Coup de projecteur sur les femmes par Laura Léoni

Au funambule Montmartre, Diane Prost s'empare du texte de Laura Léoni et rend hommage à l'histoire des femmes, plus particulièrement des lesbiennes.

La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni mise en scène de Laëtitia Gonzalbes - avec Diane Prost © Chloé Nicosia

À travers une épopée haute en couleur, en injustice et en colère signée Laura Léoni, Diane Prost fait vibrer à l’unisson le cœur des femmes en leur rappelant leur histoire. Notre histoire. Celle d’une oppression écrasante et, surtout, celle d’une libération progressive, profonde et irrémédiable. Un coup de force en un tour de main.

© Chloé Nicosia

Première grande force de ce spectacle : son titre, bien senti : La folle et inconvenante histoire des femmes. Associés aux mots « histoire » et « femmes », les mots « folle » et « inconvenante » résonnent comme une promesse de truculence. On a si peu entendu parler de cette histoire-là, écrite par les femmes, qu’il est grand temps d’en avoir connaissance. Et plus encore, conscience.

Un spectacle de la verticalité
La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni mise en scène de Laëtitia Gonzalbes - avec Diane Prost © Chloé Nicosia
© Chloé Nicosia

À notre arrivée, la salle est pleine… de femmes. Quelques hommes, ça et là, mais si peu. À croire que l’histoire des femmes, de prime abord, n’intéresse que les principales concernées. Soit la moitié de la population, ce n’est pas rien tout de même. Portant à bout de bras ce projet, par le truchement de Laura Léoni, autrice de cette pléiade féministe, Diane Prost nous enjoint de nous mettre « debout » (ce que nous ferons à la fin du spectacle dans un tonnerre d’applaudissements). Pour crier à l’unisson notre histoire, notre légitimité, nos droits, nos forces.

Pénis : tout ça pour ça

Derrière ce message puissant, qui fait écho aux paroles radicales de Virginie Despentes ou d’Adèle Haenel, Diane Prost réhabilite la notion de « sororité » qui s’est perdue dans les limbes de l’oubli au profit de la « fraternité », elle, bel et bien ancrée dans les esprits des Français·es. Plus particulièrement des hommes qui, au fil des siècles, se sont targués de leur complicité masculine, de leur supériorité naturelle, de leur suprématie de droits… Pour quelle raison ? Parce qu’à la différence des femmes, ils ont un pénis. Symbole ultime, tout autant que dérisoire, du pouvoir, brandi depuis la nuit des temps sous toutes les formes possibles et inimaginables : sculptures, amulettes, peintures, etc.

Considérée comme moteur de l’origine du monde, la semence des hommes a constitué une excuse aux pires infamies : viols, mariages forcés, abus sur mineures… Tout ça pour quoi ? La pro-cré-a-tion, pardi ! Le Graal des femmes. Sans ça, à quoi rime la vie ? En bref, tous les malaises accumulés dans l’histoire, toutes les injustices perpétrées, ne tiennent qu’à ce fil si ténu du sexe. L’un visible, donc dominant ; l’autre invisible, donc dominé. Alors même que la vie se crée dans le ventre des femmes. Quel insoutenable paradoxe.

Dialogue transgénérationnel
La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni mise en scène de Laëtitia Gonzalbes - avec Diane Prost © Chloé Nicosia
© Chloé Nicosia

Cette injustice crasse sous-tend l’argumentaire de la comédienne qui s’appuie littéralement sur un livre d’histoire pour démonter, un à un, ces siècles d’oppression. Un livre offert par sa grand-mère, femme invisible du plateau, enfermée dans un cercueil à droite sur scène. Silencieuse et tonitruante, cette historienne a voulu léguer à sa petite-fille sa vision de l’histoire, engagée et indignée.

En survolant les ignominies dont les femmes ont été victimes à travers les siècles, Diane Prost s’approprie ce symbole de la connaissance pour déployer une galerie de personnages essentiellement féminins. Entre flashbacks et connexions au moment présent, elle incarne tour à tour la soumission, l’accusation, l’indignation, l’indépendance, la provocation et la colère avec une constante : une vibration malicieuse qui imprègne tout son corps, sa voix et ses intonations.

Impact multi-dimensionnel
La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni mise en scène de Laëtitia Gonzalbes - avec Diane Prost © Chloé Nicosia
© Chloé Nicosia

Ses personnages, Diane Prost les rend vivants grâce à plusieurs éléments scéniques qui confèrent à sa création un impact autant intellectuel qu’émotionnel : un vêtement en soie fluide capable de se transmuer en robe, en toge, en pantalon ou en Marianne, et qui permet à la comédienne de ne jamais quitter la scène, malgré le télescopage des époques. Ensuite, cette toile de fond sur laquelle sont diffusées moult images, pour la plupart animées : des dessins en noir et blanc aux contours humoristiques qui, par leurs paroles irrévérencieuses, créent des décalages tragi-comiques. Sans oublier, la musique, personnage à part entière, qui accompagne les tribulations de la comédienne jusqu’à l’explosion finale. Une conclusion où les mots, la danse et les notes viennent s’entremêler dans un crescendo jouissif. Et puissamment libérateur.

L’émotion, dans ce public de femmes, est palpable : les battements de cœur s’accélèrent, les larmes montent aux yeux. S’érigeant comme un parangon de l’injustice, Diane Prost réussit la prouesse de nous rappeler à notre responsabilité : par notre seule présence sur Terre, nous incarnons la lignée de toutes les femmes qui nous ont précédé·es. En cela, nous nous devons de rester soudé·es pour continuer à nous battre. Car, si le XXe siècle reste le siècle le plus progressiste, les chiffres révèlent que le sort des femmes reste problématique.

Les lesbiennes, mères des grandes avancées
© Chloé Nicosia
© Chloé Nicosia

Clou du spectacle : ce dernier n’aurait pas existé si Diane Prost n’avait pas été lesbienne. C’est la découverte de son homosexualité à l’adolescence qui lui a permis instinctivement de contester les normes de genres ; c’est le malaise qu’elle a ressenti dans son corps de fille, notamment lorsqu’il a été réglé, qu’elle a compris les tares dont il était affublé ; c’est parce qu’elle a couché avec des femmes qu’elle a pris conscience de la pluralité du plaisir, loin d’être relié au seul phallus ; c’est en se rapprochant du milieu LGBTQIA+ qu’elle a pris conscience du nombre de figures lesbiennes qui ont fait avancé le monde des femmes : la poétesse Sappho, la peintre Rosa Bonheur, l’écrivaine Colette, l’artiste Joséphine Baker

Diane Prost montre que l’histoire, plus qu’avoir effacé les femmes, a effacé les lesbiennes : les pires des ennemies, car les plus affranchies du patriarcat, les plus contestataires dans leur approche du monde, les plus enclines à la liberté, les plus novatrices dans leurs idées. Derrière l’hommage vibrant qu’elle rend à ces femmes en affirmant à plusieurs reprises son homosexualité sur scène, elle témoigne d’une vérité qu’il est temps là aussi de dire haut et fort : les lesbiennes ont permis au monde de faire des bonds en avant et au féminisme de se faire entendre. On leur doit beaucoup.

Il ne nous reste plus qu’à espérer que la pièce, déjà jouée plus d’une centaine de fois, soit vue, écoutée, regardée par un nombre encore plus grand. À commencer par les hommes, qui auraient fort à apprendre.

Cécile Strouk

La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni
Au Funambule Montmartre
53 rue des saules
75018 Paris
Jusqu’au dimanche 16 avril
Durée : 1h10

Mise en scène de Laëtitia Gonzalbes
Avec Diane Prost
Lumières de Laetitia Gonzalbes

Teaser de La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni

Après une carrière en journalisme et en communication corporate, Cécile Strouk créé en 2016 sa propre agence éditoriale : Mon strouk en plume. Depuis, Cécile prête sa plume à toutes celles et ceux qui ont des besoins d’écriture (PME, TPE, startup, artiste et particuliers) pour les aider à déployer une parole élégante, simple et impactante. En parallèle, elle anime le podcast MISE AU POINT qui explore le parcours de femmes et d'hommes liés de près ou de loin aux arts vivants.

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