Discotake#2 © Sophie Loubaton

Discotake#3 remet le son en grand

A la salle des fêtes du Grand Parc, à Bordeaux le festival Discotake met la musique au coeur de nos vies.

Discotake#2 © Sophie Loubaton

En mai 2019, à Bordeaux, nous découvrions l’édition zéro de ce festival d’une grande originalité, pensé chaque année autour des disques qui ont marqué la vie des artistes et des spectateurs. Pour cette troisième édition, Renaud Cojo, créateur de cette biennale originale, a mis les petits plats dans les grands.

© Sophie Loubaton

Bordeaux, un samedi après-midi. Au sortir d’une gare grouillant de monde, nous prenons le tram, direction le Grand Parc. L’air est lourd et l’orage menace. Pas d’inquiétude : les spectacles se déroulent dans la belle salle des fêtes de ce quartier, l’un des plus mélangés socialement de la ville. Dehors, des stands de disques draguent les amoureux du vinyle et un food truck attend les gourmands. Dans le hall, il y a le bar, tenu par de sympathiques bénévoles, ainsi qu’un atelier de sérigraphie dirigé par Maxicat. Les jeunes, mais aussi leurs parents, se régalent à faire leur propre affiche et la tiennent ensuite précieusement dans leurs mains. Le programme peut commencer !

On a tous en nous quelque chose de…

Dans le grand panier des festivals, Discotake apparaît comme un aliment culturel capable de réveiller nos papilles et nos sens. Renaud Cojo, artiste aux multiples talents et à la générosité aussi grande que son cœur, sait que telle la Madeleine de Proust, une musique, une chanson peut réveiller en nous bien des émotions. Il a donc demandé à des artistes de théâtre, musique ou danse d’imaginer, à partir d’un album qui les ont marqués, des performances courtes — quarante-cinq minutes environ. Durant les trois jours de la manifestation, la salle des fêtes du Grand Parc de Bordeaux porte particulièrement son nom. En invitant ainsi les spectateurs à découvrir gratuitement des créations inédites, l’initiateur de ce projet fou permet à chacun de pénétrer au plus près du geste créatif.

La performeuse, autrice et metteuse en scène Colyne Morange aime les mélanges des langues et des corps. S’adressant au public directement, elle dévoile son intime et nous raconte comment, toute jeune fille, Closer de Joy Division, l’a marquée profondément. L’univers sonore sale de cet album, véritable cri de rage des jeunes anglais dans la tourmente thatchérienne, va atteindre en pleine conscience une gamine « sans problème ». Entourée d’instruments et d’amplis, elle mélange son histoire à celle de Ian Curtis, cet artiste mort trop jeune. Elle explique surtout très bien comment cela l’a « aidée à vivre, à supporter l’insupportable réalité des supermarchés, des absurdités de la vie, la morosité d’une ambiance et l’imposture du monde ». En hybridant les médiums avec énergie, elle questionne parfaitement notre rapport au monde.

Trio à deux faces
Discotake#2 © DR
Discotake#2 © DR

On attendait beaucoup de l’association créative de ce trio composé de Mathieu Bauer, Sylvain Cartigny et Matthias Girbig. Et l’on n’a pas été déçu. Ils ont choisi un drôle de disque, celui du compositeur canadien Raymond Murray Shafer, pionnier du soundscape (en français, paysage sonore). Un album composé d’une cinquantaine de fragments sonores, allant du barrissement d’un éléphant au bâillement joyeux d’un enfant, en passant par l’avion qui décolle, le monte-charge montant et descendant…

Cette galette se composant de deux faces, le spectacle en aura lui aussi deux. Il commencera par la face B où les sons de la nature vont se confronter à ceux de la musique de Bauer et Cartigny. Et arrive la face A, dans laquelle on trouve les sons des bruits du quotidien, de la vie, le comédien Matthias Girbig narre un hilarant polar digne du film Les cadavres ne portent pas de costard. Et, ensemble, ils inventent la face C ! L’histoire recommence avec moins de mots et la musique comme instrument narratif. On est conquis.

De Courtney à Britney

Solenn Denis a choisi Live Through this du groupe alternative Hole pour évoquer l’idole de sa jeunesse, celle qui lui apprendra à ne plus être une petite fille sage, Courtney Love. Mais voilà, son alter ego Erwan Daouphars lui veut parler de Britney Spears ! Il faut le voir, avec sa guitare en bandoulière, sa perruque blonde sur la tête, sa robe blanche et son collant rouge moulant toutes ses formes, perchés sur ces hauts talons. L’homme va encore prendre la parole et pourrir la vie d’une femme ! Courtney et Britney, les opposées pas si incompatibles de l’image de la femme, servent de muses pour ce spectacle féministe, réjouissant, explosif et hilarant !

Parce qu’ils ne pouvaient n’être là qu’une journée ou qu’ils avaient imaginé une expérience unique, nous n’avons pas vu la performance de Sébastien Barrier autour d’English Tapas de Sleaford Mods, ni Dreaming of Ziggy Stardust, le concert reprise de Bowie par Capsula, un groupe d’Argentins vivant en Espagne et qui ont le Duke pour idole commune.

Se raconter à travers les disques

Cerise sur le gâteau, dans 3300 Tours, un moment théâtral étant bien orchestré par Renaud Cojo, on peut dire que les amateurs frisent le professionnalisme ! Nous nous retrouvons devant des spectateurs, des spectatrices, nos sœurs ou copines, nos frères ou copains, qui ont accepté d’ouvrir leur jardin secret, de nous faire découvrir une chanson qui a changé leur vie ou à laquelle ils sont très attachés. Ils sont huit sur scène, chacun arrive avec sa pochette de disque, raconte en quelques mots pourquoi ce choix, puis lance les platines… Le concept a tout du vertige, du saut dans le vide !

Mais, comme Cojo les a accompagnés dans leur récit, y a apportant une dramaturgie, cela fait sens, touche et bouleverse. C’est magnifique, car chacun, sans le savoir, va nous raconter un bout de nous ! Parce que leur parole est libérée, leur prestation, fragile et éphémère, tous nous bouleversent. Clairement, ce festival au son pas ordinaire mériterait d’être au diapason d’une curiosité, parce qu’on a tous en nous en un disque ou un artiste qui a bouleversé notre existence. À dans deux ans, pour la prochaine édition de cette biennale encore trop confidentielle qui a tout d’une grande.

Marie-Céline Nivière – envoyée spéciale à Bordeaux

Festival Distotake#3
Salle des fêtes du Grand parc
33000 Bordeaux
Du 15 au 17 juin 2023.

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