Le soleil brille en ce samedi après-midi sur la préfecture de Moselle. Les nuages noirs et la pluie de la veille semblent avoir été chassés par la présence lumineuse et haut en couleur des artistes venus d’Italie. Au QG, sur l’esplanade derrière l’Arsenal, le public profite du beau temps, partage ses impressions sur les débuts du festival, grignotent quelques antipastis ou dégustent un café, un verre de vin. L’ambiance est chaleureuse, bon enfant. Souriante, une charmante hôtesse fait le tour des tables pour annoncer le début imminent du prochain spectacle Cruda de la circassienne argentine Constanza Sommi.
Entrer dans le moule
Sur la terrasse de l’Arsenal, une jeune femme s’échauffe. Sous les encouragements de son coach et les commentaires quelque peu désobligeants et acérés d’un journaliste sportif, elle tente de faire bonne figure. Elle a perdu de sa superbe et n’est plus étoile de la gym acrobatique. Soumis à des entraînements de plus en plus poussés, pour être la meilleure, la plus belle, pour avoir la silhouette parfaitement musclée de championne, son corps a fini par lâcher-prise. Gourmandises, troubles alimentaires, elle s’est réfugiée dans des addictions, des formes d’aliénation. Avec humour noir et autodérision sans concession, l’artiste se livre à cœur ouvert dans une performance drôle autant que cruelle. Jouant des cerceaux, faisant un tour de roue Cyr, elle tourne et virevolte comme une lionne en cage, enfermée dans les règles imposées par une société qui juge en permanence et sa propre incapacité à les dépasser.
Aux corps imparfaits
Un peu plus tard, dans la salle de l’esplanade de l’Arsenal, la chorégraphe turinoise Silvia Gribaudi invite à une séance d’aérobic hors-norme. S’intéressant au rôle social du corps des femmes, elle offre à la comédienne napolitaine Claudia Marsicano, un seule-en-scène décalé, intelligent, drôle et participatif. Plus proche des femmes peintes par le peintre colombien Fernando Botero que celles photographiées dans les magazines de mode, l’artiste XXL est une nature, une show-woman de haut vol. Vêtue d’un simple maillot de bain vert, elle déboule sur scène, s’improvise prof de yoga et entraîne le public dans une sorte de cours collectif, où quittant sa place de spectateur pour devenir acteur, il opère un changement de point de vue radicale. S’affranchissant du regard de l’autre, il lève les bras, se trémousse le popotin à l’unisson et fait corps avec la performeuse.
Traversée par les musiques de Lady Gaga, Bach ou de Liz Green, Claudia Marsicano brise le quatrième mur, ose tout avec une générosité et une énergie folle. Précision du geste, souplesse du mouvement, elle habite la scène avec grâce, drôlerie et poésie, révolutionne notre vision du corps et se livre à une interprétation grimaçante autant qu’époustouflante du hit de Britney Spears, Toxic. Véritable coup de cœur de ce début de festival, R.OSA – 10 esercizi per nuovi virtuosismi a tout de l’œuvre culte. Souhaitons-lui de tourner encore et toujours pour chambouler nos certitudes et mettre en pièces nos préjugés.
Sépulcrale était l’eau
Lentement, la nuit s’installe. Devant l’Église Saint-Pierre-aux-Nonnains, les festivaliers se préparent pour assister à une représentation d’Abysses de Davide Enia, mis en scène par Alexandra Tobelaim. S’emparant des mots de l’auteur italien, représentant de la seconde génération du théâtre-récit, la directrice du CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est plonge dans les eaux troubles et hadales de la Méditerranée pour donner corps à la tragédie des migrants, au quotidien mortifère de l’île de Lampedusa. Porté par le comédien Solal Boulouldnine et la musicienne Claire Vailler, le spectacle conte l’histoire d’un homme qui, pour en finir avec le silence de son père, les non-dits familiaux, confronte ce dernier à l’horreur d’un drame qui se joue aux portes de l’Europe, d’une réalité que personne ne veut voir, celle de ces enfants, de ces femmes, de ces hommes qui ont quitté leur pays, fui la guerre pour subir tous les outrages, tous les sévices dans l’espoir de lendemains meilleurs. L’heure n’est plus aux rires, mais aux larmes. Si la mort est omniprésente, c’est une ode la vie qui se dessine en filigrane.
La nuit comme manteau
La journée s’achève sur une performance de Silvia Costa. Inventive et ingénieuse, l’artiste italienne propose, avec Midnight Snack, une immersion onirique dans un monde de lenteur inspiré par l’œuvre poétique d’Amélia Rosselli, un univers burtonnien qui revisite de manière décalée le quotidien aliénant d’une femme au foyer. Bigoudis sur la tête, tailleur de papier, l’artiste pluridisciplinaire se meut au ralenti sur un sol de carton et donne à cet ovni théâtral une dimension tragicomique d’une belle intensité.
Le temps de se quitter est venu. La nuit, déjà bien avancée, s’annonce propice aux rêves, aux réflexions sur le monde, sur la société. Le pari de Benoît Bradel de faire voyager les festivaliers à travers l’Europe, de dépasser la notion de frontière, de réveiller les consciences et d’en finir avec certaines idées préconçues est clairement reçu. L’édition 2023 démarre en trombe et devrait poursuivre sa route sur cette même lancée !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore Envoyé spécial à Metz
Passages Transfestival – Transitalia
Du 5 au 21 mai 2023
57000 Metz
Crueda de et avec Constanza Sommi
QG
Esplanade de l’Arsenal
3 avenue Ney
57000 Metz
Les 7, 10 et 11 mai2023
Durée 35 min
Mise en scène de Sara Desprez
Regards clownesques de Sky de Sela
Regards ponctuels de Benjamin Renard, Noémie Armbruster, Christine Daigle et Carmen Tagle
Création lumières de Thibault Condy
Technique de Thibaud Rocaboy / Thibault Condy
R.OSA – 10 esercizi per nuovi virtuosismi de Silvia Gribaudi
QG
Salle de l’Esplanade
L’Arsenal
3 avenue Ney
57000 Metz
le 7 mai 2023
durée 55 min environ
Concept, chorégraphie et mise en scène de Silvia Gribaudi
avec Claudia Marsicano
Lumières de Leonardo Benetollo
Costumes d’Erica Sessa
Conseillers artistiques d’Antonio Rinaldi, Giulia Galvan, FrancescaAlbanese, Matteo Maffesanti
Abysses de Davide Enia
QG
Église Saint-Pierre-aux-Nonnains
1 rue de la citadelle
Traduction d’Olivier Favier
Mise en scène d’Alexandra Tobelaim
Avec Solal Bouloudnine et Claire Vailler
Composition musicale de Claire Vailler et Olivier Mellano
Scénographie d’Olivier Thomas
Création lumière d’Alexandre Martre
Régie son et régie générale d’Emile Wacquiez
Midnight Snack de Silvia Costa
QG
Lieu secret
Durée 40 min
Scénographie et performance de Silvia Costa
Son de Claudio Rocchetti
