Au Lavoir moderne parisien, Simon-Élie Galibert présentait début avril son adaptation de J’ai fait un vœu, dernier roman en date de Dennis Cooper. Revêche et émouvante, la pièce est un voyage obscur et vertigineux à travers réels et fantasmes entremêlés.
©Jean-Louis Fernandez
Il n’est pas facile de recomposer l’histoire de J’ai fait un vœu, au-delà, peut-être, d’un squelette de propos. Mais cette maigreur à donner le vertige, appliquée au récit, n’est-elle pas déjà un motif Cooperien, à l’image des éphèbes drogués et rachitiques que l’auteur américain décrit d’œuvre en œuvre ? George Miles, le jeune homme au centre de ce texte fragmentaire, est la matrice des personnages évanescents qui traversent l’œuvre de Dennis Cooper, donnant son nom au cycle culte que l’écrivain publie entre 1989 et 2000. Dans cette première mise en scène de ce texte tardif, il apparaît comme une figure insaisissable, protéiforme, rendu presque à l’état gazeux sur un plateau hallucinogène.
Résurrection
Lorsqu’il écrit J’ai fait un vœu en 2022, Dennis Cooper réactive le nom de George Miles pour, cette fois, invoquer de front le souvenir du vrai George, ce garçon qu’il rencontrait à la sortie de l’enfance, en 1968, et qui allait se suicider en 87 à l’âge de trente ans. Le livre, composé comme un collage de vignettes, est nécessairement méta-fictionnel ; la tentative de recomposer le portrait d’un ami disloqué par la bipolarité ne s’y envisage pas sans une relecture du kaléiodoscope littéraire que l’écrivain a érigé à son souvenir une décennie durant. Sur scène, Simon-Élie Galibert place un écran de tulle entre la chambre d’adolescent de George et un avant-scène blanc en forme d’espace mental pour organiser ces aller-retours. À l’arrière, un décor naturaliste, texturé, avec son désordre teenage, ses affiches de Led Zeppelin, ses reliques d’Americana. Devant, un lieu de projection protéiforme ou les comédiens s’animent comme des fantômes ou des figures rêvées : Quentin Ehret en père Noël Décadent, Sefa Yeboah en cow-boy fétichiste. Au milieu, Vladimir Barbera intervient, lui, dans le rôle de Cooper lui-même.
De la même façon que l’écrivain passe du je au il par glissements subreptices, Galibert structure et rythme sa pièce par une série de passages et traversées d’un réel à l’autre, avec une station de radio comme courroie. Il y a des moments où George émerge de sa défonce catatonique, cheveux longs à la Kurt Cobain et fantasmes de mort dans la bouche, et d’autres où il n’en reste plus qu’un mannequin rembourré échoué sur le lit, à l’image de ces effigies que les héros de teen-movie laissent sous la couette pour tromper leurs parents lorsqu’ils font le mur. Parfois, il apparaît sous pseudonyme dans l’écran d’une chatroom, le temps de quelques messages sombres qui nous renvoient à l’internet du début de siècle. La scène devient un champ d’intensités où l’épaisseur de George Miles ne cesse de s’accroître et faiblir au gré des modulations lumineuses et des lentes traversées des corps sur le plateau.
Le cratère de Turrell
Peu à peu, ce n’est pas tant le défunt, insaisissable par essence, qui prend forme, mais plutôt les émotions qui lui survivent, un mélange de fascination, d’amour et de tristesse éperdue. Il faut accepter de passer outre un certain seuil d’opacité, une inintelligibilité de surface, pour voir s’épanouir toute la mélancolie qui gronde en souterrain. Mais alors le désordre de signes finit par sédimenter des fulgurances poétiques à l’endroit desquelles s’opère une belle fusion du texte et de la scène. Ainsi, toute la séquence métaphysique qui entoure que cristallise le cratère de James Turrell, tirée des pages parmi les plus énigmatiques et sincères du roman, qui culmine, sur fond de boucles ambient, dans une déclamation psychédélique portée aux nues par Simon Jacquard.
Diplômé en mise en scène au TNS en 2020, Simon-Élie Galibert a entamé le travail au cours d’ateliers de jeu mêlant Cooper à Lagarce dans l’école strasbourgeoise. Cette pièce, ses corps transis et ses icônes déchues se placent sous l’influence directe de Gisèle Vienne, l’exégète théâtrale désignée de l’auteur américain. Le jeune metteur en scène n’en témoigne pas moins d’une grande justesse de choix, poursuivant ainsi la constitution d’un corpus singulier et passionnant (Cooper après Tony Duvert). Il offre ainsi quelques sommets formels et émotionnels à cette élégie sublime et bouillonnante.
Samuel Gleyze-Esteban
J’ai fait un vœu d’après Dennis Cooper
Lavoir moderne parisien
35 Rue Léon, 75018 Paris
Du 29 mars au 2 avril 2023
Mise en scène Simon-Élie Galibert
Dramaturgie Tristan Schinz
Travail corporel Yumi Fujitani
Lumière Jessica Manneveau
Régie Typhaine Steiner
Avec Vladimir Barbera, Quentin Ehret, Simon Jacquard, Sefa Yeboah