Ce dimanche 26 mars 2023, celui qui a égayé durant des décennies les nuits parisiennes a tiré sa révérence à l’âge de 91 ans. Très à son aise dans les relations publiques, Jacques Collard a eu plusieurs vies, comédien à ses heures perdues, adaptateur de talent, restaurateur. Adieu Monsieur, et chapeau bas !
L’attaché de presse Pierre Cordier annonce, sur son compte Facebook, par ses mots le décès de son ami : « Jacques Collard, le dernier Roi de Paris s’en est allé ». Le comédien Éric Laugérias rappelle qu’il était « la fantaisie, la finesse cultivée, l’humour, la fidélité, la générosité ». D’une grande élégance, le sourire aux lèvres, le cœur sur la main, cet homme exceptionnel nous enchantait par ses anecdotes et ses mots d’esprits.
La grande époque
Je n’ai pas connu les belles soirées de l’Espace Cardin ! Comme je le lui ai souvent répété, ce fut un grand regret. De 1984 à 1990, il avait fait de ce lieu, l’endroit où il fallait être. De Jacques Chazot à Robert Hirsch, en passant par Mike Jagger, Thierry Le Luron, tous allaient se servir au buffet. On y croisait vedettes et artisans du théâtre, de la télévision, de la scène internationale, mais aussi le gratin avec ses mondaines et ses demi-mondaines.
Comme se souvient Laugérias, il y avait également les « jeunes godelureaux que nous étions ». À qui il oubliait de faire payer les additions. « Pourvu que nous le fissions rire (et nous avons tant ri) ! ». Car c’était ça la touche Collard ! L’art de faire la fête dans un tourbillon d’éclat de rire et de bonheur. Je me souviens de soirées à la Résidence Maxim’s, d’abord, puis au Berkeley. Toujours heureux de recevoir, ils nous accueillaient les bras grands ouverts avec une coupe de champagne. Il n’était pas rare que jusqu’à point d’heure nous devisions sur le monde du théâtre.
Le plaisir des mots
Il était curieux de savoir ce qui se passait sur les scènes parisiennes. Qui rencontraient le succès ou le bide. Je me souviens de sa grande fierté lorsque sa belle adaptation Des enfants du silence fut reprise au Vieux-Colombier par la Comédie-Française. Cette pièce, qui révéla Emmanuelle Laborit, lui valut en 1993, le Molière de l’adaptateur. Une catégorie qui malheureusement n’existe plus ! Ce qu’il déplorait.
Lors d’un entretien, en 2008, pour le Pariscope®, il m’avait raconté combien il avait dû subir les exigences des producteurs de Cabaret. « Ils voulaient que les mots français tombent juste sur la musique. Et ce n’était pas facile. Ils ont été très tatillons et m’ont rendu chèvre ! » Sous ses airs de tout faire à la légère, on sait qu’il aimait le travail d’orfèvre ! Son ouvrage sur Le limier d’Anthony Shaffer est des plus remarquables. Sa belle adaptation de la pièce Ladies night, inspirée du film Full Monty, mise en scène par Dravel et Macé, fit que le spectacle reçu le Molière du meilleur spectacle comique en 2001.
L’homme à l’éternelle malice
Le grand Jacques est né à Bruxelles, comme Brel, et rien ne le destinait à un tel parcours constitué de plusieurs vies. Comme les chats qu’il adorait, il retombait toujours sur ses pattes. J’ai rarement entendu quelqu’un narrer aussi subtilement ses échecs et leurs rebondissements. Il avait une bonne étoile qui veillait sur lui.
Imaginez-vous qu’adolescent, il s’engage l’été pour gagner quelques sous, sur un thonier. Lors d’une escale à Copenhague, atteint d’une grave allergie, il doit se rendre à l’hôpital. Son voisin de chambre est Sir Alfred Hitchcock. Le gamin, qui n’a jamais rêvé d’être comédien, le convint de l’emmener à Hollywood. Il y reste deux ans, mais plus intéressé par la belle vie, il n’y fit pas carrière. C’est encore sa belle étoile qui lui fit croiser Jean Marais sur une plage de Cannes où le jeune homme était plagiste. On retrouve toutes ces savoureuses anecdotes dans ses livres, Ma route semée d’étoiles et Des paillettes au creux des rides.
Le dernier bastion de la fête
Il avait combattu le crabe avec une force et un courage remarquable. Je le revois encore, fragilisé par les années, mais heureux d’être encore parmi nous. Il avait des projets plein la tête. La Covid et ses confinements nous ont coupés les uns des autres. On pense que l’on a le temps, que l’on se reverra, et la mort surgit comme une sentence. Cette pandémie et la crise économique ont modifié le paysage nocturne parisien. Avec sa disparition, on le sait, plus rien ne sera comme avant. La fête n’aura plus jamais le même goût. Alors adieu Jacques ! S’il existe un paradis, j’imagine que tu dois bien t’amuser là-haut avec tes chers et chères disparues.