Onze lectures en accès libre, des textes venus d’Afrique, d’Europe ou d’Amérique : on revient sur l’édition 2023 des Zébrures du Printemps, festival des écritures francophones qui se tenait fin mars à Limoges.
Lecture de L’Obscurité de Nick Makoha dirigée par Thomas Visonneau ©Christophe Péan
Tous les ans, les Francophonies dédient leur festival de printemps aux écritures dramatiques en langue française. Au beau milieu du Limousin, et malgré un temps à rester chez soi, le public vient relativement nombreux, d’autant que le rendez-vous a ramené cette année « plein de nouveaux venus », comme s’en réjouit Alain Van der Malière, président de l’association. Ceux-ci sont venus pour entendre, dans leur diversité, des textes dramatiques, pouvant espérer que certains seront montés à la rentrée prochaine lors du second rendez-vous annuel des Francophonies, les Zébrures d’automne.
Sept autrices et quatre auteurs pour onze lectures, où l’on retrouve des noms déjà connus des festivaliers — la guyanaise Emmelyne Octavie, l’haïtienne Gaëlle Bien-Aimé ou le camerounais Marc Alexandre Oho Bambe, dit Capitaine Alexandre, entre autres. Certains d’entre eux ont été accueillis en résidence à Limoges. Se succédant dans un même lieu, ces pièces des quatre coins du monde esquissent des horizons communs, convergent à certains endroits, thématiques, forcément, mais aussi dramaturgiques et formels. Avec parfois une résonance étroite avec les problématiques du présent. C’est le cas de Léa et la théorie des systèmes complexes, du luxembourgeois Ian de Toffoli, ou le récit d’une héroïne absente, sorte de figure ultime de l’éco-anxiété. Autour de ce personnage raconté par ses proches se cristallise un portrait ingénieux du monde contemporain, dans lequel la crise familiale est rendue indissociable du destin de la fratrie Koch, magnats libertariens du pétrole, opposés diamétraux de notre proto-Thunberg.
Récits collatéraux
Du côté helvétique, Cœurs battants de Valentine Sergo réunit ses personnages dans une forêt menacée par un projet d’industrialisation. Quatre comédiens dirigés par Matthieu Roy donnent leurs couleurs à la communauté qui converge autour de Nour, interne en cardiologie qui décide de rejoindre le front de contestation. Les histoires familiales côtoient les luttes politiques. Ce sont des histoires de famille, encore, qui occupent la québécoise Danièle LeBlanc dans son texte Paysages à l’abandon. Cette pièce crépusculaire évoque le souvenir de Jo, dont le corps est retrouvé gelé en pleine forêt au bord du fleuve Saint-Laurent. Ce prétexte à la Twin Peaks fait se déployer une langue élusive, reconstituant le mystère de son personnage par touches.
On retiendra également avec plaisir Un instant d’éclat de Pierrette Mondako, exploration d’une situation collatérale : suite à un sinistre, les victimes reçoivent de l’État des dédommagements suffisamment conséquents pour reconfigurer toute la hiérarchie sociale. L’autrice congolaise se concentre surtout sur les femmes, celles qui découvrent soudainement le « plaisir d’acheter la beauté comme les femmes de la haute classe », ou qui décident, de nouvelles aspirations éveillées, de fuir leur mariage. S’opère ainsi l’autopsie efficace d’une société corsetée.
Angola-Portugal
Cette année, l’attention portée à la traduction de textes venus d’Afrique amène aussi à côtoyer des textes initialement écrits en portugais et en anglais. Ainsi, Les vivants, le mort et le poisson frit, pièce joyeuse et volubile traduite par Victor de Oliveira et Marie-Amélie Robilliard, regroupe des personnages issus de la diaspora lusophone — angolais, cap-verdiens, mozambicains ou portugais — dans le bâtiment dit de l’Immigration-Avec-Modération, et raconte leur vie par tranches drôles et foisonnantes alors que se prépare, en arrière-plan, le premier match de l’Angola pour la Coupe du Monde, contre… le Portugal.
Tout aussi polyphonique, mais plus ténébreux, L’Obscurité de l’auteur ougandais Nick Makoha, traduit de l’anglais par Isabelle Famchon, fait embarquer un enfant et sa mère au bord d’un matatu, un minibus qui doit les emmener loin de la ligne de front pendant la guerre de Libération qui opposa, entre 78 et 79, l’Ouganda à la Tanzanie. Entre ces deux œuvres non-francophones, toujours dans la belle salle de l’espace Noriac, une table ronde explore les enjeux de la traduction, animée par Laurent Mulheisen de la Maison Antoine Vitez, et éclairée par Tiphaine Samoyault, directrice d’études de l’EHESS, ainsi que Marie-Amélie Robillard, Isabelle Famchon et Sika Fakambi, traductrices. Questions de domination, d’interprétation, trouvailles linguistiques pour rendre la richesse des langues régionales des pays non-francophones d’Afrique… Autant de pistes de réflexion pour, comme toujours aux Francophonies, saisir le théâtre contemporain au-delà des frontières établies.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Limoges
Les Zébrures du Printemps
Espace Noriac
10 rue Jules Noriac
87000 Limoges
Du 20 au 26 mars 2023