Photo de répétition d'Écrire sa vie de Pauline Bayle © Nicolas Martinez

Un après-midi avec Pauline Bayle et Virginia Woolf

Avant Avignon, au Théâtre Public de Montreuil, Pauline Bayle répète Écrire sa vie, une adaptation libre des œuvres de Virginia Woolf.

Photo de répétition d'Écrire sa vie de Pauline Bayle © Nicolas Martinez

Au Théâtre Public de Montreuil, dont elle est la directrice depuis janvier 2022, la metteuse en scène répète avec sa troupe sa prochaine création, Écrire sa vie, une adaptation libre des Vagues et d’autres récits autobiographiques de Virginia Woolf. Avant de partir pour la Comédie de Béthune et, en juillet, les Carmes d’Avignon, Pauline Bayle a accepté que l’on suive un moment de son processus créatif.

© Nicolas Martinez

Le soleil brille dans le ciel de Paname et ses alentours. À Montreuil, place Jean-Jaurès, sur le parvis du Théâtre, en ce milieu d’après-midi de juin, les terrasses sont prises d’assaut. Le brouhaha des conversations bourdonne aux oreilles et donne au quartier des airs d’été. Quand on pénètre dans le hall du CDN, l’ambiance est toute autre. Un silence ouaté règne. Le lieu semble déserté, vidé de ses employés. Toute la vie du bâtiment a reflué dans la grande salle. Entourée d’une troupe d’une quinzaine de personnes, Pauline Bayle donne ses dernières consignes, revoit un détail, un enchaînement, avant le prochain filage. C’est la dernière ligne droite avant Béthune, le 20 juin, et Avignon, le 8 juillet. Le décor est planté, les essais lumière sont en cours, il ne reste plus qu’à apprivoiser l’ensemble.

Au cœur du plateau
Photo de répétition d'Écrire sa vie de Pauline Bayle © Nicolas Martinez
Photo de répétition d’Écrire sa vie de Pauline Bayle © Nicolas Martinez

Des pointes de rouge, le blanc d’une nappe, le sombre de quelques objets posés çà et là sont les principales touches de couleurs qui dominent l’espace scénique. L’ensemble est assez sobre. On devine qu’une fête va avoir lieu, que des amis d’enfance vont se retrouver, évoquer leurs souvenirs, parler sans doute de leurs vies, de leurs angoisses vis-à-vis monde qui les entoure. Ils sont six au plateau, et autant dans la salle. Tous sont des fidèles de la metteuse en scène. Il y a bien sûr Jenna Thiam — formidable Rubempré dans Les Illusions perdues, que Bayle créait en 2019 —, Hélène ChevallierGuillaume CompianoViktoria KozlovaLoïc Renard et Charlotte Van Bervesselès, mais aussi son assistante Isabelle Antoine, sa scénographe Fanny Laplane, sa costumière Pétronille Salomé et, au son, Julien Lemonnier. « C’est hyper important pour moi de travailler avec eux, confie Pauline Bayle, car cela donne du sens à tout ce que nous entreprenons depuis plusieurs années, tel un collectif, une famille théâtrale. Entre nous, il y a une osmose, une confiance totale. Nous grandissons, évoluons et apprenons ensemble. Dans ma manière d’aborder le théâtre, c’est essentiel autant que constitutif. »

Chacun, à sa place, attend le top de la metteuse en scène. Elle fait un dernier point avec la technique, prend son scénario et se glisse sur scène, s’installe confortablement en fond de scène, sur des gradins stylisés, éléments du décor. Un à un, les comédiens prennent la parole. Les propos échangés semblent anodins. Mais derrière cette banalité se dessine un autre récit directement emprunté aux Vagues de Virginia Woolf et de son journal intime, un pavé de plus de deux mille pages. « C’est une autrice, raconte-t-elle, qui me passionne et me captive depuis très longtemps. Je peux même dire qu’au fil de mes lectures, elle est devenue capitale, une sorte de compagnonne de vie. J’avais depuis longtemps envie de m’y confronter, mais je ne trouvais pas forcément la manière de l’aborder. L’occasion m’a été donnée en mars 2020 de travailler les Vagues, lors d’un stage avec les élèves de l’École du Nord. Cela a été le déclencheur. Il y a de ce roman d’apprentissage constitué de six monologues, matière à faire théâtre. Puis le confinement nous a tous mis à l’arrêt. Cela a été pour moi l’occasion de réfléchir, de me replonger dans ces écrits – romans, essais, etc. – et de découvrir à quel point sa pensée, ses mots faisaient échos à mon propre état et à celui que nous tous nous traversions à ce moment-là. Il y a dans ses romans un vertige qui s’installe, une perte de repères et de maîtrise de nos existences, qui correspondait tellement à ce que je vivais qu’il y avait une évidence à m’en emparer pour ma prochaine création. » 

Complicité et maitrise 
Photo de répétition d'Écrire sa vie de Pauline Bayle © Nicolas Martinez
Photo de répétition d’Écrire sa vie de Pauline Bayle © Nicolas Martinez

Bien que l’ambiance soit studieuse, il est impressionnant de voir cette connivence au plateau. La metteuse en scène n’a presque pas besoin de parler : un geste, un regard, un son émis, et tous s’exécutent. Le son trop prégnant est mis en sourdine, un mouvement qui ne lui semble pas juste, une erreur dans le texte, est tous retournent sur leur pas, reprennent leur position et recommencent. Parfois, c’est les comédiens qui ont un doute, qui demandent de refaire un point sur leur déplacement, sur l’intention qu’ils doivent donner à telle ou telle réplique. Le tout se fait naturellement, avec beaucoup de douceur. Parfois aussi, le doute s’installe. Le travail acharné des dernières semaines se ressent. Est-ce la bonne lumière ? Le bon geste ? rapidement chacun reprend ses notes ou plonge dans ses souvenirs. Ils retentent et tout s’éclaire.

Le défi est de taille. Non contents de porter Virginia Woolf au plateau, Pauline Bayle et sa troupe doivent adapter la mise en scène à l’extérieur. « On doit tout repenser, explique-t-elle. Nous avons répété dans une boite noire, à Avignon nous jouons dans un cloître. C’est exaltant car c’est du pur théâtre, à tout moment des éléments extérieurs comme la pluie, le mistral, peuvent nous contraindre à faire des changements. On doit pouvoir s’adapter en permanence. Autre chose, Il n’y a pas de grill, nous avons donc dû imaginer d’autres éclairages pour ne pas perdre en intensité, en intention. C’est une vraie gageure, pour les comédiens, les équipes techniques et moi-même, sur place nous n’aurons que quatre nuits pour faire les derniers ajustements. » 

La répétition se poursuitNous en suivons encore quelques minutes, histoire d’imaginer ce que sera le spectacle terminé. La séance a été alléchante et prometteuse. La manière très investie d’être au plus près du plateau, des comédiens, de ce qu’ils ressentent de Pauline Bayle est passionnante à observer. Face à la salle, au cœur de la scène, elle donne vie à une Woolf des temps présents et poursuit son beau travail d’adaptation vivante et vibrante des œuvres littéraires.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Écrire sa vie de Pauline Bayle, d’après Les Vagues et autres textes de Virginia Woolf
Création à La Comédie de Béthune
138 Rue du 11 Novembre
62400 Béthune 
Du 20 au 22 juin 2023
durée 2h environ 

Tournée
les 27 et 28 juin 2023 au
 Tandem, scène nationale, Arras
8 – 16 juillet 2023 au Festival d’Avignon (cloître des Carmes)
Du 26 septembre au 21 octobre 2023 au Théâtre Public de Montreuil 
les 20 et 21 novembre 2023 au Parvis, scène nationale de Tarbes – Pyrénées
les 8 et 9 décembre 2023 à Châteauvallon Liberté, scène nationale, Toulon
du 13 au 16 février 2024 au Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
du 5 au 8 mars 2024 au Théâtre de la Croix-Rousse-Lyon 

Adaptation et mise en scène de Pauline Bayle assistée d’Isabelle Antoine
Avec Charlotte van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam

Scénographie de Fanny Laplane et Pauline Bayle
Costumes de Pétronille Salomé
Lumière de Claire Gondrexon  
Musique de Julien Lemonnier  
Son d’Olivier Renet 
Accessoires – Éric Blanchard
Regard extérieur et chorégraphie de Madeleine Fournier
Construction des décors – Éclectik Scéno
Régie générale et lumière de Renaud Lagier et Antoine Seigneur-Guerrini
Régie son de Tom Vanacker
Régie plateau de Lucas Frankias
Assistanat aux costumes – Nathalie Saulnier 

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