Ce lundi à la Philharmonie de Paris, le Syndicat de la critique fête les soixante ans de ses prix en récompensant ceux qui ont brillé cette saison. Comme chaque année, la liste dessine une constellation d’artistes et d’œuvres jugés remarquables par les critiques. À l’honneur de ce cru, des grands noms, des étoiles montantes et des jeunes pousses dessinant des trajectoires singulières dans leurs domaines respectifs — théâtre, musique, danse ou performance — sans toujours s’arrêter aux frontières disciplinaires.
Célébrer la création musicale, chorégraphique et théâtrale, rendre hommage à un parcours, consacrer une œuvre qui a su non seulement trouver son public, mais aussi séduire, toucher, émouvoir, marquer les esprits, fait partie de nos missions de journalistes, de critiques. C’est une joie chaque année renouvelée de pouvoir nous réunir le temps d’une cérémonie pour mettre en lumière une écriture, un geste, une vision. Depuis maintenant soixante ans, le Syndicat professionnel de la Critique de Théâtre, Musique et Danse a institué ce rituel, ce moment unique de partages et d’échanges. Ni la pandémie, qui a fragilisé le secteur et précarisé de nombreuses compagnies, de nombreux lieux, de nombreux artistes, de nombreux techniciens et de nombreux confrères, ni les grèves de cet hiver, ni les mouvements sociaux liés à une réforme des retraites particulièrement décriée, n’ont empêché notre institution, âgée de cent-cinquante ans, d’honorer ses engagements et de décerner ses prix.
Dans le contexte social, économique et mondial actuel, difficile de se réjouir. Les signes avant-coureurs d’une crise à venir de la culture et tout particulièrement du spectacle vivant sont au rouge. Face à l’inflation, à l’augmentation des factures énergétiques et de l’ensemble des charges, un changement de paradigme, une réflexion de fond sur les modes de production et de diffusion s’impose, que ce soit dans le secteur privé ou public. En raison d’une non-réévaluation, d’une baisse importante voire d’une suppression de leurs subventions, la plupart des établissements culturels et des compagnies sont confrontés à des choix drastiques. Après deux saisons pléthoriques, conséquence directe des confinements, force est de constater une réduction des programmations. De nombreux théâtres et salles de spectacle n’ont eu d’autres possibilités que de réduire la voilure, de renoncer à certaines productions, de diminuer leur soutien à nombre de créations. Le temps est à l’économie, aux budgets serrés, à une modification en profondeur des pratiques.
En résonance aux mutations de la société, un regard particulier des institutions, des syndicats et des structures artistiques, s’est porté sur le respect de la parité et l’ouverture sur la diversité. Clairement, on en est loin. Il suffit de se pencher sur le rapport de l’association des centres nationaux chorégraphiques pour s’en persuader. En 2022, Sur dix-neuf centres en France, seuls trois — faisant partie des moins bien dotés — ont une directrice. Le chemin est encore long. En tant qu’observateur, nous nous devons d’en faire écho, d’en suivre de près les évolutions. Le syndicat s’engage depuis plusieurs années en ce sens.
La situation est inquiétante mais pas désespérée. Dans le ciel assombri, des trouées laissent passer le soleil. Depuis que les spectateurs peuvent revenir sans contraintes dans les salles, ils sont de plus en plus nombreux à franchir le pas, à vouloir partager leur expérience, à privilégier les festivals, plus conviviaux, plus festifs. Ce n’était pas gagné. Les changements d’habitudes, la baisse du pouvoir d’achat, les réticences face à un virus qui reste aux aguets ont fait craindre le pire. Mais plus vibrant que jamais, l’art vivant n’a pas dit son dernier mot. Irremplaçable, non reproduisible ailleurs que dans le réel, dans le face-à-face unique entre un artiste et son public, il ne cesse de surprendre, de questionner, d’interroger l’état de nos sociétés. Porteur d’espoir, de joie, de tristesse ou de mélancolie, poétique, lyrique ou pragmatique, il est, à l’instar de la culture, dont il est un des éléments capitaux, une des pierres angulaires de nos démocraties et un indicateur de sa bonne santé.
À la Philharmonie de Paris ce 19 juin 2023, le temps sera à la fête. Mais en ce jour de célébration, et le palmarès en est le reflet, nous ne pouvons oublier la guerre qui se déroule aux portes de l’Europe, les drames féminicides qui trop régulièrement font la une de nos journaux. Nous ne pouvons non plus oublier que de grands noms des arts vivants et du journalisme nous ont quittés cette saison. Alors profitons d’être réunis pour avoir une pensée pour François Tanguy, Peter Brook, Jean-Louis Trintignant, Colette Nucci, Pascale Bordet, Kaija Saariaho, mais aussi pour Lucien Attoun, qui fut longtemps notre secrétaire général, Georges Banu, Philippe Tesson et Colette Godard.
Pour aujourd’hui, mais surtout pour demain, continuons à célébrer le théâtre, la danse et la musique, continuons à hanter les couloirs, les foyers, à user les sièges rouges ou bleus des salles de spectacle… ensemble, alimentons toujours ce souffle vital qui fait de l’art un moteur pour changer le monde.
Édito d’Olivier Fregaville-Gratian d’Amore, Président du Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre, Musique et Danse
Prix Théâtre
Grand Prix (meilleur spectacle théâtral de l’année)
Le Firmament, de Lucy Kirkwood, mise en scène de Chloé Dabert
Prix Georges-Lerminier (meilleur spectacle théâtral créé en province)
Le Nid de cendres, de Simon Falguières, re-création au Festival d’Avignon
Prix de la meilleure création d’une pièce en langue française
L’amour telle une cathédrale ensevelie, de Guy Régis Jr
Prix du meilleur spectacle théâtral étranger
Catarina et la beauté de tuer des fascistes, de Tiago Rodrigues
Prix Laurent-Terzieff (meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé)
Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski
Prix du meilleur comédien
Gilles Privat dans En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon
Prix de la meilleure comédienne
Catherine Hiegel dans Music-hall et dans Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, de Jean-Luc Lagarce, mises en scène de Marcial Di Fonzo Bo
Prix Jean-Jacques-Lerrant (révélation théâtrale de l’année) ex aequo
Bertrand de Roffignac dans Ma jeunesse exaltée, d’Olivier Py
Marie Fortuit pour sa mise en scène d’Ombre (Eurydice parle), d’Elfriede Jelinek
Prix de la meilleure création d’éléments scéniques
David Bobée et Léa Jézéquel pour Dom Juan, de Molière
Prix du meilleur livre sur le théâtre
Au cœur du théâtre 1989-2022, de Jean-Marie Hordé. Éd. Les Solitaires Intempestifs
Prix du meilleur compositeur de musique de scène
Dakh Daughters pour Danse macabre, mise en scène de Vlad Troitskyi
Prix spécial
La Mort d’Empédocle (Fragments), de Johann-Christian-Friedrich Hölderlin, mise en scène de Bernard Sobel
Prix Musique
Grand Prix (meilleur spectacle musical de l’année) ex aequo
Manru, d’Ignacy Jan Paderewski, direction musicale de Marta Gardolińska, mise en scène de Katharina Kastening
L’Annonce faite à Marie, de Philippe Leroux, direction musicale Guillaume Bourgogne, mise en scène de Célie Pauthe
Prix Claude-Rostand (meilleure coproduction en régions et européenne)
On purge bébé, de Philippe Boesmans, direction musicale de Bassem Akiki, mise en scène de Richard Brunel. Théâtre de la Monnaie et Opéra de Lyon
Prix de la meilleure scénographie
Fabien Teigné pour Faust, de Gounod, direction musicale de Pavel Baleff, mise en scène de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche. Opéra de Limoges
Prix de la création musicale
Concerto pour violon n°2 « Scherben der Stille », d’Unsuk Chin
Prix de la personnalité musicale de l’année
Aziz Shokhakimov, chef d’orchestre, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg
Prix de la révélation musicale de l’année
Jodyline Gallavardin, pianiste
Prix du meilleur livre de l’année sur la musique
Compositrices, l’histoire oubliée de la musique, Guillaume Kosmicki. Éd. Le mot et le reste
Prix de la meilleure initiative pour la diffusion musicale (répertoires et publics)
Présences compositrices, centre de recherche et festival porté par Claire Bodin
Prix danse
Grand Prix (meilleur spectacle chorégraphique de l’année)
L’envahissement de l’être (danser avec Duras), de Thomas Lebrun
Prix de la personnalité chorégraphique
Christophe Martin, directeur artistique du Festival Faits d’hiver
Prix de la meilleure interprète
Samantha van Wissen dans Giselle…, de François Gremaud
Prix de la meilleure performance
One Song, de Miet Warlop
Prix du meilleur livre sur la danse
Sortir du cadre, de Marie-Agnès Gillot. Éd. Gründ
Prix du meilleur film sur la danse
Dancing Pina, documentaire de Florian Heinzen-Ziob. Production Fontäne Film. Dulac Distribution
Prix de la révélation chorégraphique
Amalia Salle pour Affranchies. Festival Suresnes Cités Danse 2023
Prix de la meilleure compagnie
CCN-Ballet de l’Opéra national du Rhin
Prix pour l’ensemble d’une carrière
Claude Brumachon et Benjamin Lamarche