« Faire du théâtre, c’est se mettre à l’écoute du monde pour en être la caisse de résonance » disait Laurent Terzieff. C’est exactement ce que nous propose le théâtre de la Pépinière avec son excellent spectacle Femmes en colère.
En choisissant d’adapter le livre Femmes en colère de Mathieu Menegaux, Pierre-Alain Leleu ne s’est pas trompé. À l’instar de Douze hommes en colère, cette pièce nous plonge dans la délibération d’un jury de cours d’assises. Mais à la différence de la célèbre pièce de Reginald Rose, qui se passait aux États-Unis dans les années 1950, nous sommes en France, aujourd’hui. Chez les Américains, un jury délibère seul ; dans notre pays, « les jurés participent, aux côtés des magistrats professionnels, au jugement des crimes par les cours d’assises ». Ce qui change beaucoup de choses.
Que justice soit faite
L’accusée s’appelle Mathilde Collignon. Elle a avoué son crime. Nous la savons donc coupable dès le début, et c’est ce qui rend le propos du spectacle passionnant. Nous plongeons alors en notre âme et conscience au cœur des nombreux débats qui bouleversent notre société actuelle, la justice, celle des hommes, le viol, la condition féminine. Mathilde est gynécologue et mère de famille. Une femme bien sous tous rapports, selon le critère bien-pensant. Mais cette divorcée, et déjà cela fait tache, aime faire l’amour et ne s’en cache pas. Ce qui n’arrange rien, elle reconnaît utiliser les sites de rencontre. Comment nomme-t-on une femme qui aime le sexe ? Une nymphomane, une Marie-couche-toi-là, une femme de petite vertu. Et les hommes ? Un Don Juan, un Casanova ou, au pire, un homme à femmes !
De curieuses victimes
Sur le banc des parties civiles, deux hommes, ses « victimes ». Les guillemets ont un sens. Ces deux individus, sous le couvert qu’elle avait pris rendez-vous avec l’un d’eux, l’ont violée et torturée. Elle l’avait bien cherché, non ? N’ayant aucune confiance en l’équité de la justice (qui aurait entendu sa plainte ?), elle décide de régler seule ses comptes. En les émasculant. C’est de ça qu’elle est accusée : d’avoir commis un acte d’une extrême « barbarie », comme le soulignera bien l’avocat des deux mâles mis à mal. Et pour cela, il réclame vingt ans de réclusion !
Crimes et châtiments
La pièce met en avant le combat de nombreuses femmes qui se sont retrouvées impuissantes face à leurs agresseurs. L’auteur dénonce ainsi les failles d’un système juridique français qui a tendance à se retourner contre les victimes d’abus sexuels. Mais cela va plus loin. A-t-on le droit de se rendre justice ? Son acte, postérieur à l’agression, est considéré comme prémédité. Alors, peut-on le qualifier d’acte de légitime défense ? Mathilde regrette son acte, non pas pour la forme, mais parce qu’elle n’avait pas pensé qu’elle le paierait si chèrement. Vingt ans ! Elle ne verra pas grandir ses filles ! Et eux ? À part de ne plus être des hommes « à part entière », ils ne seront jamais punis de leurs agissements.
Les coulisses d’un procès
L’action se situe dans le huis clos de la chambre des délibérations. Ces instants sont entrecoupés par Mathilde. Pleine d’inquiètude, elle attend le verdict et nous fait partager ses émotions et sa vérité. Lisa Martino, dans un jeu d’une grande précision, est bouleversante. Stéphane Hillel, avec sa mise en scène ciselée, traite finement ce va-et-vient.
Toute la difficulté des jurés va être de quantifier la peine. Comme le dit le président du jury (excellent Gilles Kneusé) : « La JUSTICE vous intime de la condamner lourdement. L’HUMANITÉ devrait vous conduire à la clémence envers cette femme qui a reconnu les faits et qui a déjà été punie… Alors que choisirez-vous ? Serez-vous des JUSTICIERS ? Ou serez-vous JUSTES ? » Ce à quoi une des jurés répondra : « Cette femme n’a été entendue et jugée que par des hommes. A-t-elle été écoutée ? »
En son âme et conscience
Une cour d’assises est composée de trois juges et de six jurés. Le président et les deux assesseurs (exemplaires Nathalie Boutefeu et Hugo Lebreton) sont des juges professionnels. Ils incarnent le droit et suivent le Code pénal à la lettre. Les jurés sont de simples citoyens tirés au sort sur les listes électorales. Ils sont, depuis la Révolution française, la voix du peuple. Une place que beaucoup souhaiteraient voir disparaître. « Continuez à bafouer le droit, laissez l’opinion juger à l’emporte-pièce, et vous récolterez à coup sûr le chaos et la dictature », s’écrie le président. Car nous, citoyens, sommes, paraît-il, sous l’influence de nos sentiments personnels, de notre perception de la vie et des médias !
Entre punition et pardon
Ici, elles sont quatre femmes (Sophie Artur, Magali Lange, Béatrice Michel, Aude Thirion) et deux hommes (Clément Koch et Fabrice de la Villehervé). Chacun ira de sa voix et de son intime conviction. Les comédiennes et comédiens ont délicatement dessiné leur personnage, selon leurs traits de caractère et leurs opinions. On n’en dira pas plus pour vous laisser le plaisir de découvrir les pourquoi et comment du verdict.
Cette pièce passionnante nous oblige à nous poser des questions sur la justice et son travail. Qu’aurions-nous fait à la place du jury ? À la place de Mathilde ? En ce soir de grève, nous étions une centaine dans la salle dont des élèves très attentifs d’un lycée de province qui suivent une option droit. Leurs réactions emballées a montré combien le débat était loin de se terminer une fois le rideau tombé. La société change, mais elle a encore bien des progrès à faire !
Marie-Céline Nivière
Femmes en colère de Mathieu Menegaux et Pierre-Alain Leleu
La Pépinière Théâtre
7 rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Jusqu’au 1er avril 2023.
Du mardi au samedi à 21h, matinée samedi à 16h. Relâche le 18 mars.
Durée 1h30.
Mise en scène de Stéphane Hillel.
Assistante mise en scène Elena Terenteva.
Avec Lisa Martino, Gilles Kneusé, Hugo Lebreton, Nathalie Boutefeu, Fabrice de la Villehervé, Sophie Artur, Clément Koch, Magali Lange, Aude Thirion, Béatrice Michel.
Scénographie d’Édouard Laug.
Costumes de Camille Duflos.
Lumière de Laurent Béal, assisté de Didier Brun.
Crédit photos © François Fonty.