Le soleil du midi se fait timide. Au loin, le ciel se fait menaçant, mais il en faut bien plus pour altérer la bonne humeur de Chloé Tournier. Arrivée en 2021 à la tête de la scène nationale, la jeune femme insuffle à ce théâtre une énergie communicative et une vitalité joyeuse. Dans le hall d’entrée, l’équipe, tout sourire, accueille les festivaliers, les guide et dévoile l’alléchant programme de la journée : différents ateliers culturels et artistiques auxquels chacun peut participer selon ses moyens. Ici, les tarifs sont solidaires et s’adaptent aux revenus. L’important est de découvrir le lieu, d’échanger, de partager une expérience. Au vu du monde présent en ce samedi, le pari est clairement réussi.
Des tortellinis comme à la casa
Midi sonne, les ventres gargouillent. De la salle de spectacle s’échappent des odeurs de ragoûts de grand-mère, des fragrances d’enfance, celles de longs dîners familiaux, qui font saliver les papilles. Voix chantante, accent italien des plus charmants, Stefano Pasquini, dit Pasqui, invite les convives — pas plus de vingt-sept — à pénétrer dans son antre par les coulisses. Il faut un peu de temps pour s’habituer à la pénombre. Seules quelques bougies placées çà et là éclairent cette cuisine italienne reconstituée.
Avec force détails, l’hôte et sa compagne, l’épatante Paola Berselli, ont reconstitué leur lieu de vie. Un ami s’affaire aux fourneaux : c’est le grand maître de la sauce verte, qui accompagne le secondo piatto. Installé en U comme pour un banquet, le public prend ses marques, observe avec curiosité les différentes étapes d’un cérémonial bien rodé et écoute avec avidité les histoires de ces deux amoureux de la terre, deux piémontais qui ont fait de leur quotidien commun — plus de 30 ans — un conte où le banal à des airs d’extraordinaire.
Portés par leurs mots, enivrés des effluves de bouillon de viande qui envahissent l’espace scénique, sustentés par le goût exquis de tortellinis al dente, les spectateurs conquis laissent courir leur imagination. Loin du théâtre, c’est tout un monde de ruralité généreuse et accueillante qui se dessine. Derrière les photos vieillies et les murs de placo, les terres de la ferme de l’Arriette, près de Bologne, d’où viennent nos deux tourtereaux. Et au détour d’une phrase, le sommet le plus proche, balade dominicale préférée de Paola, offre, dans la pénombre, son plus beau panorama. Le voyage est aussi humain que gustatif !
Les vertus de la Durance
Elle coule à quelques encablures de la Garance, se faufilant entre les monts et les vergers. Elle nourrit la terre et tout ce qu’y pousse. Omniprésente, la Durance, source de vie, offre des paysages à couper le souffle. De cette nature vibrante, Floriane Facchini s’inspire pour créer son banquet convivial, Cucine(s). D’origine italienne, l’artiste met en scène un repas, un moment unique, où le public part, à travers des mets de choix, à la rencontre d’un territoire, de pratiques agricoles soucieuses de l’environnement, des personnalités hautes en couleur qui font l’histoire d’un lieu, d’un terroir.
Quand on entre dans la salle du théâtre — la météo capricieuse ayant obligé le repli en intérieur cette expérience gustative, qui, à l’origine, devait se tenir sur les hauteurs du village d’Orgon, en plein le massif des Alpilles —, tout est déjà installé. À la manière d’un repas champêtre, tables en bois couvertes de fleurs, bancs et guirlandes évoque les fêtes de village, les grands moments de ripaille.
À regarder cela de loin, tout paraît si simple. Pourtant, c’est un travail de longue haleine mené durant dix-huit mois par Floriane Facchini. Enregistreur à la main, conseillée par les équipes de la Garance et de leur partenaire sur ce projet, le Citron jaune — Centre national des Arts de la Rue et de l’Espace public, elle est allée par les chemins à la rencontre de petits producteurs, de bergers, d’une passionnée de botanique, d’une maraîchère et d’une cueilleuse, lesquels font la singularité de la vallée de la Durance. Chacun à sa manière a ciselé et sculpté ce repas-spectacle. Il est possible d’y goûter des mélanges de fleurs comme le coquelicot ou le mélilot, du chénopode ou de l’oxalis, des feuilles de cerisiers et de la gelée de pèbre d’aï.
Entre les paroles des uns, les récits des autres et les histoires des anciens, Cucine(s) est une invitation au voyage des sens, certes peu théâtrale, mais dont la portée se fait sentir bien au-delà de l’art vivant. C’est tout un monde de culture et de partage qui s’offre aux participants de cette singulière expérience.
C’est repus et heureux que les festivaliers quittent la Garance, avec, on l’espère, le désir d’y revenir pour découvrir d’autres spectacles et performances…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Cavaillon
Festival Confit !
La Garance
Rue du Languedoc
84306 Cavaillon
Jusqu’au 14 mai 2023
Mariage d’hiver
Cie Teatro delle Ariette
Conception de Paola Berselli et Stefano Pasquini
avec Paola Berselli, Maurizio Ferraresi, Stefano Pasquini
mise en scène de Stefano Pasquini (version française)
Cucine(s) de Floriane Facchini & Cie
Conception, enquête et mise en scène – Floriane Facchini
scénographie de Roberta Pracchia, Floriane Facchini et Manu David
décor tablée de Roberta Pracchia, et Floriane Facchini
c’est aussi un travail d’équipe. Merci à
Thomas Ferrand, artiste et botaniste.
Cécilia Olivieri et Zoé Juget, cuisinières.
Manu David, régisseur général et constructeur de la grande tablée
Roberta Pracchia, scénographe et plasticienne
Mattieu Delaunay, créateur sonore
Clément Martin, photographe
Geoffroy Pithon, dessin et écriture graphique