À Vannes, au Palais des Arts des Scènes du Golfe, la journaliste Claire Chazal, à la demande de la directrice des lieux Ghislaine Gouby, propose quatre rencontres singulières avec des artistes d’exception. Le temps d’une après-midi de confidences, accompagnés au piano par Maud Lübeck, Imany, Brigitte Giraud, Sandra Nkaké et Fabcaro évoqueront les livres et les chansons qui ont marqué leur vie.
© Gilles Vidal
Comment est venue l’idée de créer ce moment à part, les Ravissements ?
Claire Chazal : C’est une idée de Ghislaine [Gouby], une référence à Marguerite Duras. En 2019, elle m’avait déjà invitée à lire, dans une mise en scène de Benjamin Guillard, des extraits du roman de Nina Bouraoui, Tous les hommes désirent naturellement savoir. L’expérience m’avait beaucoup plu. Et j’avais été frappée par l’engagement du théâtre, la force de ce festival quelque peu atypique dans le paysage culturel. Je suis toujours impressionnée par ce que les lieux en province arrivent à faire. Ces initiatives, aussi riches, que variées, forcent le respect. En mélangeant habilement, littérature et chanson, tout en prenant de belles libertés sur la forme pour captiver les spectateurs, Les Émancipéés offrent une belle visibilité à nos auteurs et autrices, reconnus ou émergents. L’ambiance y est formidable et chaleureuse. C’est une manière d’appréhender la littérature autrement. Cette année, c’est à un autre exercice que je me prête, plus proche de mon métier, engager des conversations avec plusieurs artistes pour évoquer leurs parcours, bien sûr, mais aussi pour parler de leurs goûts musicaux et littéraires.
Le choix des artistes, comment s’est-il fait ?
Claire Chazal : Nous avons beaucoup discuté avec Ghislaine, avec Arnaud [Cathrine] et le reste de l’équipe du festival. J’ai suggéré certains noms, mais n’étant pas l’organisatrice de cette manifestation, j’ai leur ai laissé le soin de la programmation. C’est la sixième édition du festival, je leur ai fait entièrement confiance, ils ont un goût très sûr. Je me souviens, en 2019, quand Christine Angot était venue lire quelques moments choisis d’Un tournant de la vie, c’était très fort, vraiment incroyable. Cela contrastait avec les autres textes de cette troisième édition. Cette diversité est la marque de fabrique du festival. Et cela a forcément présidé au choix des artistes avec lesquels je vais m’entretenir. Imany, par exemple, je la connais bien pour l’avoir reçue à plusieurs reprises dans mes émissions, que ce soit Passage des Arts ou Le Grand Échiquier. C’est une femme lumineuse, à la présence et à la voix irradiante, hypnotisante. Partager un moment avec elle est toujours plein de délicatesse. Ensuite, je me réjouis d’accueillir le prix Goncourt de cette année, Brigitte Giraud, puis de passer un moment avec l’artiste camerounaise Sandra Nkaké et de finir la journée aux côtés de Fabcaro. C’est très varié, nous allons naviguer quelques heures entre les mots, les notes, les souvenirs et les anecdotes.
Quel est votre rôle ?
Claire Chazal : Je suis une passeuse. C’est la parole des artistes qui est importante. À travers ces quatre conversations, qui seront ponctuées par des chansons choisies par les invités et jouées en direct par Maüd Lübeck, l’objectif pour moi est que l’on découvre leur histoire, leur personnalité, leur parcours. Rien d’intrusif, de polémique, ce n’est pas l’endroit et ce n’est pas ma manière de faire. Je vais essayer de les mettre dans la lumière, de les laisser se confier en toute liberté.
En tant que journaliste, que ce soit au JT ou dans vos émissions, vous avez toujours eu à cœur de défendre la culture. C’est important pour vous ?
Claire Chazal : Je pense que c’est simplement et absolument nécessaire. Pendant vingt-cinq ans, quand j’animais le JT du week-end, j’ai toujours essayé d’imposer des sujets culturels. Et je pense avoir réussi modestement à mettre en valeur opéra, musique, danse, théâtre et cinéma. Je crois profondément que cela devrait être inhérent à tous les journaux généralistes. Quand je les lis, d’ailleurs, je commence toujours par la fin, je lis en premier les pages culture. Ce goût pour l’art vivant, la littérature, le septième art et l’art plastique est ancré profondément en moi. Ça fait partie de moi. En tant que journaliste, j’ai cette chance incroyable d’être invitée à aller voir de nombreux spectacles, de rencontrer les artistes, de discuter avec eux. Tous les jours, je mesure cet immense privilège. Et j’avoue, j’en use et abuse. C’est tellement enrichissant, cela permet de questionner en permanence le monde, d’éclairer les jours autrement. Cela me paraît vital de continuer à défendre la place de la culture dans les médias. C’est le sel de nos vies. Cela nous fait grandir, nous extrait du quotidien le temps d’une représentation. Je trouve que lorsqu’une émotion nous submerge devant un spectacle, c’est comme si le temps s’était suspendu, une sorte de parenthèse enchantée. Rien ne peut, à mon sens, remplacer cela. La lecture a cette vertu aussi. Je lis depuis que je suis petite. J’aime découvrir de nouvelles écritures, me plonger dans d’autres univers. La danse a aussi chez moi un attrait particulier. C’est un art qui me touche, me bouleverse et que je pratique.
Vous regrettez la place de plus en plus ténue de l’art vivant dans les médias ?
Claire Chazal : Un peu. C’est surtout triste de constater que les chaînes se sont multipliées, mais n’ont pas apporté vraiment de nouvelles tribunes à la culture. Heureusement que le service public, via France Culture ou France 5, permet d’avoir quelques éclairages. C’est une chance inouïe de voir que cela existe. Même si, à titre personnel, je trouve qu’on ne parle jamais assez de culture. Bien évidemment, j’aurais aimé conserver mon émission, continuer à parler théâtre, danse, musique et littérature, à mélanger les genres. Ça me rend triste, mais c’est la vie et d’autres aventures m’attendent.
Il vous est arrivé de passer de l’autre côté du miroir, d’être sur scène, dans la lumière, qu’est-ce que cela vous fait ?
Claire Chazal : J’adore. C’est très jouissif. Après, ce n’est pas mon métier. Je ne me sens pas du tout comédienne. Mais j’avoue que pouvoir accéder même quelques minutes à ce que vivent les artistes sur un plateau est une grande chance. C’est passionnant d’essayer de transmettre, même quand ce n’est que pour des lectures, quelques émotions, de donner vie à des mots. C’est vraiment une expérience très fructueuse qui a nourri mon métier de journaliste et d’intervieweuse. Tout ce que je peux faire qui est en lien avec le métier d’acteur, cela m’amuse. Actuellement, je donne la réplique à Pierre Niney, dans une série rigolote. Mon passage est furtif, mais c’est très réjouissant. C’est toujours pour moi l’idée d’une parenthèse enchantée…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Ravissements animés par Claire Chazal
Les Émancipéés
Les scènes du Golfe
Place de Bretagne
56000 Vannes
Le 1er avril 2023