De passage ce début mai au Théâtre de Poche d’Hédé-Bazouges dans le cadre de la saison délocalisée du Centre culturel suisse à Paris, Joël Maillard déjoue l’ironie facile dans un seul-en-scène drôle et efficace. À voir au Train Bleu, dans le Off d’Avignon, cet été.
©David Gagnebin de Bons
Territoires éloignés, le stand-up et le théâtre contemporain peuvent compter sur quelques explorateurs aventureux pour joindre leurs deux rives. Certes, des salles comme le Rond-Point, à Paris, n’ont pas peur de mettre à l’honneur un art souvent cantonné aux comedy clubs et à la diffusion télévisuelle face à un public de théâtreux. En revanche, pour des artistes venus de l’art dramatique et non des petites scènes du rire, endosser la casquette d’humoriste est toujours un pari risqué.
Sur les affiches du beau Théâtre de Poche d’Hédé-Bazouges, à une demi-heure de Rennes, le titre du spectacle de Joël Maillard a de quoi faire peur. Il reprend à son compte ce mot en vogue, « résilience ». Lequel, dans certains contextes, ne réfère à rien d’autre qu’un concept au dos large servant à occulter l’indigence politique qui produit en premier les traumatismes sociaux et environnementaux. L’auteur y ajoute un « cul » qui augure d’un détournement satirique à gros sabots qui ne vaut pas tellement mieux que son envers. Mais il n’en est rien, et cette annonce faussée fait déjà partie de la blague, en même temps qu’elle sert d’appât vers un spectacle qui se dévoile plus personnel que prévu : « mon cul » au carré.
Ligne de crête
Au lieu d’attaquer de front l’angoisse civilisationnelle, Joël Maillard l’aborde en biais. Et dans la ligne de crête qu’il tient tout du long, se tenant au bord du flop et de la sous-critique pour pouvoir s’en jouer, le comédien laisse filtrer une fragilité autrement plus sérieuse et substantielle. Il se dévoile alors comme une présence charismatique, voire parfois machiavélique, et fébrile dans le même temps.
Sans décor, sans artifice, sans autres accessoires qu’un micro, une perruque et un clavier, l’artiste s’en tient à peu près au minimum du seul-en-scène comique. L’affirmation centrale de la pièce consiste à se maintenir dans le territoire du stand-up sans qu’un geste ostentatoire ne vienne désavouer cet appareil modeste. Et son premier mérite réside a fortiori dans sa capacité à décrocher des éclats de rire au public tout du long — à rester fidèle, donc, au parti-pris initial. Pour autant, Résilience mon cul n’est pas non plus un spectacle informe. Dans la logique de son texte comme dans les jeux poétiques et psychédéliques que celui-ci produit à la scène (des prophéties qui finissent par s’accomplir, un moment d’enroulement-déroulement du sens guidés par le fil du micro), il donne à voir un principe d’invention tournant à plein régime, qui tend alors vers un théâtre plus conceptuel, mais avec une âme, et sans jamais montrer les muscles.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Hédé-Bazouges
Résilience mon cul de Joël Maillard
Festival Off Avignon – Théâtre du Train Bleu
40 rue Paul SaÏn 84000 Avignon.
Du 7 au 26 juillet 2023 à 15h50, relâche les 13 et 20 juillet.
Durée 1h15.
Théâtre de Poche
2 rue St-Louis
35630 Hédé-BazougesLes 4 et 5 mai 2023
Durée 1h15
Tournée
Le 3 octobre 2023 à MA scène nationale, Montbéliard, FR
Du 17 au 19 janvier 2024 au Théâtre Nouvelle Génération, Lyon, FR
Écriture, mise en scène et interprétation : Joël Maillard
Dramaturgie, maïeutique et motivation : Lou Ciszewski, Marie Ripoll
Arrangemens et son : Charlie Bernath, Louis Jucker
Lumière : Nidea Henriques
Costume : Coralie Chauvin
Production, administration, diffusion : Tutu Production pour la compagnie SNAUT