Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez

École du TNS : merci pour les travaux

Un atelier de jeu au masque et une carte blanche autour de la figure de Valérie Solanas : l'école du TNS montre le travail de ses élèves.

Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez

À l’arrivée du printemps, le TNS montre le travail des élèves du groupe 47, diplômés dans quelques mois. Au programme, un atelier de jeu au masque et une carte blanche autour de la figure de Valérie Solanas. Ces deux essais donnent à voir les recherches multiples menées par les jeunes talents du théâtre-école.

Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez

Comment vont les élèves du TNS ? D’une sortie publique à l’autre, on commence à connaître les noms et les visages du groupe 47, qui se prépare à quitter le nid cette année. Le programme présenté cette fin mars, juste pour l’arrivée du printemps, nous donne l’occasion de prendre des nouvelles de seize d’entre eux. Ce quasi-impromptu met côte à côte la restitution d’un travail au masque guidé par Marc Proulx et une carte blanche à l’initiative de cinq élèves de la promo, toutes sections mélangées.

Intuition, Friction, Papillon ©Jean-Louis Fernandez
Intuition, Friction, Papillon ©Jean-Louis Fernandez

Derrière un rideau semi-opaque, on distingue les élèves en train d’effectuer des sauts et des portés d’acrobates. « J’essaie de leur faire faire des choses dangereuses », explique celui qui donnait son premier stage dans l’institution strasbourgeoise en 1992, détaillant un enseignement préoccupé par le corps et sa présence au plateau. Lorsqu’ils passent le seuil de ce grand voile, les cinq comédiens (Yanis Bouferrache, Felipe Fonseca Nobre, Vincent Pacaud, Naïsha Randrianasolo, Thomas Stachorsky) sont grimés de demi-masques et dessinent chacun leur tour des figures à la fois comiques et pathétiques, dont les apparitions puisent dans les principes du Nô. Au bord d’un plateau en demi-cercle, le professeur endosse le rôle d’un waki, le visage découvert, qui reçoit la visite de ses shite, ces apparitions fantomatiques propres au genre.

Il y a un vieux bonhomme qui dit avoir payé de sa poche chaque mur du théâtre, un enfant maladroit et embarrassé, deux vieilles stars déchues en manque d’attention. Les masques tombent à la vue du public. Le professeur guide les étudiants à voix haute, entretient des échanges improvisés. Et tente de ménager la rencontre entre chaque comédien et son « bout de bois », comme il les appelle. « Il y a deux dimensions du masque : ce qui est vu de l’extérieur, et ce qui est vécu à l’intérieur. C’est le second aspect qui m’intéresse, explique-t-il. En l’occurence, certains personnages émergent, d’autres non. L’exercice autorise ces ratés, et dans l’intervalle qui sépare l’essai de son accomplissement se trouve l’intérêt de l’expérience : on voit une pédagogie en train de se faire. L’enseignant, lui, défend une méthode qui travaille sur la profondeur de la psyché des élèves et cherche à puiser dans l’intime, lequel, précise-t-il, « n’est pas personnel ». Chaque rencontre avec le masque doit être vécue comme la première et il faut que le comédien, dans le temps qui lui est donné, aille le plus loin possible. « Quand l’acteur n’y va pas complètement, le plus souvent il a raison, conclut l’enseignant. C’est qu’il n’est pas prêt. Il faut respecter cela. »

Cutting up men
Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez
Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez

Le danger était central à la carte blanche initiée par un groupe de cinq élèves, qui ont toutes décidé de s’attaquer à la figure volontiers théâtrale de Valérie Solanas. À la fois parce qu’une tentative de meurtre est au centre de l’histoire de celle-ci, et parce que le matériau qu’elle a laissé demande d’être égalé par un certain niveau d’exaltation théâtrale. En 67, l’électron libre bien énervé commençait à glisser sous les manteaux new-yorkais un pamphlet auto-édité, le SCUM manifesto, devenu un totem cultissime dans le panthéon du féminisme radical. Dans un fougueux geste littéraire entre propagande provoc et science-fiction, en posant les hommes comme une erreur biologique, Solanas y détaille son projet pour un court-circuitage radical de la société dont ils sont les tenants. Le manifeste de la Society for cutting up men est un appel au meurtre et l’esquisse d’un monde défait des structures capitalistes de pouvoir. Un an après, l’autrice réalise son deuxième grand fait d’armes en tirant trois balles dans l’estomac d’Andy Warhol, traumatisant au passage l’artiste pour le reste de sa vie.

S’ouvrant sur une boucle de quelques pubs d’une époque pas si lointaine, où l’imaginaire macho des agences force tellement que finissent par en émaner des visions quasi-surréalistes, le spectacle met au plateau cinq jeunes femmes, pas seulement les comédiennes. C’est le parti-pris premier de Beretta 68, écrit collectivement à partir de la pièce Valérie Jean Solanas va devenir Présidente de l’Amérique de Sara Stridsberg et d’une foule d’autres références : composer un groupe où le rôle précis de chacune n’est pas précisé puisque tout, s’imagine-t-on donc, a été construit sans rôles assignés. Ainsi Manon Poirier, élève du département régie-création, campe-t-elle un procureur grotesque face aux comédiennes Jade Emmanuel et Manon Xardel, qui incarnent respectivement Solanas et Warhol. Le reste de la distribution (Loïse Beauseigneur, Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen, Valentine Lê, Charlotte Moussié) trouve aussi bien sa place. Au milieu d’un plateau composite bordé de machines à laver ne servant plus que d’estrade, et sur lequel un échafaud, à cour, évoque les structures urbaines de New-York surmontées de leurs affichages publicitaires, ce collectif improvisé au sein du TNS entremêle le récit biographique à de courtes scènes de réflexion collective, et réactive les questions posées par ladite Society for cutting up men en convoquant par exemple la mémoire de Jacqueline Sauvage.

Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez
Beretta 68 ©Jean-Louis Fernandez

Le problème qui se pose aujourd’hui autour de Solanas, farouche opposante à la politesse, est celui de l’affadissement forcé de sa pensée à force d’exégèses, de remâchages et de détournements (on repense à la périodiquement géniale American Horror Story, potentiel indicateur de l’absorption des cultures marginales dans le mainstream, où une Lena Dunham affublée d’une perruque rejouait la tentative d’assassinat de Warhol). Et cette proposition qui entend poser de front l’usage politique de la violence, un peu trop policée, peine à relever ce défi et renouer pleinement avec la radicalité du matériau initial. On saluera néanmoins la composition d’un plateau plutôt égalitaire par-delà les spécialités de chacune, qui compose une parenthèse chorale et féministe somme toute roborative. Prochaine étape : la promo toute entière se retrouve en mai pour L’Esthétique de la résistance de Peter Weiss, dans une mise en scène qui s’annonce ample, signée Sylvain Creuzevault.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Strasbourg

Intuition, friction, papillon, restitution d’un atelier de jeu dirigé par Marc Proulx
TNS – Studio Jean-Pierre Vincent
18 Rue Jacques Kablé
67000 Strasbourg

Jeu : Yanis Bouferrache, Felipe Fonseca Nobre, Vincent Pacaud, Naïsha Randrianasolo, Thomas Stachorsky
Scénographie et costumes : Sarah Barzic
Son : Simon Anquetil
Lumière et régie générale : Arthur Mandô
Assistanat régie plateau : Loïc Waridel
Soutiens en pensée : Gabriel Dahmani, Jonathan Bénéteau De La Prairie, Hameza El Omari

Beretta 68, création collective
TNS – Salle Jeanne Laurent
1 Av. de la Marseillaise
67000 Strasbourg

Carte blanche initiée par Loïse Beauseigneur, Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen, Jade Emmanuel, Valentine Lê, Charlotte Moussié, Manon Poirier et Manon Xardel, élèves actrices, régisseuses, scénographes et costumières du Groupe 47

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