Performeur, comédien, maquilleur et auteur, Sylvain Dufour a mille vies et fait mille métiers. Il excelle dans tout ce qu’il touche, tout ce qu’il crée. En curé déjanté ou blonde siliconée aux faux airs ingénus de Marilyn Monroe, l’homme-orchestre habite furieusement, follement, l’Ubu Cabaret de Jean Lambert-wild, à découvrir au Volcan – Scène nationale du Havre du 8 au 11 mars 2023. Un artiste lumineux au cœur d’or !
© Bruno Perroud
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
En tant que spectateur, je crois que j’avais 6 ans, et qu’il s’agit d’un spectacle de Noël par le travail de mon père : Ali baba et les 40 voleurs. Un spectacle gigantesque sous chapiteau où nous étions 6 000 spectateurs ! J’ai retrouvé la trace de la comédienne et chanteuse qui jouait Shéhérazade : Elle s’appelle Fabienne Pralon et joue aujourd’hui pour Catherine Anne. J’étais très touché de la retrouver et de la rencontrer.
En tant que comédien, ce qui m’a marqué, c’est Madame Mary, une professeur de français que j’ai eu en sixième dans notre collège de Livry Gargan (Seine Saint Denis) : elle aimait le théâtre, elle nous a emmené au Théâtre de la Porte Saint-Martin pour voir Le médecin malgré lui par Éclat Théâtre, et elle nous a demandé d’écrire des pastiches du texte avec des quiproquos, puis de les apprendre… et de les jouer : dans le collège puis carrément lors d’une mini tournée dans des établissements dans le Périgord : c’était exceptionnel… pour nous. Quelle chance… et quel trac….
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je n’ai pas osé au début, car le théâtre était plutôt une activité extrascolaire.
Mes quelques mois à la faculté de droit à Châteauroux alors que j’étais ouvreur à Équinoxe scène nationale de Châteauroux ainsi qu’un atelier théâtre avec le comédien professionnel Léo Guillaume via la Scène nationale m’ont fait prendre conscience de mon envie théâtrale.
J’ai donc « changé de rails », une prépa beaux-arts exceptionnelle (école municipale des beaux-arts Marcel Duchamp de Châteauroux) m’a permis de m’orienter vers la scénographie, puis Paris 3 la Sorbonne nouvelle… puis des rencontres : la première professionnelle, c’était quand j’étais en deuxième année de fac avec l’auteure, metteuse en scène, comédienne et danseuse Claire Le Michel de la Compagnie Un soir ailleurs.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien, metteur de scène, scénographe, maquilleur et auteur ?
Le théâtre, c’était parce que j’étais extrêmement timide : en primaire, il y avait les » ateliers bleu » après la classe et j’ai commencé comme ça. Par contre croire que le théâtre vous enlève la timidité… C’était un peu faux, vu que je le suis toujours même si j’y travaille ! La scène est un moyen d’être quelqu’un d’autre, c’est un endroit de l’ordre du » rêve éveillé « . faire rêver, faire croire, faire réfléchir… C’est aussi un endroit de partage, de liberté et de contrainte, un lieu créateur d’émotions, d’univers où le bluffe est de rigueur. J’aime l’aspect recherche du personnage, trouver sa silhouette. Metteur en scène, c’est travailler sur le point de vue, tenter de déceler les mystères d’un texte, de ses personnages et de leurs relations, mettre le focus sûr tel ou tel point. Réfléchir au sens, le partager avec une équipe, travailler ensemble » tous dans le même bateau en train de vivre une aventure » pour défendre un éclairage sur une œuvre. C’est tout ça qui me donne envie de mettre en scène. J’aime parler du monde d’aujourd’hui en manipulant des fictions à mi-chemin entre réalisme et onirisme. Scénographie et lumière : c’est parce que j’aime spatialiser les choses, tout en laissant une part d’imaginaire au spectateur. Je crois que j’ai une approche assez cinématographique, la lumière est très importante pour moi et sculpte l’espace. J’apprécie énormément les théories de Craig et Appia sur la lumière et l’espace. Dogville de Lars Von Trier me parle beaucoup, je me reconnais dans cette approche quasi symboliste. Toujours privilégier l’évocation plutôt que la figuration qui fige la représentation. Maquilleur, c’est vraiment par des rencontres… j’ai appris le maquillage grâce à une drag queen » Sugar Kane » puis j’ai essayé des choses en autodidacte, c’est le chorégraphe Aurélien RIchard qui m’a demandé de créer des maquillages pour ces créations, puis Pierre Cottreau et Geisha Fontaine et Mélanie Perrier. En ce moment, j’ai la chance de maquiller Catherine Hiegel, Raoul Fernandez et Pascal Ternisien dans Music hall de Lagarce mise en scène par Marcial Di fonzo Bo, mais je ne suis pas le créateur qui est l’extraordinaire Cécile Kretschmar. Auteur, j’écris depuis l’âge de 10 ans, et une pièce que j’ai vu m’a incité à écrire » le croissant de lune » de Lao She, adaptée au théâtre par Catherine Levy-Marié, et mis en scène par Henry Ronse. La comédienne : Marie Poumarat avait une voix tellement merveilleuse que ça m’a donné envie d’écrire… pour le théâtre et de la poésie. Ça me permettait de dire des choses que je n’arrivais pas à exprimer dans la vie.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
En tant qu’amateur, les kermesses d’école, c’était plutôt de la danse et terriblement stressant, car le professeur était d’une rigueur et d’une dureté assez incroyable.
Puis il y a eu les ateliers théâtres en primaire et la fois où nous avons fait une » présentation de travail » où nous devions improviser en direct avec des thèmes choisis par le public…
en tant que professionnel : je crois qu’il s’agit de théâtre de rue pour les journées du patrimoine avec la compagnie Trottoir Express, où j’étais une femme bourgeoise / la propriétaire d’un hôtel particulier qui répétait un chant lyrique (un enregistrement de Florence Foster Jenkins / en play back) puis qui devait faire décamper les visiteurs avec une fausse carabine…. C’était assez jouissif de jouer un rôle aux antipodes de ce que je suis…
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Le premier choc a été Marie Poumarat dans Le Croissant de lune de Lao She, son interprétation, sa voix. Il y a eu bien plus tard Le Cercle de craie caucasien, mis en scène par benno Besson où j’ai vu Christian Hecq : sa corporalité, son engagement corporel m’ont beaucoup plu : c’est ça que je voulais faire ! Puis dans un autre esthétisme bien plus glacé : Je tremble de Joël Pommerat… Et puis plus récemment Music hall et ma rencontre avec le trio mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo : Catherine Hiegel, Raoul Fernandez et Pascal Ternisien. Quand j’étais plus jeune, j’ai vu Ilka Schönbein qui m’a beaucoup marqué… Plus récemment, j’ai été touché par le tandem Bulle Ogier et Maria de Medeiros dans Un amour impossible. Voir Volker Schlöndorf nous diriger sur La mer à l’aube était exceptionnel.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Récemment Catherine Hiegel, c’est un plaisir de la maquiller et de la rencontrer, tout ce qu’elle partage du théâtre est saisissant, ça mériterait un livre ! Entre histoire, partage d’expériences, c’est riche cette sensibilité et cet oeil aiguisé sur le sens.
Grâce à Véronique Felenbok, j’ai rencontré la comédienne – metteure en scène et auteure Ludmilla Dabo de qui je me sens proche artistiquement sur ce qu’elle défend, sur ses engagements.
J’ai aimé rencontrer Marcial Di Fonzo Bo, sa manière de mettre en scène, et c’est un grand acteur ! J’ai rencontré la créatrice des maquillages / masques Cécile Kretschmar et je suis impressionné par tout son travail, j’aime tout ce qu’elle créée et sa manière artisanale de faire les choses, ses recherches et sa manière d’être : simple, franche, créative ! Et puis grâce à un projet autour des Noces de Stravinsky, chorégraphié par Aurélien Richard, j’ai eu la chance de dessiner les costumes / perruques/coiffures et de rencontrer une très belle personne et son équipe : Nathalie Giraud, cheffe des ateliers costumes de l’Opéra de Nantes. IL y a eu tous ces projets avec Claire Le Michel dont celui qui s’appelle Missing India et pour lequel nous avons fait une tournée en Inde avec des musiciens en Inde : la rencontre avec eux était chouette. J’aime le croisement de personnes très différentes dans un même projet, mais aussi tout ce qui est de la dimension de la recherche en amont / les lectures : Avec Ubu Cabaret qui m’a permis de rencontrer Jean Lambert-wild, j’ai retrouvé l’univers du cabaret et découvert tout une face cachée de l’œuvre d’Alfred Jarry ! Bien sûr, il y a le tandem Brigitte Seth et Roser Muntllo Guberna que j’affectionne particulièrement, car ce qu’elles font c’est ce que j’aime : du théâtre et de la danse en fusion ! Grâce à elles deux, il y a eu ces représentations au Théâtre de la tempête qui est mon lieu préféré au niveau théâtral et accueil : Toute l’équipe est adorable et se bat pour les spectacles présentés : je salue le travail de Clément Poirée (s’occuper des maquillages et perruques pour sa mise en scène de l’opéra La Cenerentola m’a beaucoup plu !) , Clémence Bouzitat, et leur équipe ! En parlant d’équipe, je me sens proche de l’équipe du Centre dramatique national d’Orléans, un lieu qui en ce moment est en danger de disparition !
En dehors du milieu artistique et j’y tiens : il y a ces rencontres avec les professeurs des options théâtre pour qui j’ai un profond respect, c’est souvent grâce à leur engagement que je me dis qu’il ne faut pas lâcher. Il y a eu la rencontre avec Michou et les michettes, sa nièce Catherine Jacquart et tout l’univers du transformisme. Biensûr il y a mon co-auteur François Soustre avec qui je partage des conférences lectures, et qui m’a permis de rencontrer et de travailler avec Anny Duperey, une amie chère. Le travail en confiance avec la Compagnie Kivuko et la chorégraphe Christina Towle.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
C’est un métier dont je vis, une métier passion qui m’est à la fois essentiel et exigeant, pas tous les jours faciles. Jean-Michel Rabeux, en stage, nous disait : être comédien, c’est un peu comme être sur des montagnes russes tout le temps : il y a une sorte d’euphorie de joie quand on travaille beaucoup (la montée), et d’un coup moins de travail (la descente)….
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Beaucoup de choses… L’observation de la vie quotidienne, de la nature, des relations humaines. Aller au théâtre m’est vital, tout comme sortir au cinéma, voir de la danse, du cirque, des expositions, les voyages. Ça me nourrit artistiquement, ça m’inspire… J’écris, je dessine, je lis… J’aime beaucoup écrire dans les trains ou dans un café avec une petite musique intérieure. Mon inspiration, c’est l’Autre que j’observe, les passants, les conversations entendues ici et là et puis certains proches qui me tiennent à cœur : par ce qu’ils sont et ce qu’ils font.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Dedans et dehors. Entre ombre et lumière. Soit je suis sur scène, soit j’agis en dehors.Il y a une sorte de complémentarité. Comme une danse d’apparitions et de disparitions, un cache-cache perpétuel entre elle et moi.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
C’est assez organique… le cœur : quelques chose qui vit, qui bat en moi, et puis les poumons qui me permettent de respirer, d’échapper au quotidien et d’y revenir après.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Pommerat… pour sa dimension cinématographique, j’aimerais beaucoup travailler avec Christian Hecq et Valérie Lesort, j’aimerais beaucoup retravailler avec l’atelier costume de l’Opéra de Nantes ( Nathalie Giraud). Et puis jouer dans un opéra comme King Arthur mis en scène de Marcial Di Fonzo Bo… J’aimerais beaucoup retrouver le chemin du cinéma. Ma rencontre avec Volker Schlöndorf m’a marqué, j’aimerai retravailler avec lui ! Mais aussi avec David Lynch, David Cronenberg, Catherine Hiegel, Maria de Medeiros… Anne Dorval, Suzanne Clément, Anne Alvaro…. refaire un projet avec Leonardo Garcia Alarcon qui est passionnant.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Une série, jouer un personnage qui évolue, qui vieillit ou qui se transforme tout le temps, Une aventure à la Cloud Atlas.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
…. Sense eight ? Cloud Atlas ? quelque chose qui parle de liens entre les hommes à travers le temps et l’espace, quelques chose qui parle de paix et d’amour…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ubu cabaret de Lambert-wild – Malaguerra & Associés
Création 2022 au Grrranit de Belfort
Festival ITaK
Les Halles de Schaerbeek
rue de la Constitution 20
1030 Schaerbeek
Durée avec 2H45 avec deux entractes.
Tournée
du 8 au 11 mars 2023 au Volcan – Scène Nationale du Havre
Direction de Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra
Conseiller artistique cabarettiste – Jérôme Marin
Adaptation et écriture de Jean Lambert-wild & Catherine Lefeuvre d’après l’œuvre d’Alfred Jarry
Livret des chansons de Loïc Assemat, Alfred Jarry, Jean Lambert-wild, Jeanne Plante, Jérôme marin
Avec Loïc Assemat ( La Big Bertha) Laura Bernocchi, Sylvain Dufour ( Miss Tampon), Vincent Desprez, Frédéric Giet, Jean Lambert-wild ( Gramblanc), Aimée Lambert-wild accompagnée du petit cheval Sunset, Jérôme Marin ( Monsieur K), Lauret Nougier, Jeanne Plante
Invité surprise – L’ours Gurshad
Lumières de Marc Laperrouze
Scénographie de Jean Lambert-wild
Conception, construction et peinture du décor de Daniel Roussel
Arrangements sonores de Bernard Amaudruz
Régie son de Maël Baudet
Régie lumière de Nicolas Martin-Prevel
Régie générale de Vincent Desprez
Assistante – Aimée Lambert-wild
Groom de piste d’Agathe Dalifard
Souquenille de Gramblanc dessinée par Stéphane Blanquet
Costumier et habilleur – Pierre-Yves Loup Forest
Réalisation de la souquenille de Gramblanc – Maximiliane, Stéphane & Pascale Richy – Le Chat botté costumier
Réalisateur vidéo – Gaël Lefeuvre
Un artiste complet