthétique très mode, d’autant que le chorégraphe, en enfant du siècle, piétine allègrement les barrières qui délimitent les disciplines comme les genres.
Il ne faut pas non plus s’étonner que le chant grégorien croise des imprimés à la Glenn Martens, ou que des images de statues grecques, affichées en grand sur des panneaux en tissu, soient rehaussées de rouge à lèvres fluo très pop. Mais quiconque a déjà prêté une oreille à la musique électronique expérimentale contemporaine ou a déjà fait un tour dans l’univers de François Chaignaud connaît ces croisements et ces figures rétrofuturistes, où puiser dans des formes et des motifs antiques ou médiévaux permet de composer des utopies pour le présent. Chez le Flamand, le format perdu de la revue se fait aussi anachronique qu’actuel, venant à la rencontre d’attitudes performatives contemporaines et d’une esthétique moderniste du collage et du bootleg. Walter Benjamin est invoqué sur le papier.
Millefeuille
A Revue se déploie comme une suite baroque d’apparitions, de dévoilements mystifiants et de sorties de piste dans les vapes de machines à fumée. À la clé, quelques visions qui jaillissent comme l’inquiétant tintement métallique qui scande la revue, monstres affamés, chimères sexuelles et démons grotesques jaillissant du lointain. À l’intérieur de ce millefeuille, ce ne sont pas seulement Monteverdi, Mozart et Purcell qui discutent avec l’imaginaire actuel, mais, de là, tout un corpus librement constitué qui joint le dadaïsme et les Ballets suédois à l’esprit de la performance flamande des années 80. Cette inscription anime à l’intérieur de l’œuvre un esprit vibrant, preuve s’il en faut de la richesse inépuisée des avant-gardes du XXe siècle.
Mais s’il parvient à faire naître ces idées, A Revue ne les honore pas tout du long, et souffre de profonds déséquilibres dans son programme, notamment dans sa part chorégraphique (beaucoup plus que sur le travail musical, étonnant et beau, signé par les dramaturges Katherina Lindekens et Lena Meyskens avec le concours des musiciens Laurens Mariën et Jasper Segers). Lorsqu’il n’est plus virtuose, ce grand cabaret du futur se décompose et menace de virer à l’informe, à la déclaration inaboutie d’intentions stylistiques. Il en revient aussi à des propositions moins singulières, plus convenues. C’est dommage, mais on n’a pas rêvé : les quelques coups d’éclat dont on a été témoin pendant cette revue du futur méritent que l’on se penche encore, à l’avenir, sur le cas Meirhaeghe.
Samuel Gleyze-Esteban
A Revue de Benjamin Abel Meirhaeghe
Grande halle de la Villette
211 Av. Jean Jaurès, 75019 Paris
Du 28 au 30 juin 2023
Durée 1h35
Création et mise en scène Benjamin Abel Meirhaeghe
Avec Ellen Wils, Maribeth Diggle, Arnout Lems, Hanaka Hayakawa, Dolly Bing Bing, Simon Van Schuylenbergh, Jelle Haen, Bjorn Floreal, Sophia Rodriquez, Oriana Mangala, Adrien De Biasi, Eurudike De Beu, Lionel Couchard
Dramaturgie Louise van den Eede
Textes Louise van den Eede
Dramaturgie musicale Katherina Lindekens, Lena Meyskens
Son Laurens Mariën, Jasper Segers
Composition Laurens Mariën, Jasper Segers
Piano Maya Dhondt
Scénographie Bart van Merode, Julian Weber
Lumières Bart van Merode
Assistant scénographe Zaza Dupont
Artistes visuels Julian Weber, Sietske van Aerde, Daan Couzijn, Benjamin Abel Meirhaeghe
Costumes Benjamin Abel Meirhaeghe, Julian Weber, Sietske van Aerde
Maquillage Jelle Haen
