Paysages partagés de Caroline Barneaud © Léonard Rossi
Léonard Rossi

Land art en mouvement à Lausanne

Au Théâtre de Vidy, avant de partir pour l'arrière pays avignonnais, Caroline Barneaud présente sa randonnée spectacle, "paysages partagés".

Paysages partagés de Caroline Barneaud © Léonard Rossi

Le théâtre Vidy a proposé à différents artistes-musiciens, metteurs en scène de créer une œuvre dans la nature. Une expérience qui sera reprise dans différentes villes. Prochaine étape en juillet au Festival d’Avignon.

© Léonard Rossi

« Porter les outils du théâtre dans un lieu naturel et poser le processus créatif, la pensée des artistes dans un paysage. » Drôle d’idée ? Drôle d’endroit ? Drôle de rencontres, singulières et plurielles ? Comment partager des paysages ? On le fait tous, en ville comme en pleine nature sans y réfléchir. La proposition du théâtre Vidy à Lausanne est un peu folle mais où, sinon dans le « paysage » artistique, pourrait-elle prendre forme(s) ? Caroline Barneaud, directrice des projets au théâtre Vidy-Lausanne et le metteur en scène Stefan Kaegi ont imaginé sur ce thème une étrange bal(l)ade qui dure environ sept heures, pauses comprises, ponctuée d’interventions dans des paysages très différents — sous-bois, prairies, champs, clairières — appartenant au même site de la plaine de Mauvernay à Lausanne.

Par-delà les forets
Paysages partagés de Caroline Barneaud © Léonard Rossi
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L’invitation est multiple et dure entre dix et quarante minutes pour chacune des sept pièces. Le pari est le suivant : tout se déroule là, « sur le motif », comme en peinture. Dans la nature, celle habitée par les animaux, oiseaux, insectes parmi d’autres, par la flore — fleurs, herbes hautes ou pas, arbres, wallons, plaines, champs, pluie et soleil, celle traversée par les invités, les humains. Dehors, le corps des artistes, le corps des voix, le corps des images et celui des spectateurs répartis en différents groupes qui s’égaient à travers les chemins ! La machinerie solaire joue le piano des éclairages. Le jour éclaire, offre des espaces d’ombres, illumine des sous-bois ou descend sa clarté à même le sol. Et la météo rappelle qu’ici tout est vivant. Un Land-art en direct.

Il a donc fallu définir le concept, choisir les artistes et déterminer les lieux. « La plaine du Mauvernay s’est imposée, déjà partagée par les agriculteurs, les forestiers, les cavaliers et les familles, explique Caroline Barneaud. Un lieu facilement accessible. Les artistes ont parlé de leurs préférences et une fois les choix faits, Stefan Kaegi et moi avons construit la dramaturgie de la journée. Le thème de la relation qu’on entretient à ce qui nous entourent et au vivant m’obsède depuis longtemps. Quel peut-être le rôle de l’art ? Vouloir représenter le paysage est déjà considérer qu’on n’est plus vraiment dedans… Cette question du vivant et de sa représentation permet d’éclairer nos relations à la nature. La question de la distance au vivant entre nous et la nature se pose dans chacune des propositions, que ce soit pour la réduire ou pour constater combien elle est grande. Dans la pièce de Begüm Erciyas et Daniel Kötter, la réalité virtuelle nous fait décoller du sol, nous voyons le territoire d’en haut comme si on était extrait de la nature. C’est le cas de la politique agricole commune aussi : peut-on vraiment partager des territoires depuis un bureau, des statistiques et des cartes. C’est ce dont parle la pièce d’Émilie Rousset. ».

Des formes plurielles
Paysages partagés de Caroline Barneaud © Léonard Rossi
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Pas de danse chorégraphiée dans ces paysages. « L’une des dimensions de notre projet repose sur l’implication des performers locaux pour chaque pièce et l’autre donnée est la participation internationale des villes qui l’accueillent. À chaque lieu, de nouveaux interprètes. Nous ne pouvions pas avoir de grandes pièces de danse qui n’auraient peut-être pas pu être reprises professionnellement. Toutefois, la danse n’est pas absente, les artistes portugais Sofia Dias et Victor Roriz, qui ont toujours travaillé sur le rapport du texte et de la danse, font danser le public. » Si l’on accepte l’idée que danser se résume à lever les bras et donner un bâton à son voisin, pourquoi pas…

La faiblesse et la force des pièces se révèlent encore plus fortement dans ce cadre inhabituel. Certaines, comme celle d’Émilie Rousset, très réussie, où il est question de la fameuse PAC, politique agricole commune, la profondeur du champ d’où partent les protagonistes qui s’adressent à nous assis face à eux, répercute la profondeur du champ théâtral et le plaisir naît déjà de cette heureuse confusion. La metteuse en scène joue vraiment avec les codes de l’extérieur : elle prend en compte tous les éléments (même la pluie) et ne se contente pas de plaquer quelques images convenues attendant que la nature fasse le reste.  De même, dans la composition musicale magnifique de l’américain Ari Benjamin Meyers, l’irréel et le réel se rencontrent. La force de la musique, la présence cachée, devinée puis révélée des quatre musiciens dans les champs ou bois avec leur trombone ou flûte, est à chaque fois une surprise, car la beauté de la nature doucement mouvante et des notes est stupéfiante. Meyers a composé sa musique comme un continuum — et non un intermède — qui se manifeste après chaque performance, une mosaïque ensorcelante par ses volutes qui en appellent à tous les sens, dans tous les sens. 

Des créations renouvelées in situ 

Dans Paysages partagés, hormis les décors de la nature et les pièces, le public joue aussi un rôle, comme les colonies de fourmis ou les branches secouées par le vent : le groupe arpente ces terres, se resserre, se défait, s’élève par la magie virtuelle, nulle caméra pour filmer ces essaims qui dessinent eux aussi un paysage. Le vent, la pluie, le soleil, l’herbe, la terre : tout concourt à rappeler où nous sommes, à l’intérieur d’un décor et à l’extérieur d’un cadre, présents ou absents à ce qu’il se passe, selon ce que l’on ressent. Une façon de nous poser (la question) : comment trouver sa place au milieu d’un univers en constant mouvement et mutation certaine ? Dans les espaces autour du village de Pujaud, près d’Avignon, le paysage sera minéral, à Berlin, en août 2023, il sera urbain, et qu’en sera-t-il à Lisbonne, Milan, en Autriche, en Slovénie et en Espagne, autres étapes qui se dérouleront en 2024 ? En attendant juillet et la chaleur du Festival d’Avignon, Paysages partagés se partagent dans cette belle forêt à Lausanne, chaque dimanche jusqu’au 18 juin. Une expérience où la perception du temps change aussi nos habitudes.

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Lausanne

Paysages partagés de Caroline Barneaud et Stefan Kaegi
Théâtre de Vidy
venue Jaques-Dalcroze 5
1007 Lausanne
Suisse
du 14 mai 2023 au 18 juin 2023
Durée 7h environ

 le 31 mai, conférence et discussion au Vidy théâtre.

Tournée
Du 7 au 16 juillet, Festival d’Avignon, au village de Pujaut
En août au Berliner Festspiele


Conception et curation – Caroline Barneaud, Stefan Kaegi
Avec les performances de Stefan Kaegi (Rimini Protokoll), metteur en scène suisse et allemand  et co-curateur de Paysages Partagés invite le public à s’allonger, casque aux  oreilles pour écouter une conversation entre météorologiste, spécialiste des forêts, psychanalyste et une enfant,dont le point de départ est « être allongé… »
L’artiste turco belge Begüm Erciyas et le réalisateur allemand Daniel Kötter proposent aux  spectateurs de réfléchir sur les techniques d’imagerie militaire et à expérimenter la réalité virtuelle.
Les performers portugais Sofia Dias et Victor Roriz font danser le public dans la forêt.
La française Emilie Rousset convie des spécialistes à témoigner de leurs expériences.
Les italiens Chiara Bersani et Marco d’Agostin ont créé avec le performer Swan Muller une partition sur le corps en situation de handicap.
El Conde de Torrefiel, collectif espagnol de Tabya Beyeler et Pablo Gisbert, installe le public face à un écran en plein champ et donne la parole à la nature.
Le compositeur américain Ari Benjamin Meyers  a composé quatre pièces réunies sous le titre « Unless » qui évoquent l’air, les oiseaux, le sol et les arbres. 

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