Greg Germain © DR

Greg Germain, le cœur vibrant de la Chapelle du verbe incarné

Implanté au cœur d’Avignon, le théâtre de la Chapelle du Verbe incarné, fête, cette année, ses vingt-cinq ans. Rencontre avec Greg Germain.

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Implanté au cœur du OFF d’Avignon, le théâtre de la Chapelle du Verbe incarné, fête, cette année, ses vingt-cinq étés au service de l’art dramatique et de la « visibilisation » des artistes d’outre-mer. Né de la volonté d’un homme, le lieu est devenu au fil du temps un emblème et un incontournable du festival. Rencontre avec son fondateur, Greg Germain. 

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Comment est née votre vocation pour l’art vivant ? 

Greg Germain : Enfant, je montais de courtes pièces pendant les vacances. J’ai toujours eu ce goût du théâtre. Pourtant étant né en Guadeloupe, ce n’était pas évident. À l’époque, et même encore aujourd’hui d’ailleurs, l’accès à la culture sur ces territoires dit d’outre-mer était assez limité. Mais cela ne m’a pas empêché d’inventer, de faire travailler mon imaginaire et de monter des spectacles avec mes camarades du collège ou mes copains. Puis une fois arrivé dans l’hexagone, au lycée, quand j’ai eu quinze ans, j’ai formulé pour première fois l’envie de devenir acteur, de faire du théâtre, de me former à l’art dramatique. Tout le monde, pourtant m’a déconseillé de poursuivre dans cette voie. Bien que mon père eût l’habitude de dessiner et de jouer de la trompette, et ma mère de m’emmener parfois au théâtre, ils n’imaginaient pas possible, une carrière artistique. Mais je me suis obstiné. Pour faire plaisir à mes parents, j’ai poursuivi mes études et dès que j’ai eu l’opportunité de m’échapper pour enfin être comédien, je n’ai pas hésité. 

Quelle était cette opportunité ? 
La façade du Théâtre de La Chapelle du Verbe Incarnée © DR
La façade du Théâtre de La Chapelle du Verbe Incarnée © DR

Greg Germain : j’ai entendu dire par des amis qu’un réalisateur cherchait des figurants pour un téléfilm. J’ai hésité car mon intention n’était pas d’être figurant, mais quand j’ai appris que c’était plutôt bien payé. C’était les vacances, je n’avais pas d’obligation, j’ai foncé. Pour l’anecdote, arrivé sur le tournage, il restait un rôle à distribuer. Je me suis glissé du côté des acteurs, j’ai fait un bout d’essai et j’ai été choisi. Ça a été le début d’une aventure incroyable, le déclencheur de tout ce qui a suivi. Grâce à cette apparition sur le petit écran, Melvin van Peebles m’a repéré. Il cherchait de jeunes acteurs pour monter une pièce à Paris. Comme je parle anglais, il m’a engagé au départ pour être assistant à la mise en scène. Quand un des acteurs a quitté le projet, je me suis tout naturellement proposé pour le remplacer. L’expérience a été magique. Une tournée s’en est suivie. Ce fut le tout début de ma carrière sur les planches. 

Au théâtre, qu’est-ce qui vous touche en premier ? 

Greg Germain : Indéniablement, le texte. Il ne pardonne pas. Il résonne ou non en nous. Par exemple, il y a une vingtaine d’années Marie-Pierre Bousquet venait de terminer un livre qui lui avait beaucoup plu. Elle me le conseille. Je m’en empare et le dévore d’une traite. C’était La Damnation de Freud de Tobie NathanIsabelle Stengers et Lucien Hounkpatin, une pièce en quatre actes absolument formidable. J’avais à peine tourné la dernière page, que je savais qu’il fallait absolument que je la monte. Les mots, les tournures de phrases, le propos, le texte m’ont attrapé et séduit. D’ailleurs, la pièce a eu un succès extraordinaire, plus de 110 représentations, en France, en Guadeloupe, en Martinique. Il en a été de même avec Le Balcon de Genet, que j’ai transposé dans une cérémonie vaudou. J’ai eu la chance de rencontrer ce grand auteur avant sa mort et j’ose croire qu’il aurait aimé mon regard et mon travail sur sa pièce.

Comment l’envie de créer un théâtre est venue ? 

Greg Germain : J’ai eu la chance, dès mes débuts de travailler au théâtre avec de grands metteurs en scène. D’abord, Antoine Bourseiller, Pierre Debauche, Jorge Lavelli et d’autres), à la télévision dans de nombreuses séries, (notamment la célèbre série Médecins de nuit). Dans des téléfilms, au cinéma avec Claude Chabrol, Jacques Deray, Jean-Marie Périer, Olivier Baroux, Pascal Légitimus, Christian Lara, etc. Au doublage (je suis la voix française de Will Smith depuis ses débuts). Mais vous savez, quand on approche de la cinquantaine, on s’occupe un peu moins de sa petite personne. On ne pense plus seulement JE, mais NOUS. Il y a de cela 25-30 ans, à quelques exceptions près, il n’y avait aucune diversité sur les scènes de théâtre, au cinéma ou à la télévision en France. Tout était parfaitement monochrome… Ici où là, sur scène ou sur les écrans, quelques images lamentables de ceux qui (comme moi) sont des « français d’ailleurs », des rôles de voleurs ou de dealers ou de jeunes de banlieues…. C’était donc presque la suite logique de mon parcours. Créer un lieu, pas seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui n’arrivaient pas à créer ou diffuser, tous ceux qui rencontraient des difficultés pour monter des projets. 

C’était important que ce soit à Avignon ?
La Freak de Sabine Pakora © Jérémie Levy
La Freak de Sabine Pakora © Jérémie Levy

Greg Germain : À vrai dire, c’est aussi le hasard. J’ai eu envie de monter une pièce avec des acteurs d’outre-mer. Pas un seul théâtre à Paris ne m’a répondu et j’ai fini par découvrir cet autre festival, juste à côté de l’autre, qui donne l’opportunité de monter ce que l’on veut tant qu’on a le budget. À l’époque, J’avais déjà joué dans le In, mais je n’avais pas conscience de tous ces lieux qui fourmillaient autour. Très vite, nous avons donc créé une compagnie pour réaliser notre projet, porter au plateau l’écriture de Derek Walcott, dramaturge, prix Nobel de littérature, un poète anglais originaire de Sainte-Lucie. L’année d’après, j’ai commencé à prospecter, car j’étais persuadé que c’était à cet endroit que l’on devait créer notre théâtre. Je suis allé à la mairie pour leur présenter mon idée et leur demander un espace, un lieu, n’importe quoi. Aidé d’un conseiller municipal, le père du comédien Mickaël Chirinian, nous avons fini par trouver cette ancienne chapelle. Il n’y avait plus qu’à l’investir. 

Si vous deviez définir l’ADN de ce théâtre ?

Greg Germain : la Chapelle du Verbe incarné est constituée d’une multitude d’ADN, car Marie-Pierre Bousquet en est aussi l’animatrice et fondatrice depuis le début. En fait, ce qui fonde son identité et détermine sa continuité (sa colonne vertébrale en quelque sorte) s’articule autour de la diversité, de la singularité des peuples, des imaginaires et des langues d’Outre-mer. La France est riche de cultures très différentes du Nord au Midi, de Strasbourg à Perros-Guirec. Et Je reste persuadé que les pays d’outre-mer font partie du moteur de notre pays aujourd’hui, de son identité plurielle. Nous avons tous besoin de ces rêves, de ces esprits créatifs, de ces vécus qui font de nous ce que nous sommes, des êtres de chair, de sang, quelles que soient nos origines ou la couleur de note peau. Que l’on soit d’ici, de Cayenne, de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de Martinique nous sommes tous porteurs d’histoires qui valent le coup d’être racontées, portées au plateau et entendues par le plus grand nombre. L’objectif de ce lieu est de permettre de sortir du moule et de ce que nous connaissons, d’ouvrir d’autres horizons, de découvrir comment l’on fait du théâtre en Nouvelle-Calédonie, en Guadeloupe, à La Réunion. Dans les Outre-mer, à cause de l’étroitesse des territoires de l’isolement géographique, du peu de public il n’y a presque pas de diffusion. Alors créer un endroit, où il est possible de réunir, de croiser tout cela, de le diffuser pour un plus large public, me semblait nécessaire. Le théâtre n’est pas seulement un art, c’est aussi une façon d’être au monde, une façon de le voir et de l’appréhender. Mettre en avant ce qui se crée ailleurs et rendre visibles les cultures d’Outre-mer est donc à mon sens fondamental pour tous les Français. 

Vous allez fêter les 25 ans du lieu. Comment a-til évolué au fil du temps ? 
Le parfum d'Edmond de Laurent Contamin - Mise en scène Bénédicte Guichardon © Baba Sifon
Le parfum d’Edmond de Laurent Contamin – Mise en scène Bénédicte Guichardon © Baba Sifon

Greg Germain : Le théâtre est un « être vivant » et comme tout être vivant, il évolue. Depuis la création du lieu, les spectacles que nous présentons ont évolué, les sujets abordés ont changé, la manière d’hybrider les arts s’est aussi accentuée. Il y a 25 ans, ce qui ressortait des spectacles joués à La Chapelle, c’était une « litanie de revendications », non pas sur l’état du monde, mais sur l’état de soi. Puis, est venu le temps de l’affirmation de ce que l’on est. Par ailleurs, depuis une poignée de saison, on constate aussi l’omniprésence de l’audiovisuel au plateau. Rares sont les pièces de théâtre venant d’Outre-mer aujourd’hui, qui ne se servent pas de ce média pour montrer ce qui ne peut être théâtralisé. En revanche, ce qui n’a pas évolué, c’est le regard que portent les institutions sur ce lieu. Pas toutes les institutions bien sûr, mais l’institution principale qui ne semble pas spécifiquement intéressée par ce que nous faisons et développons. C’est un peu triste, car je trouve que malheureusement, il n’y a pas d’égalité des chances dans la culture. Les infrastructures sur les territoires d’Outre-mer n’ont rien à voir avec celles de la France continentale. Comme je le disais plus haut, il est difficile de créer et de diffuser là où il y a peu de lieux dédiés à cela.  

Comment avez-vous pensé la programmation pour ses 25 ans ? 

Greg Germain : Essentiellement, sur dossier. Nous sommes une petite structure nous n’avons pas toujours les moyens de nous déplacer. Quand nous le pouvons, nous le faisons, c’est important de voir ce que cela donne sur une scène. Nous nous intéressons surtout aux sujets traités, à la manière dont ils sont abordés. En ¼ de siècle, nous avons créé des fidélités avec ceux qui comme dit Césaire « sont parfois de même misère que nous ». En fait, nous sommes à l’écoute des acteurs culturels que nous connaissons et auxquels nous faisons confiance. C’est un maillage que nous tissons quotidiennement. Cette année, pour nos 25 ans, nous avons décidé de mettre en place, en accord avec les compagnies, un PASS à 25 euros, qui permettra de voir tous les spectacles que nous présentons. En parallèle de cela, le jour de relâche du théâtre, auquel nous tenons beaucoup, nous avons fait le choix de mettre en place une journée d’échange, de partage et de prise de paroles autour des théâtres d’Outre-Mer.

C’est pour cela que vous avez décidé de faire de la Chapelle du verbe incarné, un lieu de résidence à l’année, un centre de ressources ? 
L'Ogrelet de Suzanne Lebeau - Mise en scène Ewlyne Guillaume © Ronan Letard
L’Ogrelet de Suzanne Lebeau – Mise en scène Ewlyne Guillaume © Ronan Letard

Greg Germain : Entre autres. Si l’on veut faire avancer les choses, il faut le faire soi-même. Donc nous avons décidé en effet d’ouvrir à l’année, d’en faire un point de chute, de permettre à une dizaine de compagnies par an de pouvoir répéter dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, tout est connecté, tout est numérisé, alors pourquoi ne pas faire un centre de recherche dédié à la culture théâtrale d’Outre-Mer, un lieu de conseil aussi à la production, à la diffusion, une manière de mutualiser les moyens pour favoriser les tournées, sortir des territoires. Dans cette optique, nous avons sollicité la mairie d’Avignon, qui est très favorable à cette évolution. Et je dois ajouter que Cécile Helle, Maire d’Avignon, a parfaitement compris l’intérêt, l’importance de notre démarche pour les outre-mer, mais aussi pour la viille.  

Et d’ailleurs d’où vient le nom Théâtre de la Chapelle du verbe incarné ? 

Greg Germain : tout simplement du quartier, où la chapelle est située. En 1635, Jeanne Chézard de Mattel, mère supérieure de l’ordre du Verbe incarné, a fait construire ce lieu. Le nom est resté. C’est très poétique. Mais comme beaucoup d’autres endroits à Avignon… je crois que c’est la ville où il y a les plus beaux et les plus inspirés noms de théâtre… 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Théâtre de La Chapelle du Verbe incarné
Festival OFF d’Avignon
21G rue des Lices
84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2023


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