Au domaine d’O, le festival montpelliérain poursuit d’année en année son tour du monde des créations. Après la Grèce et l’Argentine la saison dernière, c’est le Chili et la Guinée qui sont à l’honneur de cette 37eédition. Attention les yeux et les nerfs, les objets théâtraux et circassiens présentés sont hautement déroutants !
© Gianmarco Bresadola
En ce lundi fin d’après-midi, le ciel est gris. Une nouvelle averse s’annonce. Depuis plusieurs jours, les pluies d’été intermittentes rythment la vie des festivaliers et chamboulent l’organisation des spectacles joués en extérieur. Loin de la foule habituelle, la pinède semble désertée. Faisant contre fortune bon cœur, les spectateurs, venus nombeux, se sont réfugiés dans les rares endroits abrités, la librairie, le hall du théâtre Jean-Claude Carrière, les avancées qui protègent le bar. Malgré le temps, l’ambiance est bonne enfant. La curiosité l’emporte sur tout le reste. Audacieuse, la programmation 2023 du Printemps des Comédiens à de quoi allécher. Rien que pour cette deuxième semaine, sont mis dans une sorte de face-à-face ou de dos à dos, insolite et détonant, les stigmates laissés par la dictature de Pinochet ainsi que les événements de 2019 dans l’esprit des Chiliens et les acrobaties virevoltantes de la compagnie Baobaob Circus dans un ballet spectaculaire des corps.
Atrocités et grimaces en cascade
La cloche annonçant le prochain spectacle résonne dans l’air humide. Devant le théâtre, les spectateurs en file indienne attendent leur tour pour pénétrer dans l’antre imaginée par Marco Layera, fondateur de la compagnie La Re-sentida. Après avoir questionné l’héritage d’Allende en 2014, il poursuit son étude psychologique de la société chilienne en s’intéressant aux impacts de la violence d’état sur les comportements. Avec une certaine forme de cynisme, un humour noir jais, il invite le public à visiter un musée vivant du « freak », de l’horreur et de la barbarie.
Prenant le contre-pied de l’imagerie fasciste, s’en amusant avec mordant à en exagérer le ridicule, le metteur en scène chilien porte son propos politique bien au-delà de la simple dénonciation. Au plateau, huit interprètes aux oreilles monstrueusement étirées, vêtus de maillot de bain bleu paillette, grimacent sans cesse, pantomiment et gesticulent de manière grotesque. Accentuant le trait, le surlignant, ils créent des tableaux horrifiques de tortures, de barbaries, des instantanés baroques autant que malaisant qui assument un mauvais goût, un kitsch suranné. Derrière ce burlesque gras, cette succession de saynètes surréalistes faussement trash se dessine une pensée militante. La dictature est clairement l’ennemi de l’homme tout autant que les démocraties qui font de la violence un outil d’État, sous le prétexte de garantir la liberté de chacun. Le message est passé, mais à quel prix… Sous les applaudissements d’une partie de la salle, le reste du public sort exsangue et épuisé de cette expérience singulière et quelque peu dérangeante.
De l’eau et du plastique
Après un entracte bien mérité, la compagnie Baobab Circus, grande finaliste de La France a un incroyable talent de la saison dernière fait carton plein. Il faut dire que les 13 acrobates et danseurs originaires de Conakry, en Guinée, sont époustouflants. Ils virevoltent, volent dans les airs, multiplient les acrobaties à une vitesse vertigineuse. S’emparant du thème de l’eau, dont on sait qu’il sera un des enjeux cruciaux des années à venir Yann Écauvre à la mise en cirque imagine un conte kaléidoscopique nourri du quotidien des interprètes, tous des enfants de la rue formés aux arts de la scène par les meilleurs professionnels africains et français.
Les figures s’enchainent, les corps s’entremêlent, parfois s’entrechoquent, se bagarrent pour mieux se réconcilier. Certains verront derrière le monticule de bouteille en plastique qui symbolisent l’eau, une fable écologique, mais le propos est surtout ailleurs, à la fête, à la performance, au bonheur d’être sur scène et de montrer un peu de leur culture, de leur univers. Le pari est réussi, malgré quelques redondances, c’est debout que la salle finit pour acclamer ces jeunes virtuoses.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Oasis de la Impunidad (L’oasis d’impunité) de Marco Layera
Printemps des Comédiens
Théâtre Jean-Claude Carrière
178 rue de la Carriérasse
34090 Montpellier
jusqu’au 13 juin 2023
Durée 1h30
Tournée
du 21 au 23 juin 2023 : Asphalt Festival, Allemagne
Mise en scène et dramaturgie de Marco Layera assisté de Humberto Adriano Espinoza et Katherine Maureira
Avec Carolina de la Maza, Pedro Muñoz, Diego Acuña, Carolina Fredes, Imanol Ibarra, Nicolás Cancino, Lucas Carter, Mónica Casanueva
Dramaturgie d’Elisa Leroy et Martín Valdés-Stauber
Chorégraphies du Teatro La Re-Sentida
Conception scénique de Sebastián Escalona et Cristian Reyes
Conception sonore d’Andrés Quezada
Yé ! (l’eau) de Yann Ecauvre
Printemps des Comédiens
Amphithéâtre
178 rue de la Carriérasse
34090 Montpellier
jusqu’au 13 juin 2023
Durée 1h30
Avec la troupe de 13 Acrobates – Danseurs de la compagnie Baobab Circus – Bangoura Hamidou, Bangoura Momo, Camara Amara Den Wock, Camara Bangaly, Camara Ibrahima Sory, Camara Moussa, Camara Sekou, Keita Aicha, Sylla Bangaly, Sylla Fode Kaba, Sylla M’Mahawa, Youla Mamadouba, Camara Facinet en alternance avec Tambassa Amara
Direction artistique de Kerfalla Camara
Mise en cirque de Yann Ecauvre
Compositions musicales de Yann Ecauvre et Jérémy Manche
Intervenant acrobatique – Damien Drouin
Chorégraphie de Nedjma Benchaïb et Mounâ Nemri
Costumes de Solène Capmas
Création Lumière de Clément Bonnin et Cécilia Moine