Rencontre au sommet, au théâtre Montparnasse, entre Albert Einstein et Charlie Chaplin ! Mis en scène avec intelligence par Christophe Lidon, ce spectacle didactique et plaisant, offre à Daniel Russo l’occasion de montrer une autre facette de son talent.
Albert Einstein et Charlie Chaplin se sont croisés dans la réalité, mais n’ont jamais été intimes. Ce qui n’a pas empêché Olivier Dutaillis de les réunir dans une fiction et d’imaginer entre un eux une relation amicale. Cela fonctionne très bien, tant les échanges entre ces deux génies nous apparaissent alors dans une relativité tout à fait possible. De quoi peuvent donc parler ces deux êtres qui ont, chacun à leur manière, fait bouger le monde ?
L’art sauvera le monde
L’auteur organise donc trois rencontres qui auraient eu lieu entre 1938 et 1952. Cette combinaison l’autorise à explorer les grands bouleversements du XXe siècle, comme la montée du nazisme (Le dictateur), la bombe atomique, le maccarthysme et sa chasse aux sorcières. Cela lui permet également d’opposer deux approches différentes de la société et du rapport à la vie. L’un représente la science et le second les arts. Ainsi Einstein peut dire à Chaplin : « Ce que j’admire le plus dans votre art, c’est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant, le monde entier vous comprend. » À quoi le second répond « C’est vrai, mais votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend. »
L’imagination aux commandes
Tout se déroule dans le bureau du savant. Si l’on demeure dans du concret, la pièce unique peut devenir un piège, enfermant ainsi les propos et l’interprétation dans une routine lassante. Christophe Lidon a ouvert l’espace. Sa scénographie est comme toujours bien pensée. Un grand mur, tel un tableau immense, couvert de formules, serpente sur le plateau à la manière d’une courbe géométrique. Il est ouvert sur un ciel fait de planètes et d’étoiles. Ce décor poétique et symbolique, œuvre de Catherine Bluwal, agrémenté des lumières de Cyril Manetta et des vidéos de Léonard, aère ainsi l’action permettant à l’imaginaire de prendre le dessus. Il donne surtout la possibilité aux comédiens de s’emparer de l’espace et de circuler en toute aisance. Le résultat est formidable. Aucune monotonie ne vient casser le rythme des échanges.
Un Einstein plus vrai que nature
Lidon est un directeur d’acteurs très fin qui sait amener les comédiens hors de leurs lignes de confort et tirer d’eux le meilleur de leur talent. Autant le dire tout de suite, Daniel Russo va vous surprendre. On est loin des rôles dans lesquels, tout à son aise, on est habitué à l’applaudir. Par la grâce du costume et de sa perruque, ouvrage de Chouchane Abello-Tcherpachian, il a la tête de l’emploi ! Nous sommes dans l’imagerie que nous avons tous du savant qui n’avait pas peur de tirer la langue. Mais la prouesse ne se limite pas à l’apparence ! Son interprétation est remarquable. Rassurez-vous, son petit sourire coquin et sa malice sont toujours présents, mais ils sont aux services du personnage et non de l’effet comique.
Un Chaplin séduisant
Jean-Pierre Lorit s’est glissé dans la peau du cinéaste avec une grande élégance. À la première rencontre, il est un artiste qui possède l’humour comme unique arme de guerre pour dénoncer Hitler. Les feux de la rampe éclairent encore sa carrière et sa notoriété. À la fin de la pièce, les temps modernes et le maccarthysme sont passés par là, il doit fuir. Par son interprétation pleine de finesse et d’agilité, le comédien fait entendre les divers troubles et sentiments qui traversent l’homme et l’artiste.
La belle parenthèse
Un face-à-face au théâtre, peut vite tourner, comme au tennis, à d’interminables longs échanges. Il faut donc, par une astuce, trouver le moyen de relancer le jeu ! Le personnage d’Hélène, la gouvernante du professor, permet de faire de belles parenthèses et d’ouvrir le texte sur l’extérieur. Lumineuse et protectrice, elle apporte un souffle délicieux qui fait respirer la pièce. Avec son accent allemand, sa grâce et sa joie de vivre, Élisa Benizio nous a conquis. Elle est le rayon de soleil qui illumine « le cosmos ».
Marie-Céline Nivière
Albert et Charlie d’Olivier Dutaillis.
Théâtre du Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris.
Du 18 janvier au 7 mai 2023.
Du mardi au samedi à 21h, matinée dimanche à 15h30.
Durée 1h30.
Mise en scène de Christophe Lidon.
Avec Daniel Russo, Jean-Pierre Lorit, Élisa Benizio.
Décor de Catherine Bluwal.
Costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian
Lumières de Cyril Manetta.
Musique de Cyril Giroux.
Vidéo de Léonard.
Assistante à la mise en scène Mia Koumpan.
Crédit photos © Fabienne Rappeneau.