Danseur passé par les compagnies d’Olivier Dubois, de Damien Jalet et de Hofesh Shechter, Edouard Hue trace, depuis maintenant près de dix ans, sa route en tant que chorégraphe. Avant d’investir la Scala-Provence cet été à Avignon avec deux de ses créations, l’artiste franco-suisse vient de revisiter pour le Ballet de l’Opéra Grand Avignon à la demande de son directeur Émilio Calcagno, l’Oiseau de feu de Stravinsky. Rencontre.
© Theater Basel
Comment est née votre envie de faire de la danse ?
Edouard Hue : J’ai commencé à danser à 16 ans. Un parcours un peu atypique, finalement. Nombreux de mes confrères et de mes consœurs ont le plus souvent débuté leur formation beaucoup plus jeune. Adolescent, je pratiquais le basket. J’étais très imprégné par la culture venant des États-Unis. C’est comme cela que j’ai découvert le Hip-hop, le graff. Et du jour au lendemain, j’ai dit à mes parents que je voulais faire du Hip-hop. Ils ont regardé l’école la plus proche de là où on habitait et m’ont inscrit. C’est comme cela que je suis entré au Conservatoire d’Annecy, qui était vraiment à côté de chez nous. Rapidement, j’ai découvert qu’il y avait plein d’autres courants, d’autres styles que la danse urbaine. Étant, en plus un des rares garçons, les professeurs m’ont permis de découvrir un peu tout, de me familiariser avec la danse contemporaine, un peu aussi avec le classique. J’ai été rapidement emballé. Au bout de deux cours, Il y a eu comme un déclic. J’avais trouvé ma voie. Je voulais être danseur, mais aussi écrire mes propres partitions. J’ai donc suivi trois années de formation au conservatoire. Puis je suis parti pour Genève, où j’ai intégré le Ballet junior. J’avoue, lors des auditions, je n’étais pas le meilleur, mais ils ont décelé en moi un vrai potentiel et m’ont donc ouvert leurs portes.
Que vous a apporté cette formation ?
Edouard Hue : Durant les deux années où je suis resté au Ballet Junior, j’ai énormément appris, grâce, notamment aux différentes rencontres que j’y ai faites, Pascal Gravat, Prisca Harsch, Hofesh Schechter ou Thierry Malandain. Mais le plus important, j’ai pu surtout découvrir ce que j’aimais et ce que je n’aimais pas. Cela m’a permis de savoir vers où je voulais aller. Dès la formation terminée, j’ai été engagé en tant qu’apprenti dans la compagnie d’Hofesh Schechter. J’ai eu la chance d’être rapidement intégré à la troupe, suite au départ de deux danseurs. Puis, comme je souhaitais voir d’autres horizons, me frotter à d’autres esthétismes, j’ai quitté la compagnie, mais régulièrement, je dansais pour elle en tant que guest. J’ai aussi dansé pour Damien Jalet, et pour Olivier Dubois, que ce soit pour la reprise de sa pièce phareTragédie, ou pour Prêt à baiser, duo où l’on s’embrasse durant 30 minutes sur la musique du Sacre du Printemps, ce sont des expériences incroyables et hors normes.
Comment vous avez basculé de danseur à chorégraphe ?
Edouard Hue : Je crois que j’ai toujours voulu écrire mes propres pièces. Dans la vie, je suis quelqu’un qui n’aime pas les contraintes, qui refuse les chaînes, qui aime faire ce qu’il veut. En tant qu’interprète, j’avais l’impression de ne pas être employé à bon escient, qu’on me limitait. J’avais la sensation, qu’on n’utilisait pas tout mon potentiel. J’avais besoin de m’exprimer, de développer ma propre écriture, d’explorer mes limites. J’avais besoin d’appréhender l’espace. En 2014, j’ai donc décidé de créer ma compagnie ; La Beaver Dam Company. Peu de temps après, j’ai présenté mon premier duo avec la danseuse Noëlle Quillet, Murky Depths. Cela durait 15 minutes, mais c’était pour moi une expérience unique. Une plongée dans ce que signifiait pour moi la volonté, quelles sensations cela réveillait dans mon corps. Nous avons joué quelques dates au festival Antigel à Genève. C’était en février, en extérieur sous un arbre centenaire. C’était juste magique. Très vite, la machine s’est emballée. Le spectacle a plu. Nous l’avons tourné dans le monde entier, au Japon, en Corée du sud notamment. Puis en 2017, j’ai créé dans le Off d’Avignon, une pièce pour trois danseurs, Meet me Halfway. Et deux ans plus tard, une autre pour cinq interprètes, Into outside. À Chaque fois, nous avons eu la chance de bien tourner les spectacles, d’aller dans d’autres pays, d’aller à la rencontre d’autres cultures. Cela fait aussi partie de ce qui me motive. J’ai eu la chance d’aller à Jérusalem, juste après le confinement. C’était incroyable. J’ai pu voir tellement d’autres manières d’aborder la danse, vraiment passionnant et formateur.
Qu’est-ce qui vous inspire quand vous créez ?
Edouard Hue : Ça dépend des pièces. Je me rends compte que le principal moteur reste la sensation, l’émotion. Pour Shiver, que j’ai créé à Bâle en 2019, puis joué en 2021 à Cannes et cet hiver à la Scala Paris, c’est la notion de pression, qu’elle soit sociale ou atmosphérique, qui m’a guidé tout le long de mon processus créatif. Je marche beaucoup à l’instinct. Je questionne en permanence le pourquoi du mouvement et ce qu’il signifie pour moi. J’ai besoin de me connecter au réel, à ce qu’il me renvoie pour avancer, pour écrire.
L’Oiseau de feu est une commande. Comment travailler quand le sujet vous est imposé ?
Edouard Hue : J’inverse les choses. L’important pour moi dans le cas où l’œuvre existe déjà, c’est de respecter la partition. En tant que créateur, je suis très attaché à l’œuvre. Il n’était, pour moi, pas question de toucher à la musique. Bien sûr, j’ai fait des choix dans les extraits que nous avons présentés, mais aucune note n’a été modifiée. L’important pour moi, était donc de coller ma grammaire contemporaine, à la partition de Stravinsky, d’habiter avec mes mots, mes gestes, ce monument des ballets russes. Je suis donc parti du synopsis, ce peuple envoûté par de sombres créatures que l’Oiseau de feu va sortir de sa torpeur. Je me suis donc basé sur l’histoire du ballet, et sur l’imaginaire qu’il nous renvoie. J’ai composé la chorégraphie en me mettant à la place d’Ivan, le personnage principal et j’ai imaginé ce qu’il ressentait. Je voulais garder le côté féerique, notamment avec les costumes créés par Sigolène Pétey, et en moderniser le visuel, avec l’aide d’Arnaud Viala aux Lumières. L’aventure a été passionnante, car elle m’a offert la possibilité de sortir de mes habitudes et de travailler autrement.
Comment s’est passé la rencontre avec un corps du ballet que vous ne connaissiez pas ?
Edouard Hue : le plus simplement du monde. En général, quand je ne connais pas les danseurs et danseuses avec qui je vais travailler, je commence par donner une classe, à faire des ateliers. Durant une semaine, je teste leurs aptitudes, leurs capacités, jusqu’où je vais pouvoir les emmener. Après, je donne quelques pistes, un canevas et nous travaillons ensemble, à la manière d’un workshop. L’idée étant que nous nous apprivoisions, que nous voyons comment nous pouvons avancer de concert. Ce qui est très particulier avec le corps de ballet d’Opéra du Grand Avignon, c’est que c’est une troupe permanente, qui est habituée à travailler toujours ensemble, et, à qui on demande de sortir de leur cadre, d’aller vers des choses qui sortent du cahier des charges pour lequel ils ont été embauchés. Il est donc nécessaire de faire connaissance, d’appréhender leur envie, de tester jusqu’où ils sont prêts à nous suivre, jusqu’où on peut les bousculer. C’est un travail qu’Émilio (Calcagno) à enclencher dès son arrivée en 2021 et que nous, chorégraphes invités, nous poursuivons. L’important est de travailler de concert, dans la bonne humeur et que chacun y trouve son compte. Je crois qu’ensemble nous sommes arrivés à nous rejoindre et à créer un Oiseau de feu envoûtant entre tradition et modernisme.
Après ce passage par Avignon, quels sont vos prochains projets ?
Edouard Hue : Je travaille actuellement à une prochaine création pour sept danseuses et danseurs avec ma compagnie. La pièce, qui va s’intituler Dive, explore de quelle partie du corps vient l’instinct. J’y poursuis mon étude du mouvement et de la notion de sensation. Je pense que cela va être très autobiographique, que cela va demander à mes interprètes de questionner leur propre relation avec leur corps. Ils vont devoir penser le corps autrement, l’imaginer comme une entité indissociable de l’esprit. La première devrait avoir lieu la saison prochaine à Baden en Suisse, puis faire un arrêt à la Scala Paris. Normalement, je vais aussi reprendre Titan que j’ai créé au Ballet Basel, que je vais associer avec une pièce courte, Joy autour de la sensation d’excitation et de joie…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Programme 2
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Place de L’horloge
84000 Avignon
L’Oiseau de Feu d’Igor Stravinsky
Chorégraphie d’Édouard Hue
Musique d’Igor Stravinsky
Costumes de Sigolène Pétey
Lumières d’Arnaud Viala
Assistant artistique – Rafaël Sauzet