Divine pour les uns, archétype de la diva pour les autres, Sarah Bernhardt a marqué à jamais le théâtre et une époque. Appelée par Victor Hugo « la voix d’or », la tragédienne, croquée par Mucha, photographiée par Nadar, n’a de cesse d’alimenter les plus folles rumeurs, même cent ans après sa mort.
De Belle-Île-en-Mer où elle passait les mois d’été à son hôtel parisien sis au 56 boulevard Perreire, des tranchées où elle allait redonner par sa présence du courage aux soldats,aux grandes tournées américaines qui ont fait sa renommée internationale, celle pour qui Jean Cocteau a inventé l’expression « monstre sacré » a su, au fil de ses caprices, de ses audaces, créer de son vivant sa propre légende. Brûlant les planches, faisant feu de tout bois, vivant uniquement pour la scène, qui était la femme derrière l’actrice de génie, qui savait pleurer comme personne et jouait aussi bien l’Aiglon que Phèdre, Hamlet ou Médée ?
À travers le personnage de Susan, qui fut le temps d’une soirée sa maîtresse avant de devenir sa dame de compagnie, sa femme à tout faire, histoire de garder à sa portée l’objet de sa passion dévorante, Régine Detambel invite à entrer dans l’intimité des dernières années de Sarah Bernhardt. Tignasse rousse indomptable, jambe amputée suite à une mauvaise chute, la divine n’a rien perdu de sa superbe, de son aplomb. Capricieuse, extravagante, enjôleuse, enfantine autant que cruelle, la tragédienne reste fidèle à sa devise, « quand même », et refuse tout compromis.
Une star avant l’heure
Sans concession avec les uns, généreuse avec son bel amant, un médiocre comédien dont elle s’est entichée jusqu’à l’aliénation, ainsi qu’avec son fils, l’icône est ici peinte à l’image de sa démesure. Toujours excessive, elle croque la vie jusqu’à l’épuisement. Refusant de se ménager, égoïste, elle demande à sa petite troupe, amis comme employés, d’être corvéables à merci, quitte à se sacrifier pour sa gloire, pour quelques pièces d’or sonnantes et trébuchantes, pour que son étoile brille toujours un peu plus fort. Sarah est multiple, complexe. Elle ne va jamais où on l’attend. La femme surprend, l’actrice qui ne meurt comme personne, toujours, domine.
Style direct, plume légère, l’écrivaine dresse le portrait sans retouche d’une comédienne attachante autant qu’horripilante, lumineuse autant que ténébreuse. Star en avance sur son temps, la tragédienne n’a rien de banal, de commun. Elle consume tout ce qui l’approche de trop près. Prenant le parti de raconter la femme à travers les yeux de son souffre-douleur, Régine Detambel montre un envers du décor écorné où le glamour cache un personnage excentrique à l’humeur changeante, manipulatrice et changeante. En parallèle de l’exposition, Et la femme créa la star, que lui consacre jusqu’au 27 août 2023, le Petit-Palais, une manière de découvrir autrement la Bernhardt…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Sarah quand même de Régine Detambel
éditions Actes Sud
172 pages
parution mars 2023
prix conseillé 19 €