Son nom est synonyme de résistance, de liberté, de lutte contre les inégalités, contre le sexisme. Ses armes, un jeu précis, une présence scénique lumineuse et un engagement de tous les instants. Tout prédestinait cette comédienne à s’emparer du destin de Giséle Halimi brossé par Annick Cojean dans Une Farouche liberté. En confiant à Lena Paugam, le soin de la mettre en scène avec Ariane Ascaride sur les planches de la Piccola Scala, Philippine Pierre-Brosolette fait entendre magistralement les mots de la célèbre avocate jusqu’au 6 avril 2023.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon premier souvenir est celui de concerts de musique classique au Théâtre des Champs-Elysées où je me rendais enfant tous les dimanches matins accompagnée de mon père très (trop !) attentif à mes grandes facilitées pour le piano. Il ambitionnait pour moi une grande carrière de pianiste ! Objectif tenace en tête, il s’est astreint avec grande rigueur, dès mes 5ans et pendant une dizaine d’années, à m’emmener de manière hebdomadaire écouter les plus grands concerts et pianistes mondiaux se produire au Théâtre des Champs-Elysées.
Mes premières grandes émotions viennent de là. J’y ai découvert les pianistes Martha Argerich, Brigitte Engerer, ou encore Paul Badura-Skoda. Et je pleurais d’émotion sur mon rehausseur. J’étais frappée par la force de la musique bien sûr, c’est incontestable. Mais aussi par ce sentiment d’ébahissement face à une telle communion entre un art et des humains. Avoir été témoin de cette puissance m’a donné l’ambition de vouloir à mon tour la transmettre.
Mais à travers le jeu et le verbe.
À ma pratique d’heures très solitaires et répétitives de mon instrument, manquait cruellement notre langue. Les mots.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Petite, je disais à mes parents « Je veux que ma vie serve. Je veux choisir mon destin. Je veux devenir quelqu’un ». Je croyais déjà fermement aux vertus et à la puissance de la culture.
Il n’y a pas eu de déclencheur. C’est simplement un désir d’enfant très profond, très ancré. Je voulais me sentir utile et faire parvenir des émotions. Me mettre au service d’un art.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
L’ennui d’une enfance timide et solitaire. Qui était un peu en décalage.
Avoir le sentiment très tôt d’être une « vieille âme ». Et sentir intuitivement qu’elle serait nulle part aussi bien accueillie qu’au théâtre.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
L’ennui d’une enfance timide et solitaire. Qui était un peu en décalage.
Avoir le sentiment très tôt d’être une « vieille âme ». Et sentir intuitivement qu’elle serait nulle part aussi bien accueillie qu’au théâtre.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez vous ?
Vers 23 ans, j’ai été engagée pour rejoindre la troupe des comédiens permanents du Théâtre de Nice. Mon premier spectacle professionnel a été crée là-bas. C’était une pièce de Guitry. Je jouais avec les merveilleuses Denise Chalem et Marie-France Pisier. Sans oublier François Marthouret. J’ai une tendresse, une affection profonde pour chacun d’eux. Et une grande admiration. Je jouais le soir avec eux, et la journée, je répétais avec la troupe des permanents un autre spectacle sous la direction de Pierre Pradinas. D’une bienveillance inégalable. C’était une période dense. Et passionnante.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Curieusement, il me revient en mémoire immédiate deux seuls en scène : la magistrale Dominique Blanc dans La Douleur de Duras, mise en scène par Patrice Chéreau.
Et le magnétique Jean-Louis Trintignant récitant les Poèmes à Lou d’Apollinaire dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à Avignon. L’homme. Sa voix. Ce lieu. Les deux mêlés. C’était la grâce absolue.
Mais dans un autre genre le spectacle Du bout des doigts du Collectif Kiss and Cry m’avait totalement bouleversée. Sur le grand plateau de La Scala à Paris, il y a quelques années, un spectacle envoûtant. Atypique et féerique.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Celles de la genèse ! Mes professeurs de théâtre, encourageants dès le premier jour.
La considération de François Florent, ses mots chaleureux à mon égard, très confiants.
La rencontre avec l’immense Michelle Marquais lors d’une audition. Son attention pour moi et son entraînant : « Mademoiselle, vous ferez ce métier !«
J’étais terriblement déterminée, mais leurs regards me légitimaient. C’était très porteur, très précieux.
Il y a aussi la rencontre avec le père de mes deux filles. Je le connais depuis la moitié de ma vie ! Nous étions très amis, il y a 20 ans et « apprentis-comédiens » dans la même promotion de Classe Libre au Cours Florent.
Et puis il y a les rencontres amicales à travers mon art qui elles aussi ont une vingtaine d’année. Qui ont comme dénominateur commun le même métier, la même passion. Des amitiés profondes, rares, qui s’inscrivent dans le temps. Qui me soutiennent. Sans failles. C’est inestimable.
Et puis j’espère, toutes celles nombreuses à venir ! En-avant toute !
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
À la simple équation que je vais bien mieux lorsque je l’exerce que lorsque j’en suis éloignée. A travers mon métier, à travers sa pratique, à travers la ferveur et la rigueur qu’il exige, je trouve ma liberté. Et donc mon total équilibre.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Mes souvenirs.
Et les autres. Les êtres. Ce qui les meut. Leurs histoires. Leurs enfances : cavernes d’Ali Baba où je ne me prive pas d’aller piocher. Nous ne sommes que des voleurs, mais dont le vice est incondamnable…
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Il est à la fois familier, complice et mystique à la fois. J’aime convoquer les absents.
Je crois que c’est Heiner Muller qui disait – et j’aime beaucoup ça – que le « théâtre est le lieu où les vivants dialoguent avec les morts. »
Et cela n’a rien de triste ! Au contraire ! Cela insuffle de la force ! Et beaucoup de vie(s) en soi !
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le désir vient du ventre. Des tripes. Du cœur. De la poitrine. Un mélange de tout ça.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Celles et ceux qui auront envie de me faire participer à leur voyage et univers.
À quel projet fou aimeriez vous participer ?
Celui qui me permettrait de le jouer encore à 80 ans…!
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Il y a des œuvres, et des titres d’œuvres qui correspondent à ce dont je suis faite ou à ce que j’aspire à être.
Il y a Une chambre à soi de Virginia Woolf. Qui met en avant l’indépendance. Le retrait et le silence pour travailler. J’en ai indéniablement besoin. Cela me remplit tout autant que le tumulte de la vie.
Et je dirai aussi Choses vues de Victor Hugo. Car je chéris – au même titre que l’auteur – mes souvenirs et les interpelle sans cesse pour servir au mieux mon jeu.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Une Farouche liberté d’après le livre d’entretiens éponyme réalisé par Annick Cojean
La Piccola Scala
La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Reprise du 15 janvier au 6 avril 2023.
Dimanche à 18h30.
Durée 1h15 environ
Mise en scène de Léna Paugam assistée de Mégane Arnaud
Adaptation de Philippine Pierre Brossolette et Léna Paugam
avec Ariane Ascaride et Philippine Pierre Brossolette
Scénographie de Clara Georges Sartorio
Création Sonore de Félix Mirabel
Création Vidéo de Katell Paugam
Création lumière d’Alexis Beyer
Crédit portrait © Luc Valigny
Crédit photos © Thomas O’Brien