Artiste associé aux Célestins-théâtre de Lyon depuis 2019, Thierry Jolivet présente actuellement sa dernière création, Sommeil sans rêve. Une œuvre collective très fragile, pleine de défauts, riche de belles fulgurances.
© Simon Gosselin
À la manière des films choraux de Robert Altmann ou de Paul Thomas Anderson qui ont marqué le cinéma américain des années 1990, le metteur en scène, membre fondateur du collectif La Meute, entrecroise au plateau douze destinées d’hommes et de femmes confrontés à la mort.
Vidéo ubiquiste
Revenant à ses premières amours, le 7e art et l’audiovisuel, Thierry Jolivet passe par le prisme de la vidéo via un écran géant qui avale l’espace scénique, le dévore. Si, parfois, le regard s’égare et cherche les comédiens dans les moindres recoins de la scène ou de la salle, il est presque impossible de ne pas être attiré, obnubilé par les images qui défilent en arrière-plan. Le théâtre se fond dans la toile. Une petite voix nous susurre au creux de l’oreille les paroles quelque peu transformées du groupe phare des seventies, The Bangles : « Video kill the theater star. » Mais, et c’est toute la magie de cette fresque contemporaine, une forme de théâtralité persiste. Cloisons amovibles, décors changés à vue, ficelles des effets spéciaux volontairement visibles, c’est dans cette marge, ces petits riens, qu’elle dévoile son pouvoir unique de rendre réelle la fiction.
Des personnages du quotidien
Un gourou charismatique, une médecin sous pression, un taxi dépassé par les événements, un escroc à la petite semaine, une baby sitter cash, une actrice en perte de confiance, un homme d’âge mûr souhaitant en finir dignement avec sa vie qui fut belle, un chef étoilé à la limite du burn out, sa mère alcoolique et hors contrôle, tous habitent le moindre recoin d’un plateau oversize sur lequel se multiplient les saynètes et se déploient mille récits qui rarement se percutent, hélas ! Le trop est l’ennemi du bien, et c’est clairement à cet endroit qu’en ce soir de première, le spectacle pèche. Textes et impros au déroulé, manque de lien, de cohésion dû à une dramaturgie flottante, surdose de techniques plombent ce Sommeil sans rêve au très long cours — 3h40 avec entracte.
Au-delà des apparences
Mais Thierry Jolivet n’a pas dit son dernier mot. S’il est difficile de ne pas voir les faiblesses de cette œuvre en quête d’auteur(s), il est aisé de se rendre compte de l’incroyable talent de chef d’orchestre de l’artiste formé au conservatoire de Lyon. Porté par une troupe certes inégale, mais engagée, il déploie un art presque pictural du tableau, croque les défauts des uns, les peurs des autres, et signe un spectacle en devenir plutôt intéressant. Pour les plus curieux, il a même développé en parallèle une série en onze épisodes visible sur Youtube, pour donner corps un peu plus profondément aux protagonistes de sa pièce.
Dans tout ce fatras se nichent de beaux moments suspendus : la présence incroyable de Laurent Ziserman, celle non moins habitée de Marion Couzinié, une bande son envoûtante, du théâtre de tréteaux à roder, à polir, à resserrer, une pièce kaléidoscopique dont on espère qu’elle trouvera son rythme, loin des cris, proche du rire, des larmes, qui font tout le sel de cette œuvre profondément humaine !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
Sommeil sans rêve de Thierry Jolivet
Célestins, théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
jusqu’au 4 mars 2023
Durée 3h45 environ
Mise en scène de Thierry Jolivet – La Meute Théâtre
avec Florian Bardet, Laure Barida, Fanny Barthod, Marion Couzinié, Steven Fafournoux, Quentin Gibelin, François Jaulin, Julien Kosellek, Lilla Sárosdi, Paul Schirck, Laurent Ziserman
Conception du décor, régie lumière, régie générale – Nicolas Galland
Création vidéo, cadre – Florian Bardet
Création lumière – David Debrinay
Sonorisation – Yann Sandeau
Régie vidéo – Nicolas Mollard
Construction – Clément Breton, Nicolas Galland