Le Grand Sommeil, Marion Siéfert ©Janina Arendt

Le Grand Sommeil, tout-en-une

Alors que s'achèvent ses dates aux Bouffes du Nord, saluons le spectacle hédoniste et malin de Marion Siéfert, qui a eu la bonne idée, bien qu'accidentelle, de donner le champ libre à une comédienne géniale, Helena de Laurens.

Le Grand Sommeil, Marion Siéfert ©Janina Arendt

Alors que s’achèvent ses dates aux Bouffes du Nord, saluons le spectacle hédoniste et malin de Marion Siéfert, qui a eu la bonne idée, bien qu’accidentelle, de donner le champ libre à une comédienne géniale, Helena de Laurens.

©Janina Arendt

Le public aura apprécié l’intrusion tonitruante, comme en contrebande, de Rihanna et son hymne Bitch Better Have My Money sous les moulures de l’auguste théâtre des Bouffes du Nord, et ce dès les premières minutes du spectacle. Contrairement à ce que son titre suggère, Le Grand Sommeil entend bien réveiller son public, et cette entrée en matière en atteste. Mais d’où vient ce nom ? Écho lointain est fait au film noir d’Howard Hawks, starring Bogart et Bacall. Quand on lui demandait d’expliquer le pourquoi du titre, Hawks répondait qu’il n’en savait rien, que de toute façon personne, de l’auteur du roman original au scénariste, n’avait le fin mot de cette intrigue criminelle retorse, et qu’ils avaient seulement cherché, de là, à rendre chaque scène la plus divertissante possible. Il y a de cela dans la pièce de Marion Siéfert, réactivée aux Bouffes du Nord plus de quatre ans après une création retentissante au théâtre de la Commune : une intrigue qui s’est égarée, et la volonté de construire le plus de jeu possible sur ses vestiges.

L’enfant grande
Le Grand Sommeil, Marion Siéfert ©Janina Arendt
©Janina Arendt

Le spectacle devait être autre chose. Par bribes, le monologue de sa comédienne Helena de Laurens aide à recoller les bouts de la pièce mort-née, une histoire de deux vampires venues voler les rêves du public. Au départ du projet, une adulte et une enfant, Helena et Jeanne. L’une est une danseuse et performeuse au crépuscule de sa vingtaine, l’autre est une écolière de onze ans. Pour les deux, c’est une première fois au théâtre. Pendant six mois, avec la metteuse en scène, elles inventent et construisent la pièce au plateau. Pendant ce temps, la médecine du travail et les psychologues voient s’additionner les heures de travail et tout ce qu’elles impliquent, pour la jeune fille, d’écart par rapport à la vie normale. Résultat : elle est écartée du projet. Marion et Helena poursuivent la route à deux.

Il y a eu un mal pour un bien. En basculant complètement sur elle-même, la pièce a ouvert un champ libre pour Helena de Laurens, laquelle se retrouve à devoir assumer non seulement son interminable silhouette dans un ensemble collant, pull et kilt rouges de femme-enfant, mais également l’esprit de Jeanne, qui n’a pas pu être là. Au face à face de l’enfant et l’adulte se substitue une partition solitaire. La comédienne devient une sorte d’hybride, incarnant l’autre sans la singer, ou plus exactement faisant se rencontrer, en son intérieur, sa propre subjectivité et celle que des mois de travail auront imprimé de la jeune fille. Lorsque Jeanne explique qu’elle a peur des grands yeux et du visage grimaçant d’Helena, elle met précisément le doigt sur le cœur battant du spectacle : ce corps flexible, mouvant et impulsif, entre la succube et la gargouille, en est la grande invention. L’« enfant grande », comme elle se surnomme, canalise en elle la femme-monstre, dégoulinante et épidermique, et la petite fille qui la regarde. Pas tant pour s’amuser à un jeu d’équivalences que pour replacer l’enfance au centre de l’adulte en tant que principe bouillonnant de liberté, moteur d’un théâtre autonome et hédoniste. Il n’en serait rien sans le regard, dérisoire en surface et sérieux en son cœur, que Marion Siéfert porte sur l’enfance. Ni sans cette comédienne géniale, mi-rabelaisienne mi-expressionniste, qui jaillit parfois sur le public des Bouffes du Nord comme si elle faisait bondir les bords de la scène tout en poussant, dans le même temps, son élasticité de comédienne.

Samuel Gleyze-Esteban

Le Grand Sommeil de Marion Siéfert
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis bd de La Chapelle, 75010 Paris

Du 12 au 21 avril 2023
Durée 1h

Conception et mise en scène Marion Siéfert
Chorégraphie Helena de Laurens et Marion Siéfert
Scénographie & assistanat à la mise en scène Marine Brosse
Lumière Marie-Sol Kim, Juliette Romens
Création sonore Johannes Van Bebber
Costumes Valentine Solé
Collaboration artistique et interprétation Helena de Laurens

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com