L’usage du monde est le récit d’un voyage extraordinaire d’un jeune suisse plein d’appétence et de curiosité pour la civilisation et les gens qui la constituent. En 1953, Nicolas Bouvier, âgé de 24 ans, a déjà quelques voyages à son actif. Cette fois-ci, ce globe-trotteur décide de viser plus loin. À bord de sa Fiat Topolino, fragile et fidèle, le jeune homme rejoint à Belgrade son ami, Thierry Vernet. Les voilà partis à l’aventure, sur les routes, traversant les Balkans, l’Anatolie, l’Iran, l’Afghanistan, pour arriver à la frontière de l’Inde.
Les voyages forment la jeunesse
De ce long parcours naîtra un livre. D’une écriture journalistique, courte et économe sur les effets littéraires, il signe un récit de voyage dans la grande tradition des Kessel, Loti, Cendrars… Au-delà des descriptions des paysages des pays traversés, Bouvier nous offre une réflexion sur l’espèce humaine et « la manière d’être au monde parmi ses contemporains » où que l’on se trouve. En ce début de ce XXIe siècle uniformisé par le GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et à la fois bâti sur la peur de l’autre, ce texte sublime nous ramène à des fondamentaux existentiels. Il y a toujours quelque chose à apprendre des autres. « On croit faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ».
Une horlogerie de grande précision
On le sent tout de suite que des liens très forts unissent Samuel Labarthe et Nicolas Bouvier. Ils sont suisses tous les deux, d’accord, mais c’est plus profond que cela. Le comédien a de l’admiration pour son compatriote. S’appuyant sur l’adaptation fort bien conçue par Anne Rotenberg et Gérard Stehr, l’acteur a réuni, pour accompagner ce spectacle, une belle matière, constituée de photos, d’enregistrements et des illustrations que Thierry Vernet avait faits durant le périple. Tout ceci accompagne subtilement la narration. Comme toujours, Catherine Schaub (Déraisonnable, Pompier(s), Ring) signe une mise en scène sensible et finement menée.
L’art sublime du comédien
Dans la salle, certains sont là pour voir en vrai, le bel inspecteur Swan Laurence, de la série télévisée, Les petits meurtres d’Agatha Christie. D’autres sont là pour Nicolas Bouvier. Et le restant, pour les deux ! De cette voix si agréable, Samuel Labarthe sait dire les mots. Rien qu’à leur écoute, nous partons en voyage. On se rappelle encore très bien de l’excellence de sa prestation, au Studio des Champs-Élysées en 2005, dans Soie d’Alessandro Baricco, mis en scène par Christophe Lidon. Ce faisant passeur, retrouvant les attributs de la jeunesse, joie, émerveillement, obstination, plaisir, gourmandise de vivre, le comédien donne vie à cet hymne à la fraternité. Et c’est beau.
Marie-Céline Nivière
L’usage du monde de Nicolas Bouvier.
Théâtre de Poche-Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse
75006 Paris.
Reprise du 5 septembre 17 novembre 2024.
Création en janvier 2023.
Durée 1h10.
Adaptation d’Anne Rotenberg et Gérard Stehr.
Mise en scène Catherine Schaub.
Avec Samuel Labarthe.
Scénographie de Delphine Brouard.
Création lumière de Thierry Morin.
Création vidéo de Mathias Delfau, assisté d’Allan Hove.
Univers sonore d’Aldo Gilbert.
Voix de Thierry Vernet, Alexandre Labarthe.
Crédit photos © Émilie Brouchon