Maurice Maeterlinck (1862-1949), prix Nobel de littérature en 1911, est une figure de proue du symbolisme belge. Il est considéré, à l’instar d’Ibsen, Strindberg et Tchekhov, comme un des grands dramaturges qui ont contribué, à la fin du XIXe siècle, à avoir transformé la conception du drame. Ses grandes pièces sont Pelléas et Mélissande et L’oiseau bleu furent toutes deux montées pour la première fois par Stanislavski.
Les Aveugles est une de ses premières pièces qui n’était pas destinée à être jouée. Car à l’époque, le jeune auteur préférait lire le théâtre, considérant que l’imagination du lecteur pouvait en faire sa propre vision. Heureusement pour nous, Lugné-Poe passa par là et créa la pièce en 1891. Par sa construction, cette œuvre annonce les prémices de ce qui deviendra le théâtre de l’absurde.
Le théâtre du symbolisme
Qui sont-ils ces aveugles ? De pauvres ombres qui ont suivi un prêtre jusqu’à un endroit où la guérison les attendait. Mais leur « berger » a disparu, les laissant sur place. Ils attendent. Comme ils n’y voient rien, ils cherchent à se localiser dans l’espace, de comprendre où ils se trouvent et comment ils se situent les uns par rapport aux autres. Meublant le silence et comblant leur attente, ils vont se rassurer par d’incessantes et lancinantes questions. Ils s’aperçoivent alors qu’ils ont toujours été étrangers les uns aux autres. Et puis, il y a cette nature autour d’eux, pas si silencieuse que cela. Plus le temps passe, plus la tension monte. Lorsqu’ils comprennent que leur guide est mort, gisant près d’eux, ils prennent conscience de leur abandon, s’accrochant aux plus infimes espoirs.
Les Aveugles de Maeterlinck représentent l’éveil à la conscience. Ils étaient des êtres engourdis. Leur seule cohésion, tout comme leur seul soulagement à leur état, était le prêtre. Il était leur guide ! Sa disparition les oblige à « ouvrir les yeux » sur ce qu’ils sont vraiment et à s’interroger sur eux-mêmes. Ces morts-vivants, attendant avec fatalité leur destin, sont la représentativité de l’être humain, de celui qui aveuglé par des doctrines, idéologies et autres, est tombé dans l’obscurantisme.
Un esthétisme de toute beauté
La qualité du travail de la jeune Clara Koskas est des plus remarquables. L’œuvre n’est pas facile à aborder, elle lui rend toute sa visibilité. Avec une belle intelligence, elle fait référence au théâtre grec, par l’ajout d’extrait de textes antiques, au théâtre japonais, par une approche proche du Butô. Elle a même ajouté des chants, qui sont exécutés en plusieurs langues. Le mélange fonctionne à merveille, nous plongeant dans une atmosphère bien particulière. La metteuse en scène joue sur les clairs-obscurs, la fixité des personnages et les silences imposés par l’auteur. Les arts du masque et de la marionnette viennent compléter son appréhension de cette œuvre difficile. Elle lui rend ainsi toute sa visibilité.
Les comédiens et comédiennes, qui composent cette formidable troupe, nous ont enchantés par leur interprétation. Il n’est pas facile de faire vibrer les sentiments, à travers les silences et la fixité du corps. C’est tout un art. Leur jeunesse devient même un atout, parce qu’elle leur permet d’oser et d’y croire. On prédit à cette compagnie du long et heureux parcours.
Marie-Céline Nivière
Les Aveugles de Maurice Maeterlinck.
Festival Départ d’Incendie
Théâtre du Soleil
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Du 2 juin au 2 juillet 2023.
Le dimanche 11, samedi 17, dimanche 25 juin et 2 juillet à 14h, jeudi 15, vendredi 16 à 20h30, dimanche 18 à 18h, lundi 19, samedi 24, lundi 26 à 20h.
Durée 1h30.
Mise en scène de Clara Koskas.
Traduction des textes pour le russe d’Élisabeth Toutounov, le grec de Chryssoula Alexiou, l’italien d’Angélique Nigris.
Avec Gabrielle Arnault (en alternance), Suzanne Ballier, Grégoire Chatain, Paul de Moussac, Léo Hernandez, Pénélope Martin, Angélique Nigris, Randa Tant, Diane Rumani (en alternance).
Percussions par Mickaël Bourse en alternance avec Romain Firroloni.
Création lumière de Titiane Barthel.
Régie son de Luck Parize.
Conception sonore de Mickaël Bourse en collaboration avec Philippe de Coquereaumont.
Costumes d’Emmanuelle Bertolotti, Carla Beccareli, Chloé Bussat.
Scénographie de Théo Bertolotti.
Conceptions marionnettes de Théo Bertolotti et Anne Tailliez.
Maquillage de Sarah Dellacase.
Direction musicale chorale de Diane Rumani.