La costumière Pascale Bordet, femme aux doigts de fée et à l’imagination foisonnante, qui a habillé les personnages et accompagné de nombreux comédiens dans leurs aventures théâtrales, nous a quittés ce 15 avril 2023. Adieu, chère et belle dame.
©Fabienne Rappeneau
Pascale ! Quand l’annonce de l’attaché de presse Pierre Cordier est tombée en cette fin de matinée, je n’en ai pas cru mes yeux. Toi que j’ai encore croisée, toute rayonnante de bonheur, il y a si peu de temps ! Ce crabe, que tu avais vaincu si courageusement, était revenu frapper à ta porte et tu ne nous en avais rien dit ! Et on n’a pas pu te dire au revoir et te redire combien tu étais importante pour nous, gens de théâtre et gens de ta vie. Mon cœur est tout aussi brisé qu’à la mort de Pierre Cassignard. Soixante-quatre ans, c’est encore trop jeune pour partir… Ce n’est pas juste…
La création au bout du fil
Qu’est-ce que je vais faire, moi que tu avais surnommée « la magicienne des mots », pour écrire ta nécrologie ! Mes larmes brouillent le clavier de mon ordinateur, mon cerveau mouline et mon cœur est brisé. La distanciation brechtienne ne marche plus… Tu avais encore la vie devant toi. Costumière de grand talent, tu savais habiller comédiens et comédiennes dans les beaux projets pensés par les metteurs et metteuses en scène. Tu rayonnais dans le classique et tu ne manquais pas d’idée dans le contemporain.
Tu étais une petite main, comme on dit dans la couture. Les patrons, la laize, la lisière, le biais, l’ourlet, le bâtir, le cranté, le surjet, les falbalas et le reste n’avaient aucun secret pour toi. Avec un bout de tissus et beaucoup d’amour, tu savais créer les plus beaux atours. Ce ne sont pas Jean-Luc Revol (Le roi Lear, Le chevalier et la dame), Alain Sachs (Kean), ton grand ami Jean-Paul Bordes (Michel Ange ou les fesses de Dieu) qui vont me contredire. Comme ils étaient beaux, les costumes avec lesquels tu habillais Anny Duperey dans Colombe de Jean Anouilh mis en scène par Michel Fagadau, ou ceux que tu avais imaginés pour La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux mis en scène par Didier Long. Sans oublier l’une de tes dernières créations, pour Sara Giraudeau, dans Le syndrome de l’oiseau au Rond-Point.
Au service du théâtre
Tu as œuvré, entre autres, pour Georges Wilson, Stéphane Meldegg, Francis Huster et surtout ton grand amour de théâtre, Michel Bouquet (Le roi se meurt, pour ne citer qu’une de tes nombreuses créations avec lui). La qualité de ton ouvrage a été reconnu par tes pairs, avec dix nominations aux Molières ! Mais c’était à l’époque où la catégorie du Molière du créateur de costume existait encore ! Depuis, ton métier a été mélangé avec celui de tes amis et amies décorateurs, créateurs lumières, sous l’appellation « Molière de la création visuelle »… Je t’entends encore râler à juste titre. Ton métier, costumière de théâtre, est un beau métier, et tu en as assez bien parlé dans tes livres — La magie du Costume, Cahier secret d’une costumière de théâtre, Splendeur et misère d’une costumière, Habiller l’acteur.
En 2020, tu nous avais accordé un bel entretien pour expliquer ton travail. « J’aime être au service d’un texte, raconter des histoires avec mes moyens. J’aime aider. Et le costume est là pour ça, être au service d’un spectacle. » Tu étais une dessinatrice sublime et tu ne manquais pas d’humour. Tu aimais tellement les artistes, ces fameuses « bestioles de théâtres » ! Avec une énorme tendresse, tu les avais représentés en animaux. Certaines sont même exposées sur les murs des escaliers qui mènent aux salles du Lucernaire.
Une fidélité à toute épreuve
Notre dernière longue conversation a porté sur le livre que tu m’avais envoyé, L’ami Brialy, prince des dandys. J’étais gênée. Seule une partie de cet ouvrage, Les beaux habits de Jean-Claude Brialy me semblait intéressant. Tu y racontais si bien ton étroite collaboration avec ce grand artiste. Tu avais bien compris mon ressentiment. Ce projet te tenait à cœur. Tu vois, j’ai fini par en parler !
De me dire aujourd’hui que je ne vais plus croiser ta silhouette tout de blanc vêtue, « parce que le blanc n’est pas une couleur, mais toutes les couleurs », que ton rire ne résonnera plus, et que je ne pourrai plus t’écouter me parler de ta curiosité et de ton amour indéfectible pour la race des artistes et des gens, j’ai du mal à l’accepter. Le monde du théâtre, aujourd’hui, porte le noir. Au revoir, petite abeille !