Clown meurtrier dans Balthazar sur TF1, dieu serpent impitoyable dans Théodosia, série produite pour HBO ou amoureux perdant la tête sur les planches du Petit Saint-Martin, le comédien multiplie les expériences, change de registres avec une facilité déconcertante. Refusant les étiquettes, aussi à l’aise dans les boulevards que dans les tragédies contemporaines, il ouvre les portes d’un de ses jardins secrets, le bar d’un hôtel quatre étoiles du 2e arrondissement de Paris.
Sourire ravageur, regard d’enfant espiègle, habillé à la dernière mode, chemise bleu ouvrier large, jean retroussé au-dessus de boots noires à lacets, Thierry Lopez a cette capacité rare d’irradier autour de lui une douce sérénité. Traversant les styles comme les saisons, avec humour, il s’est installé, attendant notre arrivée, dans un coin tranquille d’un de ces lieux prisés des bobos parisiens. Musique lounge en fond sonore, fauteuils cosy dépareillés, serveurs et serveuses au look casual sophistiqué, le lieu réunit en ce jeudi fin de matinée, une faune hétéroclite de bon aloi, allant du hipster accro à son portable à la famille américaine venue découvrir la capitale. Tel un poisson dans l’eau, le comédien s’amuse de ce monde de contraste, cet univers où il se sent chez lui.
Aussi à l’aise dans la vie que sur une scène de théâtre, il instaure avec ses interlocuteurs ainsi qu’avec ses partenaires une connivence, une complicité. On a l’impression de le connaître depuis longtemps. Il faut dire que l’homme, solaire, attire les regards. Observateur, taquin, il s’amuse de détails, de petits riens. Le dialogue est fluide. Puis, imperceptiblement, le monde autour s’efface. Il remonte le fil de ses souvenirs. « À la base, je voulais être danseur, ce qui était dans mon milieu assez éloigné de la culture, de l’art, quelque chose, disons, d’assez discordant. Mais cela n’a pas empêché mes parents de m’inscrire au conservatoire de Perpignan, où durant dix ans j’ai suivi des cours de danse classique. Le théâtre est venu plus tard. Je crois que j’avais besoin de m’exprimer au-delà du corps. J’avais besoin des mots. »
Au lycée à Aurillac dans les années 1990, sous l’impulsion du proviseur, il prend option art dramatique. C’est le déclic. Il découvre le théâtre de rue, se passionne pour Shakespeare, Molière, s’enflamme pour Royal de Luxe, la Cie 26000 couverts avec lesquels l’établissement scolaire collabore régulièrement. Le chemin semble tout tracé. Toutefois, connaissant la précarité du métier, il entre à la Sorbonne, fait des études de langues étrangères appliquées, en profite pour découvrir le monde, voyager. Licence à Birmingham, maîtrise en Australie, il n’en oublie pas pour autant son goût pour la comédie. En 1999, il sort diplômé du Théâtre national de Birmingham. En 2002, dès son retour en France, il suit les cours du soir à Florent. « Je crois que l’important pour moi a toujours été le besoin, l’envie de m’amuser, de vivre mille vies. Avec le théâtre, j’ai trouvé mon endroit, ma place, une dimension où je pouvais conjuguer l’engagement du corps et la force des mots. »
Nommé aux Molières en 2016 pour Avanti de Samuel Taylor, mis en scène par Steve Suissa, le comédien aime se réinventer à chaque nouvelle aventure. Méconnaissable en clown fou dans Balthazar, lilliputien goguenard dans Le Voyage de Gulliver, mis en scène par l’épatant duo Valérie Lesort et Christian Hecq, élégant en robe noire fluide dans Ich bin Charlotte, maquillé comme une voiture volée dans Nuit d’Ivresse, où il reprend le rôle de Balasko, le Perpignanais passe d’un rôle à l’autre, du comique de boulevard à la tragédie avec aisance et virtuosité. De rencontre en rencontre, Thierry Lopez impose sa présence lumineuse et chaleureuse. « Ce que j’aime par-dessus tout, confie-t-il, c’est à chaque fois de découvrir de nouveaux univers, me glisser dans des récits de vie totalement opposés. » Jouant Shakespeare sous la direction de Nicolas Briançon, donnant la réplique à Amanda Lear dans Divina de Jean Robert-Charrier ou insufflant la vie au Soldat de Stravinsky et Ramuz dans une mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, le comédien multiplie les expériences. Refusant tout carcan, toutes limites, des Variétés au théâtre du Poche-Montparnasse, en passant par le CDN de Dijon Bourgogne, le Quai d’Angers, le Théâtre de l’Athénée et, bien sûr, divers lieux du Off d’Avignon, il puise à chaque projet au plus profond de lui de nouvelles ressources, de nouvelles émotions.
Amis de longue date — ils se sont rencontrés en 2012, dans le Songe d’une nuit d’été, monté par Briançon au Théâtre de la Porte Saint-Martin —, Thierry Lopez et Marie-Julie Baup avaient depuis longtemps le désir de se retrouver sur les planches, d’initier ensemble un projet. « Quand j’ai lu In the other worlds du dramaturge britannique Matthew Seager, il y a eu comme une évidence. La pièce parle d’amour, de mémoire, d’émotions brutes, des choses qui sont viscéralement liées à notre métier de comédien. J’ai tout de suite appelé Marie-Julie pour qu’elle le lise. Rapidement, elle a été convaincue. » Lui à la traduction, elle à l’adaptation. Le projet était lancé. Puis tout s’est enchaîné. Des producteurs convaincus, qu’ils les ont laissés entièrement libres de leurs choix artistiques, un créneau à Avignon en juillet dernier au Théâtre Actuel, une salle pleine en quelques jours, et Oublie-moi crée l’événement. Succès du Off, la pièce prend ses quartiers d’hiver au Petit-Saint Martin. Les premières dates ne démentent pas l’engouement estival.
Toujours en mouvement, jamais à l’arrêt, Thierry Lopez fait le clown, prend la pose, s’amuse devant l’objectif de notre appareil photo. Sourire filou aux lèvres, le trac en bandoulière, le comédien croit en sa bonne étoile. On lui souhaite qu’elle illumine encore longtemps les théâtres, les séries télévisées d’ici ou d’ailleurs et pourquoi pas ailleurs.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Oublie moi de Matthew Seager.
Théâtre du Petit Saint-Martin
17 rue René Boulanger
75010 Paris.
Du 27 janvier au 1er avril 2023.
Du mardi au samedi 19h ou 21h, matinée samedi à 16h.
Durée 1h15.
Mise en scène, adaptation et interprétation de Marie-Julie Baup et Thierry Lopez
Costumes de Michel Dussarrat
Scénographie de Bastien Forestier
Lumières de Moïse Hill
Création sonore de Clément Leotard
Assistante mise en scène de Pauline Tricot
Crédit portrait © OFGDA
Crédit photos © Svend Andersen & © Frédérique Toulet