Dans son précédent spectacle, Chaplin, 1939, Cliff Paillé mettait en lumière le processus de création du film Le Dictateur. Il y explorait les tourments de l’artiste, ceux de la création comme de la conscience politique, et surtout ceux de son âme. Dans son nouveau spectacle Un soir chez Renoir, le prisme choisi est celui de la dualité entre les idéaux artistiques et les réalités du quotidien.
Un révolutionnaire
Quand on évoque le peintre Auguste Renoir, les premières impressions qui nous viennent, en plus de ses grandes toiles figurant les guinguettes des bords de Marne, sont ses innombrables portraits. Ces derniers, souvent le résultat d’une commande, dépeignent la société bourgeoise de son temps. Le peintre en commit beaucoup ; c’est grâce à eux qu’il fit vivre sa famille. Ce qui lui fera dire que « l’arrivée de la photographie, c’est tant pis pour le peintre et tant mieux pour la peinture ». Phrase tirée de Pierre-Auguste Renoir, mon père, le livre de son fils Jean, l’illustre réalisateur. Mais on oublie trop souvent la place que grand artiste a occupé au sein d’un mouvement artistique qui bouleversa les beaux-arts, l’impressionnisme.
Nous sommes en plein hiver de l’année 1877. Renoir reçoit dans son atelier ses amis, Degas, Monet et Morisot. L’objet de cette réunion est la préparation d’une grande exposition regroupant des artistes indépendants. C’est-à-dire des peintres non reconnus par les instances officielles. Si aujourd’hui, leurs œuvres font les délices des grands musées et des boîtes de biscuits, à l’époque, ils étaient considérés comme des « barbouilleurs ». Zola, à la demande de Renoir, s’est joint à eux. L’ami d’enfance de Cézanne, critique d’art à cette époque, est là pour soutenir le jeune Renoir, qui va annoncer à ses amis qu’il les lâche et qu’il exposera au Salon officiel. Il bascule chez l’ennemi, parce qu’il meurt de faim ! Explications et règlements de comptes vont faire exploser le groupe.
Une palette de sentiments
Degas (Sylvain Zarli, impeccable), intransigeant et dictatorial, refuse tout compromis. L’art avant tout ! Facile quand on n’a pas de problèmes d’argent. Tout comme Berthe Morisot (Alice Serfati, touchante). Mais elle rappelle à ses amis que son problème, à elle, c’est d’être une femme en plus d’une artiste ! Ce qui, à l’époque, n’est pas une sinécure. Monet (Elya Birman, exceptionnel), la tête dans ses lumières et ses couleurs, comprend les deux points de vue, tout en reconnaissant qu’il en a également un peu marre d’être un sans-le-sou. Quant à Zola (Alexandre Cattez, irréprochable), il tente, sans trop prendre de coup, d’arbitrer les échanges. Pour parfaire le débat, l’homme du peuple se devait d’avoir aussi la parole et c’est une femme qui la prend par la bouche de la gentille Crémière (Marie Hurault, poignante) qui sans le savoir, en leur donnant des vivres leur sert de Mécène.
Après avoir incarné brillamment Charlie Chaplin, Romain Arnaud-Kneisky endosse avec tout autant de talent les frusques du jeune Auguste. Si l’on retrouve l’énergie, les fébrilités et la souplesse de Charlot, il n’empêche que le comédien a su rendre les déchirements intimes de l’artiste.
Une toile de maître
Connaissant bien son sujet, l’auteur a imaginé un échange, très réaliste. On est suspendu à leur propos. Dans ce magnifique décor, tel celui décrit par Aznavour dans La Bohème, sa mise en scène est impeccable. Tout est réglé au millimètre dans cette montée en crescendo des humeurs. Les tables qui s’écroulent, les chaises qui tombent, les coups de poing donnés. Tel un impressionniste, jouant sur le mouvement et les couleurs, Cliff Paillé réussit à nouveau son coup. La salle du Théâtre Rouge du Lucernaire est pleine à craquer et les applaudissements fusent à la fin de la représentation.
Marie-Céline Nivière
Un soir chez Renoir, texte, mise en scène et scénographie de Cliff Paillé.
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Jusqu’au 11 juin 2023.
Du mardi au samedi à 19h, dimanche à 16h.
Durée 1h15.
Avec Romain Arnaud-Kneisky, Elya Birman, Alexandre Cattez, Marie Hurault, Jeanne Ros, Alice Serfati, Sylvain Zarli.
Direction d’acteurs Marie Broche.
Lumière de Yannick Prevost.
Costume Maxence Rapetti.