Pourtant chacun tue ce qu'il aime, Camille Mutel ©Katherine Longly

Camille Mutel, entre nature et culture

Bientôt en tournée, la nouvelle création de Camille Mutel, «Pourtant chacun tue ce qu’il aime», était présentée début avril dans la salle toute neuve du Carreau, à Forbach. La chorégraphe passionnée de Japon et formée au butô y dirige deux danseurs dans l'intervalle entre la bestialité pure et le geste cultivateur.

Pourtant chacun tue ce qu'il aime, Camille Mutel ©Katherine Longly

Bientôt en tournée, la nouvelle création de Camille Mutel était présentée début avril dans la salle toute neuve du Carreau, à Forbach. La chorégraphe, passionnée de Japon et formée au butô, y dirige deux danseurs dans l’intervalle entre la bestialité pure et le geste cultivateur.

© Katherine Longly

Il y a pile un an, à l’Espace Cardin du théâtre de la Ville, nous découvrions le travail chorégraphique de Camille Mutel avec une pièce singulière, précise et appliquée nommée Not I, solo empruntant aux gestes et au protocole de la cérémonie japonaise du thé, que l’on retrouvera au théâtre du Train bleu lors du prochain festival Off d’Avignon. Créée le temps d’une date au Carreau de Forbach, Pourtant chacun tue ce qu’il aime poursuit le cycle initié par cette pièce et remonte le fil des saisons en explorant les activités de l’automne après un premier volet hivernal.

À la source
Pourtant chacun tue ce qu'il aime, Camille Mutel ©Katherine Longly
© Katherine Longly

Si les rapports de l’homme au vivant font l’objet de nombreuses créations et d’autant de gestes de programmation, la façon qu’a Camille Mutel de s’en emparer a quelque chose d’intemporel. Peut-être parce qu’elle source sa réflexion dans des pratiques et des rites ancestraux, qui inscrivent les images qu’elle convoque dans des horizons élargis. Sans doute aussi parce que l’artiste travaille à partir d’une palette formelle singulière, en partie nourrie par sa formation de danseuse de butô. Cette capacité à se situer hors du temps se retrouve d’ailleurs dans la temporalité des deux spectacles : la durée y est étendue à la faveur d’un principe de concentration qui confine à la pleine conscience, cela bien que l’artiste se tienne à distance du lexique méditatif.

Alimentaire comme l’était la précédente, la pièce remonte cette fois à la source de l’ingrédient. Elle s’ouvre donc sur une scène de chasse à la sarbacane particulièrement étirée dans sa durée. Dans une forêt de grenades suspendues imaginée par le scénographe Kasper Hansen, le fruit devient la cible de tirs furtifs, mettant parfois même en danger les corps des interprètes. Puis les danseurs Philippe Chosson et Kerem Gelebek convoquent d’autres figures, figures de culture ou figures sauvages. Un instant, le premier se coiffe d’une peau de bouc et entre dans une sorte de transe aveugle ; plus tard, le second habite un corps d’ovipare. D’autres fois, ils s’emparent d’outils, telles ces faux qui convoquent d’abord une gestuelle utilitaire avant que celle-ci se torde et mue en une danse rituelle.

Écarts
Pourtant chacun tue ce qu'il aime, Camille Mutel ©Katherine Longly
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Le plus souvent au centre de ses propres créations, Camille Mutel réunit ici, à la demande de Philippe Chosson (avec qui elle dansait en 2015 dans Go, go, go, said the bird), un duo masculin d’une grande sensibilité. Il faut saluer le travail de ces deux très beaux interprètes, déjà vus ensemble chez Christian Rizzo : extrêmement précis et concentrés, à l’écoute l’un de l’autre mais aussi des objets qui s’inscrivent dans la chorégraphie, ils deviennent des corps protéiformes, entre bêtes sauvages, créatures merveilleuses, chasseurs et travailleurs de la terre.

À la fois théorique et élégante, l’œuvre de Mutel prend forme dans un espace fait d’écarts : entre une dramaturgie limite ésotérique et une chorégraphie puisée dans un champ d’action très concret, entre le geste utilitaire (chasse, moisson) et le mouvement chorégraphique. On retrouve cette tension dans ce que l’artiste raconte de son travail, de sa démarche de recherche menée d’un lieu de résidence à l’autre à la recherche d’un patrimoine gestuel local, paysan. À l’arrivée, l’artiste donne à voir un objet singulier et aussi soigné que l’était la cérémonie de Not I, déclinant avec inventivité les différentes métamorphoses du vivant.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Forbach

Pourtant chacun tue ce qu’il aime de Camille Mutel
Le Carreau – Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
Avenue Saint-Rémy, 57600 Forbach

Le 5 avril 2023
Durée 45 min

Conception, chorégraphie : Camille Mutel
Interprétation : Kerem Gelebek, Philippe Chosson
Travail sonore : Jean-Philippe Gross
Lumières : Philippe Gladieux
Costumes : Kaspersophie
Scénographie : Kasper Hansen
Assistante à la scénographie / construction accessoires : Violette Graveline
Conseil dramaturgique : Thomas Schaupp
Régie générale et régie lumière : Gildas Goujet
Assistante à la chorégraphie : Caroline Simonin

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