Faire jouer ensemble de jeunes comédiens par-delà les frontières, c’est le pari de NÓS / NOUS, un projet initié en 2021 à l’initiative de quatre théâtres, dont les Célestins. Pour la deuxième édition, Claudia Stavisky, directrice du théâtre lyonnais, les met en scène dans un spectacle faisant se rejoindre la France, la Galice et le Portugal.
© Malika Mihoubi & Loïc Xavier
Alors qu’elle s’apprête à quitter en juillet prochain le théâtre des Célestins, une maison qu’elle a habitée avec fougue et passion depuis plus de vingt ans, Claudia Stavisky prépare sa transmission. Dans les locaux de l’Ensatt, dans le cadre du projet européen NÓS/NOUS, elle travaille actuellement avec huit élèves comédiens sur l’Iphigénie de Tiago Rodrigues. La distribution est francophone, lusophone et hispanophone. De quoi augurer d’un voyage interculturel passionnant. Mais pour Stavisky, c’est aussi un échange entre générations. Indéniablement, cet au revoir aux Célestins ouvre de nouveaux horizons.
Comment est né ce projet ?
Claudia Stavisky : Le projet est le fruit d’un dispositif européen mis en en place en 2021 à l’initiative de quatre théâtres — les Célestins, le Centro Dramático Galego à Saint Jacques de Compostelle, le Teatro Nacional D. Maria II à Lisbonne et le Teatro Nacional São João de Porto — et quatre écoles supérieures d’art dramatique — l’Ensatt à Lyon, l’ESADg à Vigo, l’ESTC à Lisbonne et l’ESMAE à Porto. Il a été pensé pour permettre aux étudiantes et étudiants de trois pays différents, en fin de parcours académique, de se frotter au travail et à l’esthétisme de créatrices et de créateurs de renommée internationale. Pour l’instant, il a été pensé sur quatre ans et nous en sommes à la deuxième année d’existence. Après Tartufo de Molière, mis-en-scène par Tónan Quito et créé le 22 juin dernier au Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne, c’est au tour des Célestins et l’Ensatt d’accueillir cette jeune troupe.
Pourquoi avoir choisi de monter l’Iphigénie de Tiago Rodrigues ?
Claudia Stavisky : Après avoir lu plusieurs pièces et cherché un texte fédérateur où les dix-huit élèves puissent participer et les huit comédiennes et comédiens ont un rôle à jouer, L’Iphigénie de Tiago Rodrigues s’est imposée comme une évidence. Au-delà de sa qualité d’écriture tout à fait extraordinaire, il y a deux choses fondamentales qui m’ont intéressée dans ce récit. D’une part, il correspond complètement à la ligne directrice que s’est donnée NÓS / NOUS, c’est-à-dire de mettre au cœur de la création l’engagement de l’artiste et que cette dernière fasse écho au monde et à la société dans lequel il vit. En cela, la pièce de Tiago est un petit bijou qui dépasse sa référence manifeste à la tragédie grecque pour traiter de la mémoire, de ce qui reste du mythe d’Iphigénie aujourd’hui dans l’inconscient et comment il a infusé près de vingt-cinq siècles plus tard dans notre culture occidentale. En évoquant l’amour, les guerres, la solidarité le sacrifice, l’assassinat, la place des femmes et le pouvoir, le texte est d’une actualité sidérante. D’autre part, et c’est essentiel pour moi, Quand Tiago l’a écrit, il venait d’être nommé au Théâtre national Maria II de Lisbonne et ne connaissait pas les comédiennes et comédiens de la troupe permanente. Il n’y a donc pas eu d’identification possible, les personnages, leur caractère, leur identité, reposent uniquement sur la mémoire que l’on a d’eux. Ainsi, il a scindé son texte en deux strates spatio-temporelles, qu’il entremêle en permanence. D’un côté il y a la narration pure, le chœur antique, et de l’autre une incarnation des personnages de la tragédie. Ce qui nous a permis d’imaginer une troisième strate, à la manière de Vanya, 42e rue, le dernier film de Louis Malle. Avec les étudiants, nous avons eu l’idée d’imaginer ainsi qu’une jeune troupe s’amuserait à répéter la pièce en vue de la monter. Ayant pris leurs quartiers de résidence dans une paillote sur la plage au nom évocateur d’« À la baie d’Aulide », la communauté d’étudiants travaille et étudie le texte les pieds dans l’eau. Ce point de départ nous offre la possibilité d’une mise en scène immersive. Le public sera installé sur le plateau, à des tables comme dans un restaurant ou un bar.
Comment avez-vous travaillé avec les étudiants ?
Claudia Stavisky : il ne faut pas oublier que le projet est avant tout un travail d’école. C’est un atelier théâtral. Je suis donc arrivée là avec une volonté qui est, fondamentalement, de transmettre à ces jeunes actrices et acteurs en passe de devenir professionnel, une vision, un regard, une manière d’aborder un texte et de le porter au plateau. L’idée n’est pas de faire à leur place, mais bien de les aider, de les guider pour construire ensemble un spectacle. C’est à la fois pédagogique et reflectif.
C’est important, pour vous, la transmission ?
Claudia Stavisky : C’est essentiel. C’est vraiment au cœur même de mon métier, que ce soit en tant que metteuse en scène ou directrice de lieu. Pendant les trente-cinq dernières années, j’ai alterné en permanence entre laboratoire et travail plus académique, plus classique. C’est tellement passionnant et formateur de transmettre mais aussi d’être à l’écoute de cette jeune génération. Il y a un vrai échange entre ce que moi, je peux leur apprendre suite à ma longue expérience et ce qu’eux peuvent me donner de leur regard neuf. On se nourrit mutuellement les uns des autres. C’est donnant-donnant. Je suis épatée par leur vivacité d’esprit, les idées qu’ils portent. En tant qu’artiste, cela me permet aussi d’évoluer, de progresser, de tenter des choses auxquelles je n’aurais pas pensé.
Le spectacle va se jouer salle Célestine en juin. Qu’évoque pour vous les Célestins, théâtre dans lesquels vous officiez depuis vingt-trois ans ?
Claudia Stavisky : C’est un lieu forcément cher à mon cœur. J’y ai vécu certainement mes plus belles aventures artistiques. Ce furent les vingt-trois années les plus pleines, les plus puissantes, les plus heureuses, aussi, malgré tous les problèmes qu’implique la gestion d’un tel théâtre. En y repensant, je dirais que c’est l’un des endroits au monde ou je me sens le plus en paix avec moi-même. Avec le temps, j’ai l’impression de faire corps avec les murs du bâtiment. Je trouve beau que l’une des dernières pièces que je monte là-bas soit un spectacle avec des jeunes artistes qui parle de transmission. C’est à la fois la fin d’un cycle, le début d’une autre. Je passe à la fois le flambeau à ces élèves comédiens et comédiennes, et à Pierre-Yves Lenoir pour la direction du lieu. Ce qui est beau aussi, c’est que finalement, le 16 juin prochain, le jour où sera jouée la pièce, est aussi celui de mon anniversaire et de mon départ.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?
Claudia Stavisky : Je me sens comme lors d’un début de création, ou comme chaque changement de cap dans ma carrière, à l’aube de sauter dans le vide à nouveau. C’est une sensation étrange, mais je l’ai tellement fait dans ma vie, que j’ai appris à aimer ce vertige. C’est terriblement excitant, un peu comme retourner à l’adolescence. Donc je crois que le plus beau que l’on puisse me souhaiter, c’est de vivre pleinement cette nouvelle adolescence.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
Iphigénie de Tiago Rodrigues
Célestins – Théâtre de Lyon
4 Rue Charles Dullin
69002 Lyon
du 16 au 18 juin 2023
Mise en scène de Claudia Stavisky
Création dans le cadre du dispositif Nòs – Nous