To like or not to like, Émilie Anna Maillet © Pacale Cholette

Projections adolescentes

À la MC2: Grenoble, dont elle est artiste associée, Émilie Anna Maillet a créé le double programme « To like or not to like »/« Crari or not ». Un projet immersif et transmédia ambitieux, qui balade le spectateurs dans les émois d'une bande d'adolescents-types.

To like or not to like, Émilie Anna Maillet © Pacale Cholette

À la MC2: Grenoble, dont elle est artiste associée, Émilie Anna Maillet a créé le double programme To like or not to like/Crari or not. Un projet immersif et transmédia ambitieux, qui balade le spectateurs dans les émois d’une bande d’adolescents-types.

L’inscription consommée des réseaux sociaux dans le régime communicationnel du moment pose un problème esthétique qu’il est nécessaire de démêler comme tel lorsque l’on entend produire une représentation des pratiques sociales de la jeunesse en 2023. Déjà Emilie Anna Maillet s’était attelée à la tâche de faire théâtre à partir des outils numériques avec deux adaptations de Jon Fosse, Hiver en 2012 puis Kant en 2017. Mais dans cette mise en scène d’un texte original (une première pour son autrice), néanmoins zébré de citations littéraires piochées dans un corpus touffu mêlant Molière, Shakespeare, Woolf, Plath, Duras et Lagarce, la vidéo a un double statut. À la fois outil scénique, elle est aussi directement liée au récit parce qu’inscrite dans la vie des personnages : ce sont leurs écrans de téléphone et d’ordinateur.

To like or not to like, Émilie Anna Maillet © Pacale Cholette
Le bizu à la caméra

Poussant cette logique, Maillet et sa compagnie Ex Voto à la Lune fait de ce projet une expérience transmédiatique où la scène est, du point de vue de la narration, le pôle d’arrivée d’un parcours qui commence sur Instagram, dans les comptes réels de personnages fictifs, et trouve son point d’orgue dans une séquence en réalité virtuelle où le spectateur, casque sur les yeux et les oreilles, vit une soirée charnière à travers les yeux de l’un de cinq personnages, au choix. Titrée Crari or not, cette déambulation technologique joue de la signification de son argot : faire crari, faire genre, c’est ici s’imaginer dans la peau d’un autre, littéralement.

La soirée à laquelle nous prenons part n’est pas une soirée comme les autres, et tout le diptyque numérique d’Émilie Anna Maillet s’articule autour d’elle. Cette house party réunit quelques-uns des dix adolescents qui apparaissent dans l’objet scénique To like or not to like. S’y agitent des histoires canoniques de désir, tromperies et engueulades. Dans le lot, il y a l’homme à la caméra, un bizu qui ne dit rien mais filme tout, et dont les lives et les stories Instagram nourrissent bien des échanges, en même temps qu’ils donnent un sens à la saturation vidéographique à venir sur le plateau. Ce tableau choral des émois et déchirements adolescents se déploie ainsi dans un enchevêtrement d’intrigues, au gré d’une multiplication vertigineuse de supports. La pièce en pousse le caractère bruyant, chaotique : les projections juxtaposées répondent d’une esthétique du collage qui a tout à voir avec les visualités contemporaines, leur économie de l’attention. Tout ceci s’accompagne bien sûr d’une langue : l’autrice et metteuse en scène marie le langage argotique de la génération qu’elle dépeint à des emprunts littéraires, ainsi qu’à des envolées lyriques qu’elle invente pour ses personnages.

Marionnettes
To like or not to like, Émilie Anna Maillet © Pacale Cholette

L’ensemble est assez cohérent, mais quelque peu miné par un manque plus profond. Étonnamment, To like or not to like ne faillit pas à l’endroit de sa prise de risques, l’hybridation des modes de représentation comme des registres de langue se fondant dans un ensemble plutôt efficace et fourni. Le hic réside plutôt dans la teneur du récit lui-même : enfilant les archétypes comme des perles dans un geste assumé (sur l’amour, la difficile acceptation de soi ou l’« éco-anxiété »), l’objet scénique To like or not to like ne parvient pas à se départir d’un sentiment de vague généralité, comme si le dispositif attendait indéfiniment que se déploient en son sein des histoires en propre. Les personnages s’étouffent sous cette couche superficielle, de même que les costumes permettent à chaque comédien de jongler entre deux personnages (on note à ce titre l’habileté et la constance des cinq comédiens fraîchement sortis de l’Eracm), mais au prix d’une dissimulation des visages et, ce faisant, des particularités individuelles. En outre, l’économie faite d’un monde extérieur à la petite communauté produit l’effet d’un non-lieu politique.

Paradoxalement, on aura trouvé davantage d’incarnation dans l’étape de réalité virtuelle, où le spectateur, guidé à l’aveugle par les membres de l’équipe, rétrécit au milieu des autres personnages puis s’élève au-dessus d’eux, donnant forme aux illusions de grandeur et autre complexe d’infériorité de cet âge intense. On retiendra encore davantage les séquences de jeu vidéo en ligne, où les écrans juxtaposés des joueurs en co-op laissent redoubler, par l’image de jeux plus ou moins indépendants (Fortnite, Hadès et Black Desert), les querelles et attractions qui se jouent entre eux. Voilà peut-être la plus belle idée de la pièce : que les adolescents ordinaires puissent sublimer leurs vies par leurs propres moyens, et avec les références qui n’appartiennent (presque) qu’à eux.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Grenoble

To like or not to like/Crari or not d’Émilie Anna Maillet
MC2: Maison de la Culture de Grenoble
4 rue Paul Claudel
38034 Grenoble

To like or not to like du 31 janvier au 3 février
Durée estimée 1h20
Crari or not du 25 janvier au 6 février
Durée 45 min

Tournée
Grand R – Roche-sur-Yon
Crari or not du 27 février au 3 mars
To like or not to like le 2 mars
Centre des Arts, Enghien-les Bains
Crari or not les 18 et 19 mars
To like or not to like le 19 mars
Théâtre Massalia – Friche de la Belle de Mai, Marseille
To like or not to like les 30 et 31 mars
Le Grand Bleu, scène conventionnée d’intérêt national, Lille, Festival
« Youth is GREAT »
Crari or not les 13 et 14 avril
Festival NEMO
CENTQUATRE-PARIS
À l’automne 2023

Ecriture et mise en scène Émilie Anna Maillet
Collaboratrice artistique Marion Suzanne
Assistante mise en scène Clarisse Sellier
Chorégraphe Jessica Noita
Préparation chorégraphique Quentin Poulailleau
Scénographie Benjamin Gabrié
Régisseuse plateau Lucie Gautier
Vidéastes Maxime Lethelier et Noé Mercklé
Ingénieur son Hippolyte Leblanc
Création musicale Thibaut Haas « Bleu Couard »
Graphisme vidéo Arthur Chrisp
Perruquier, maquilleurAntoine Lermite
Costumes Émilie Anna Maillet, Marion Suzanne, Clarisse Sellier
Masques Anne Leray
Assistante réalisation Rose Arnold
Stagiaire assistante metteuse en scène Norma Conrath
Développement numérique Benjamin Kuperberg
Ingénieur réseau Thibaut Le Garrec

Crédit photos ©

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