Au carreau du Temple, le festival dédié à la représentation du corps dans nos sociétés contemporaines s’ouvre sur une plongée vertigineuse dans un monde de créatures, d’hommes démultipliés, de femmes surdimensionnées, d’êtres hybrides, libres. Loin des clichés, des préjugés, des idées préconçues, Arthur Perole, Tânia Carvalho et le collectif suisse Ouinch Ouinch déconstruisent les schémas sociétaux pour mieux les réinventer.
© Julie Folly
Sous les voûtes de verre et de fer de la grande halle du Carreau du Temple, c’est l’effervescence en ce vendredi après-midi d’ouverture du Festival Everybody. Devant une estrade, un groupe de femmes se déhanchent, s’amusent le temps d’un cours de danse à être autre. Aguicheuses, pétillantes, sensuelles, elles suivent à la lettre les directives et les conseils prodigués par Taïna de Bermudes, une des figures du célèbre Crazy Horse. Un peu plus loin, les Delgado Fuchs vérifient le bon fonctionnement de leur installation mouvante, A Normal Working Day, où des pantins grandeur nature à leur effigie s’agitent quand l’on s’approche. Au sous-sol, Arthur Perole s’échauffe. Dans quelques minutes, l’artiste originaire du Sud de la France présente Nos corps vivants, un solo très personnel où il entre en communion avec le public.
Catharsis des multiples
Blouson de fourrure de saison, rimmel dessinant le contour de ses yeux, le danseur-chorégraphe accueille les spectateurs, leur offre des bonbons, vérifie qu’ils soient bien installés. En fond sonore, les haut-parleurs, placés aux quatre coins du studio de Flore, diffusent les sons mixés par Marco Vivaldi, où s’entremêlent à des paroles d’anonymes évoquant sexisme, racisme, injonctions sociétales, blessures secrètes, regard en biais, des musiques technos pop. Comme traversé par les mots, les rythmiques, les mélodies, Arthur Pérole se débarrasse de ses oripeaux en poils rouges synthétiques et arbore fièrement un débardeur paillettes vert. Virevoltant, grimaçant, il rejoint la petite estrade en faux marbre noir, placé au centre d’un espace pensé en tri frontal. Le show peut commencer, personnel et introspectif tout d’abord, puis tourné vers les autres en quête d’une faille, d’un trouble sous-jacent. D’un geste tendu, d’un mouvement ondulatoire, il fait jaillir une émotion, un sentiment, un état d’esprit. À la manière d’un Chaplin des temps modernes, il brocarde avec humour, tendresse nos sociétés corsetées, espérant qu’une étincelle fasse voler en éclats certitudes et normes. Bien qu’itérative au long cours, cette pièce née de l’expérience vécue par l’artiste dans le cadre du projet Au creux de l’oreille, initié pendant le premier confinement par Wajdi Mouawad, directeur de la Colline – Théâtre national, touche à l’intime, aux liens imaginaires, verbaux ou charnels qui unissent les êtres humains, les uns aux autres.
Bal des fantômes
À peine le temps de reprendre ses esprits, qu’à la salle de spectacle, Tânia Carvalho invite à une balade onirique entre rêve et cauchemar. Jeux de miroir, réminiscences d’un passé sépulcral, songes fantasmagoriques, la chorégraphe portugaise déploie en une succession de tableaux, sa vision du monde extravagante autant qu’iconoclaste. Sur des airs de Chopin joué en direct, elle fait valser les stéréotypes de genre, valdinguer binarité et conformisme. Portant au plateau ses obsessions, les fantômes qui habitent ses nuits, elle imagine un ballet surréaliste, baroque pour sept danseurs où émergent des ténèbres de fulgurantes impressions, d’étranges sensations. Stimulant notre soif de singularité, Onirauto – Le marin des rêves – laisse sur sa faim, comme si malgré l’énergie déployée et la richesse grammaticale de cette proposition hors norme, un je-ne-sais-quoi maintenait à distance, empêchait d’entrer en résonnance avec le geste artistique de l’artiste.
Transe générationnelle
La soirée s’achève. Il est temps de rejoindre la grande halle, où s’est installé pour un show « no limit » le collectif suisse Ouinch Ouinch. Le dispostif est des plus simples, aux platines Maud Hala Chami aka Dj Mulah, au centre de la piste, Elie Autin, Marius Barthaux, Collin Cabanis, Karine Dahouindji et Adél Juhász, autour le public assis à même le sol. Tout est fait pour qu’entrent en communion danseurs et spectateurs, que le quatrième mur s’efface. C’est d’abord un son pulsé, un mix de SANTO, qui chauffe les esprits, irrigue les membres. Nappes de beat, sons ouatés, nuages techno pop, inondent l’espace et entrent en résonnance avec les corps. À l’unisson, les cinq artistes se libèrent de toute inhibition pour se laisser aller à une euphorie collective, une transe folle, salvatrice qui part du plus profond de leurs entrailles. Nous prenant à témoins, ils initient imperceptiblement une complicité, un mouvement, qui mènera à terme à un dj set, où tous danseront jusqu’au bout de la nuit… Cette deuxième édition d’Everybody démarre sur les chapeaux de roue, de bels augures pour les jours à venir !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Everybody
Carreau du Temple
4 Rue Eugène Spuller
75003 Paris
du 17 au 21 février 2023
Nos corps vivants d’Arthur Perole
Collaborateur artistique – Alexandre Da Silva
Musique live – Marcos Vivaldi
Lumières d’Anthony Merlaud
Costumes de Camille Penager
Régie générale, lumières – Nicolas Galland
Régie son – Benoit Martin
Onironauto de Tânia Carvalho
avec Bruno Senune, Catarina Carvalho/Nina Botkay, Cláudio Vieira, Filipe Baracho, Luís Guerra, Marta Cerqueira, Vânia Doutel Vaz/Patricia Keleher, Dovydas Strimaitis, Nina Botkay, Cláudio Vieira, Filipe Baracho, Luís Guerra, Marta Cerqueira, Sara Garcia – au piano Andriucha, Tânia Carvalho
Assistant à la chorégraphie – Luís Guerra
Musique de Frédéric Chopin & Tânia Carvalho
Lumières d’Anatol Waschke &Tânia Carvalho
Costumes de Cláudio Vieira et Tânia Carvalho (principalement pour les articles Só Dança)
Chaussures – Só Dança Vegan Line
Happy Hype du collectif Ouinch Ouinch
Conception : Marius Barthaux, Karine Dahouindji, Simon Crettol, DJ Mulah, Nicolas Fernando Mayorga Ramirez
Co-création et danse : Elie Autin, Marius Barthaux, Collin Cabanis, Karine Dahouindji, Adél Juhász
Musique live : Maud Hala Chami aka Dj Mulah, avec les remix de SANTO