Pour sa vingt-sixième édition, le festival La Tête dans les nuages met à l’honneur le théâtre jeune public, dans toute sa diversité esthétique et thématique.
Cartoon de Mike Kenny, mise en scène Odile Grosset-Grange ©Christophe Raynaud de Lage
Curieux champ que le théâtre jeune public, un peu snobé bien qu’investi régulièrement par de grands noms, souvent mal financé et victime d’un réductionnisme ignorant la diversité qui se cache derrière ce terme générique. Depuis son arrivée à la tête du Théâtre d’Angoulême, Sonia Kéchichian a prolongé le geste de la scène nationale en direction de la jeunesse, soit un public plus large que celui désigné par le label « jeune public », allant des plus petits jusqu’aux jeunes adultes. Reprenant le flambeau du festival maison La Tête dans les nuages, l’un des quelques rendez-vous hexagonaux consacrés à nos cadets, elle vise à prouver la vitalité de ce sous-champ de la création. Soit un bouquet de treize propositions mélangeant les genres et les disciplines, du théâtre documentaire au ciné-concert en caravane.
Construire une programmation jeunesse
Impliquée dans la programmation jeune public depuis son passage au CDN de Sartrouville, Sonia Kéchichian, programmatrice curieuse et attentive aux croisements disciplinaires, défend l’idée d’un théâtre jeunesse qui soit davantage que le parent pauvre du spectacle vivant. Lectrice de BD et de mangas en accord avec l’ADN angoumoisin, elle est à l’initiative d’un club de programmation dans lequel des volontaires âgés de quinze à vingt ans discutent avec les équipes du théâtre et les artistes, et inventent leurs propres outils démocratiques afin d’élire un spectacle pour la saison suivante. Première lauréate cette année : Suzanne de Baecque, dont la pièce Tenir debout est à l’affiche de la vingt-sixième édition du festival.
Comment pense-t-on une programmation jeunesse ? Panacher les âges est une chose, nécessaire. Choisir ce que l’on adresse à chacun d’entre eux en est une autre. Le théâtre jeune public cristallise les thèmes structurants du présent. Ainsi, la question écologique ou celle de l’acceptation de l’autre mobilisent pas mal d’artistes, envoyant ainsi des messages aux citoyens du présent et du futur. « J’essaie de proposer des récits où l’on voit de la lumière au bout du tunnel, malgré les discours nihilistes », explique Kéchichian. « La question est : comment déplace-t-on les récits pour montrer qu’autour de problématiques cruciales, on peut proposer d’autres choses, des modèles différents ? Comment, même avec des sujets graves, amener le rire ou le sourire, pour ne pas laisser les jeunes dans leurs angoisses ? ».
En roulotte ou à pied
On le sait, l’invention de nouveaux modèles à travers l’art est avant tout affaire de forme. Celles que l’on aura vues au cours du festival sont particulièrement variées. Nous aurons d’abord embarqué dans une roulotte installée place New York, en face du théâtre, à l’intérieur de laquelle se déploie un petit monde de mécanique artisanale, celui inventé par Arthur Delaval du collectif La Méandre, qui en prépare une suite grand format.
Le spectacle a dix ans, et le créateur a transmis sa machinerie à Noé Lémac, lequel nous accueille coiffé d’une couronne en papier, en petit roi bienveillant d’un empire de bouts de ficelle. Dans cet espace confiné, le ciné-concert Avion Papier raconte une histoire allégorique, aussi épurée que le trait des images animées très burtoniennes qui débordent en toutes parts de leur cadre pour venir habiter de multiples objets dans l’habitacle. Le voyage du personnage se mêle aux propriétés plastiques de l’œuvre, tandis que l’interprète compose en direct une bande-son poétique à grand renfort de loops, devant des yeux ébahis.
Côté danse, P.I.E.D. de Bérénice Legrand brouille les usages habituels du corps et joue avec le membre éponyme, dont elle refuse de faire l’opposé diamétral du cerveau. Deux interprètes (Dorothée Lamy, Zoranne Serrano), émergées d’un monticule en fourrure, grimpent l’une sur l’autre, jouent avec une tresse en peluche, exécutent quelques pas de stomp et finissent par s’entremêler en un corps à quatre jambes. Sans queue ni tête autre que son programme corporel, la pièce sert d’introduction, pour les tout-petits, aux potentialités de la danse contemporaine. La pièce est suivie d’un jeu participatif savamment mené par les artistes, au cours duquel parents et enfants sont invités eux aussi à rejoindre la danse, manifestement avec un grand enthousiasme.
Villes de papier et séries animées
Pour les plus grands, Villes de papier retrace le parcours de migration d’un mineur non accompagné, un jeune exilé. C’est son propre vécu que raconte le talentueux interprète Karim Sylla, vingt-deux ans aujourd’hui, parti de Guinée à treize ans pour rejoindre la France. Depuis 2014, il a notamment travaillé avec Thierry Thieû Niang et rencontré Cécile Loyer, metteuse en scène et chorégraphe de cette pièce chorale. Trois comédiens (Sonia Delbost-Henry, Steven Hervouet, Mai Ishiwata) se tiennent aux côtés du jeune danseur pour le replonger dans une mémoire sensible. Inégale sur le plan de la danse, Villes de papier déjoue néanmoins les écueils du misérabilisme ou de la romantisation excessive. Sa plus belle idée consiste à inscrire le récit autobiographique dans un dispositif scénique collectif, où les uns accompagnent, ni plus ni moins, le témoignage de l’autre.
Lorsqu’on l’interroge sur les tendances qui animent aujourd’hui les artistes du théâtre jeune public, Sonia Kéchichian réfléchit, fait l’inventaire et constate : comme il existe un cinéma de genre recyclant ses propres codes, on voit apparaître des pièces qui piochent dans les autres arts pour réutiliser les codes de différents univers fictionnels — du film d’épouvante (on pense, pour les adultes, au travail récent du collectif Mind the gap) jusqu’au manga. Cartoon ou N’essayez pas ça chez vous ! de Mike Kenny, mis en scène par Odile Grosset-Grange, en est la preuve formelle.
Il ne faut évidemment pas se laisser tromper par leur nom : la famille Normal a une anomalie de taille, celle d’être des personnages de dessin animé dans un monde en chair et en os. Jimmy, le fils (Pierre Lefebvre-Adrien), se retrouve pris dans un voyage dans les confins de son existence de cartoon. La pièce résulte d’une amusant double réemploi, puisqu’elle s’inspire de séries animées reprenant elles-mêmes minutieusement les codes de la sitcom. Généreuse en effets spéciaux — sa gageure principale, puisque le propre du cartoon est de pouvoir défier, à tous moments, les lois de la physique et du vivant —, la mise en scène d’Odile Grosset-Grange fait flotter ses personnages en l’air, ôte la tête à un bébé et donne la parole aux animaux. Et les enfants, rois de ce festival, sont extatiques.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Angoulême
Festival La Tête dans les nuages, 26e édition
Du 1er au 11 mars 2022
Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
Av. des Maréchaux
16000 Angoulême
Avion papier d’Arthur Delaval
Dessins, montage, musique, machinerie Arthur Delaval
scénario du court-métrage Guilhem Bréard
Machinerie, construction Mathieu Fernandez, Jordan Bonnot
Mapping Guillaume Bertrand
Mise en scène Laura Dahan
Aide à la mise en scène Manuel Marcos
Regard extérieur et production Mélissa Azé
Avec Noé Lémac
Tournée
Le 11 mars au festival Les Enfants d’abord, Colombes
Le 12 mars au Bar le Gallia, Pantin (93)
Les 22 et 23 avril au PICelectroNIC, Luxembourg
En mai au Théâtre Sénart, Lieusaint
P.I.E.D. #Format de poche de Bérénice Legrand
Concepton et chorégraphie Bérénice Legrand
Complicité pour l’écriture chorégraphique des danseuses interprètes et Dorothée Lamy, Zoranne Serrano
Interprétaton en alternance Sarah Chlaouchi, Mélanie Favre, Céline Maufroid, Jennifer Dubreuil
Créaton musicale Benjamin Collier
Régie son et plateau Romain Gonter
Costumes et réalisaton textile Mélanie Loisy
Villes de papier de Cécile Loyer
Chorégraphie Cécile Loyer
Assistant à la chorégraphie Eric Domeneghetty
Création lumières Coralie Pacreau
Textes Violaine Schwartz
Musique Sylvain Chauveau
Plasticien Barbu Bejan
Régie son Emmanuel Baux
Avec Sonia Delbost-Henry, Steven Hervouet, Mai Ishiwata, Karim Sylla
Tournée
Le 10 Mars 2023 au Festival IMMERSION DANSE – L’étoile du nord, Paris
Du 22 au 24 Mars 2023 au Festival Semaine Extra – Nest CDN de Thionville
Cartoon ou N’essayez pas ça chez vous ! de Mike Kenny
Traduction Séverine Magois
Mise en scène Odile Grosset-Grange
Assistant à la mise en scène Carles Romero-Vidal
Régie générale et lumières Erwan Tassel
Scénographie Stephan Zimmerli assisté de Irène Vignaud
Dessins Stephan Zimmerli
Conseil marionnettes Brice Berthoud
Fabrication marionnettes Caroline Dubuisson
Conception magie Vincent Wüthrich
Création musicale et son Vincent Hulot
Costumes Séverine Thiebault
Accessoires Irène Vignaud
Plateau, vidéo Emmanuel Larue
Avec François Chary, Julien Cigana, Delphine Lamand, Pierre Lefebvre-Adrien, Pauline Vaubaillon
Tournée
Les 10 et 11 mars 2023 à l’Azimut Scène Nationale – Théâtre La Piscine, Châtenay-Malabry
Les 21 et 22 mars 2023 à la Comédie de Valence – CDN
DU 4 au 6 avril 2023 à la Coursive – Scène Nationale, La Rochelle
Du 14 au 16 avril 2023 à la Ferme du Buisson – Scène Nationale, Noisiel
Les 4 et 5 mai 2023 au Gallia Théâtre, Saintes
Le 26 mai 2023 au Théâtre de Gascogne – Le Pôle, Mont-de-Marsan