À Montpellier Danse, la chorégraphe franco-algérienne présente sa toute nouvelle création, Rive, une œuvre qui confronte et conjugue danse folklorique et écriture contemporaine. S’appuyant sur la rythmique des pas de bourrée, Dalila Belaza tisse le fil d’un langage commun entre intime et universel.
© Luca Ianelli
À l’abri de la galerie, quelques tables permettent de respirer un peu d’air frais. C’est assise à l’une d’elle que Dalila Belaza s’est installée. Tenue noire ample, chevelure remontée en chignon, elle profite d’un peu de répit entre deux séances de répétition. C’est la dernière ligne droite dans quelques jours, la première de Rive, sa nouvelle pièce pour dix danseurs aura lieu au théâtre de la Vignette. Visage souriant, regard noir vif, trait détendu, elle ne laisse rien paraître d’autres qu’une bonne humeur communicative. La danse, elle l’a dans le cœur. « Le mouvement, la musique, confie-t-elle, ont toujours été présents en moi. Il y a, au départ, quelque chose à la fois de culturel et d’ailleurs.Quand nous étions petites, avec ma sœur, Nacera, à chaque fois que nous rentrions en Algérie avec nos parents, il y avait toujours des fêtes, des célébrations, des mariages. La danse était partout, imbriquée aux événements de la vie. Très vite, les sons, les rythmes ont fait partie de nous. Danser était une échappatoire, une manière rapide de voyager vers des ailleurs, une expansion intérieure » Pourla chorégraphe, tout est question de rythmes. La musique est le lien qui met en mouvement intérieurement et trouve un chemin au travers du corps.
À l’adolescence, elle commence à travailler avec sa sœur ainée, qui, dans le lycée, où elle était, a pu bénéficier d’un dispositif théâtre. « De mon plus lointain souvenir, c’est elle qui m’a embarquée dans ses projets. Assez rapidement, elle a eu envie de créer, d’écrire des pièces courtes. Elle a commencé de façon très concrète et intuitive. Je l’ai suivie avec conviction.» Bien qu’empruntant la même route, les deux sœurs n’ont pas toujours la même vision, le même désir. « Elle était la plus âgée, donc forcément par défi, il y avait de ma part une forme de résistance par rapport au fait de travailler avec ma grande soeur. Et puis, adolescentes, les motivations que nous ressentions à danser, à créer n’étaient pas toujours au même endroit. Mais le temps a fini par être un allié et nous sommes devenues de vraies partenaires. Au-delà de notre lien familial s’est construit une complicité au coeur du travail »
D’interprète à chorégraphe
Les spectacles s’enchaînent. Parfois Dalila Belaza fait un pas de côté avec d’autres chorégraphes, mais quand sa sœur l’appelle, elle répond toujours présente. Les années passent, plus de 25 ans de compagnonnage. Au fil du temps, s’affirme en elle le goût de l’écriture, de répondre à des questionnements plus personnels. « Clairement, explique-t-elle, je n’avais pas la volonté de créer ma propre compagnie. Juste, peut-être, l’envie de laisser libre cours à des visions qui sommeillaient jusqu’alors. » La danseuse chorégraphe ne voit pas ça comme de l’ambition, mais bien une manière de s’approprier une propre langue, de trouver un endroit où elle s’exprime par elle même. «Avoir été interprète dans toutes les pièces de ma soeur depuis de nombreuses années, la rigueur et l’exigence du travail à l’épreuve du temps, la transmission à différents publics d’une pratique qui engage l’être humain entièrement m’ont amené à être là où je suis aujourd’hui. Rien n’arrive par pur hasard.»
Puis il y a une première commande d’un solo en 2012 pour Avignon, puis un autre en 2017 à chaque fois via l’invitation de la compagnie de ma soeur Nacera. « Je crois aussi qu’aujourd’hui, je suis parvenue à une certaine maturité et surtout à davantage de détachement qui me font chercher en moi la matière qui nourrit mon écriture sans avoir la crainte que ce soit factice. J’ai toujours redouté la vanité des choses et en cela j’ai toujours questionné mon envie quant au fait de créer afin que ce ne soit pas juste occuper une place.
Il me semble , juste vis à vis de moi-même aujourd’hui, de vivre cette expérience de création en l’assumant jusqu’au bout. Cette nouvelle page de ma vie m’amène à m’ouvrir, sans crainte et en conscience aux autres. C’est notamment le cas avec Au cœur, qui est né de ma rencontre avec le groupe de danse folklorique Lous Castellous de Sénergues, en Aveyron. J’ai mené à leur contact un travail de recherche et d’exploration autour de la manière d’élargir un spectre chorégraphique en confrontant danses traditionnelles et contemporaines dans le but de trouver une endroit de dialogue vrai entre nous »
Du rite au contemporain
Toujours à l’écoute du monde, grande observatrice, elle se laisse porter par les rencontres, s’en nourrit pour construire son travail chorégraphique. « Mes sources d’inspirations sont dans ce qu’il m’est donné de vivre et d’observer. Je ne sépare rarement l’être humain du reste des éléments qui l’entoure. Les choses. C’est ainsi que je perçois, entends. Je crois que ce qui m’intéresse c’est questionner l’humain, étudier la porosité , l’ouverture des êtres, afin de le projeter dans un endroit plus vaste de l’ordre de l’abstraction et tendre vers une forme d’universalité. »
Comprendre en quoi le rituel est un ancrage, un socle à la dimension immuable est au cœur de sa quête artistique. « C’est quelque chose qui vient de loin, qui se transmet d’une génération à l’autre, que l’on porte en nous dans le temps et qui sert de lien entre individus, une langue qu’il faut garder en vie. Toute cette notion mémorielle m’a amenée à questionner comment, une danse dite contemporaine, qui n’a pas de filiation particulière, s’inscrit malgré tout dans une ou des histoires et peut être un lieu de traversée. » Passionnée, Dalila Belaza poursuit sa réflexion, continue à explorer les zones de frottements, mais aussi de superpositions entre rituels chorégraphiques et création contemporaine. Elle s’appuie sur ce travail pour nourrir sa nouvelle création, Rive. « C’est né d’une commande faite, il y a deux ans, par le Ballet national de Marseille dans le cadre d’un workshop qu’on m’a demandé de donner aux danseurs du corps de ballet. »
Pas de bourrée
Fil rouge de cette nouvelle pièce qui verra le jour le 26 juin 2023, le pas de bourrée est avant tout une rythmique qui devient musique , plus qu’une figure imposée. S’appuyant sur cette musique répétitive de la cadence, la chorégraphe imagine un voyage dans les corps et dans l’espace. Présente sur scène, comme une passeuse, elle travaille au plus près de ses danseurs et danseuses, en construisant un récit, une ligne artistique.
« La danse est une langue qui irrigue les corps , l’espace, le temps… Elle véhicule et charrie en permanence de multiples mémoires . Il s’agit pour moi d’écrire un chemin qui permet à chacune(e) d’être à la fois au centre de lui-même et au coeur d’une plus vaste unité. »
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Rive de Dalila Belaza
Festival de Montpellier Danse – Création
Théâtre de la Vignette
Avenue du Val de Montferrand
34000 Montpellier
les 26 et 27 juin 2023
Tournée
du 1er au 12 septembre 2023 au Théâtre de la Ville, Paris
le 13 octobre2023 à Charleroi Danse, Belgique
Direction artistique et chorégraphie de Dalila Belaza – Hiya compagnie
Création pour douze interprètes et un musicien avec Karima Al Amrani, Jamil Attar, Paulin Banc, Dalila Belaza, Erica Bravini, Louis Chevalier, Elsa Dumontel, Léa Ferac-Pourias, Andrès Garcia Martinez, Dovydas Strimaitis
Régisseuse lumière – Sabine Charreire
Régisseur son – Solal Mazeran