Invité par Émilio Calcagno, directeur du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, à revisiter le célèbre Boléro de Ravel, Hervé Koubi signe une œuvre de groupe dans la veine de ses précédentes créations, tout en épure et fluidité. Installé depuis un an à Calais, le chorégraphe poursuit sa route hors des sentiers battus.
© Véronique Chochon
© Véronique Chochon
Comment vous êtes-vous adapté au corps du Ballet de l’Opéra Grand Avignon ?
Hervé Koubi : je ne me suis pas adapté. En tout cas, ce n’est pas une question pour moi. Ce n’est pas mon endroit. Je ne sais jamais en amont comment cela va se passer. Je laisse les choses se faire. J’ai eu la chance de travailler à partir de 2009 avec des danseurs d’origines très différentes, certains venaient de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, d’autres d’Algérie. Beaucoup pratiquaient surtout des danses urbaines, la capoeira, des courants, loin de ma formation classique et contemporaine. Ces rencontres, toutes riches et incroyables, m’ont ouvert de nouveaux horizons, la possibilité de métisser les techniques. À chaque fois, j’arrive avec mon bagage, sans aprioris et je vois ce que cela donne. Dans le cas des danseurs et danseuses de l’Opéra Grand Avignon, je savais à peu près à quoi m’attendre. J’ai suivi le même type de parcours somme toute assez classique. Toutefois, comme j’appréhendais un peu le moment de les rencontrer, je suis venu accompagné de Fayçal Hamlat, avec qui je collabore depuis 2010 (il était d’abord danseur puis est devenu mon assistant dès 2017), et deux autres de mes anciens danseurs. Cela m’a permis d’être plus serein. D’ailleurs, tout s’est passé très naturellement. C’était presque déconcertant. Même si au départ, je craignais de ne pas pouvoir les emmener où je voulais, ils m’ont prouvé que j’avais tort. Tous les artistes, sans exception, ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Ils m’ont bouleversé.
Et travailler le Boléro…
Hervé Koubi : Évidement, C’est un monument. Jamais seul, je n’aurais osé l’aborder avec ma compagnie, mais j’avoue que, secrètement, je rêvais qu’on me passe commande. Je pensais que c’était trop gros, trop ambitieux, même si j’étais intimement convaincu que je pouvais proposer quelque chose de singulier, de différent de ce qui avait déjà été fait. Mes années d’expérience, ma connaissance du hip-hop, des danses urbaines, pouvaient permettre d’amener le corps de Ballet de l’Opéra Grand Avignon ailleurs. Dans le métier, nombreux sont ceux qui estiment que chaque chorégraphe doit se frotter au Sacre du printemps ou au Boléro, comme un passage obligatoire, un exercice de style. Il est vrai que c’est irrésistible, tellement ces œuvres sont magnétiques. Si d’autres l’ont fait, pourquoi pas essayer.
Comment avez-vous travaillé ?
Hervé Koubi : En contournant, en quelque sorte la difficulté. J’ai demandé à Maxime Bodson, un musicien belge que j’ai rencontré grâce à Thierry Smits, un chorégraphe rare avec lequel j’ai eu la chance de travailler, de réarranger le début du Boléro. J’aime beaucoup sa façon de mettre en contraste la musique, comme si elle nous pénétrait, comme si elle venait de l’intérieur. Il donne une épaisseur au son, tout en conjuguant minimalisme et puissance. C’est une matière incroyable à chorégraphier.
Qu’est-ce qui a guidé votre geste artistique ?
Hervé Koubi : Avec Fayçal, qui m’a aidé tout au long de cette création, nous sommes partis de la musique, de la rythmique. Ce n’est pas toujours évident, mais là c’est tout simplement organique. Tout est dans la partition. Il n’y a qu’à la suivre pour que se dessine la ligne dramaturgique. La musique de Ravel, son mode répétitif, ressemble, en tout cas pour moi, à un enroulement, une spirale ascendante. Maurice Béjart disait d’ailleurs au sujet du Boléro, que « C’était comme de l’eau qui coule dans un lavabo. » Je trouve l’image belle, même si pour moi, j’ai l’impression que le tourbillon va dans l’autre sens. De ce fait, Je n’ai eu qu’à demander aux danseurs et danseuses de suivre ce mouvement, de se laisser porter.
Avez-vous d’autres projets en cours ?
Hervé Koubi : Oui. Avec ma compagnie. Je suis en train de répéter SOL INVICTUS, une pièce pour 17 danseurs, née suite à un laboratoire de recherche où le public était invité à venir suivre le processus créatif, à toucher du doigt comment naît un spectacle. Au départ de ce laboratoire de recherche qui est une pièce appelée Hippocampe(s), il y a deux danseurs sur scène, un enfant entre sur scène les percute, et c’est le début d’une aventure, d’une histoire. Cette pièce de recherche, cette « pièce de l’ombre » a donné la naissance à tout une matière chorégraphique que j’ai développée et déployé pour SOL INVICTUS. Avec ce spectacle c’est tout un monde que j’appelle au plateau, un mélange de nationalités, où se rassemblent en un geste commun des interprètes d’origines, de genres et de religions différents. Pour moi la danse, c’est cela, un moyen d’unir, de réunir, de partager.
Vous avez toujours beaucoup de monde au plateau ?
Hervé Koubi : J’ai toujours aimé qu’il y ait beaucoup de danseurs sur scène. Je me suis toujours bagarré pour que cela soit possible. En parallèle, j’ai six autres pièces qui tournent dans le monde entier, comme Les Nuits barbares, Hippocampe(s) ou Odyssey…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Programme 2
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Place de L’horloge
84000 Avignon
Boléro de Maurice Ravel
Chorégraphie et lumières D’Hervé Koubi
Musique de Maurice Ravel
Costumes de Guillaume Gabriel
Musique électronique de Guillaume Gabriel