Place Colette, Simon Delétang porte au plateau le drame philosophique et historique de l’auteur allemand mort à 23 ans. Dans le rôle-titre, son comédien fétiche, Loïc Corbery. Belle mais longue, la pièce ne tient son pari qu’à moitié.
Pour l’entrée au répertoire du Français de La Mort de Danton de Georg Büchner, Simon Delétang a mis les petits plats dans les grands. Sa scénographie est spectaculaire. Soignant les détails, le tout nouveau directeur du Théâtre de Lorient imagine un espace où se côtoient et se confondent, grâce aux lumières de Mathilde Chamoux, les salons raffinés de la demeure cossue du député montagnard, les alcôves du Palais Royal, le tribunal révolutionnaire et les murs froids d’une prison, antichambre de la guillotine.
Les frères ennemis
Salle Richelieu, les factions révolutionnaires de la Terreur fourbissent leurs armes, préparent chacun à leur manière la prochaine étape avant l’avènement de la République. Sous le regard pétrifié et pétrifiant de la tête tout juste décapitée de la gorgone Méduse peinte par le Caravage, le vice et la vertu s’affronte à couteaux tirés, à mots cachés. Danton le libertin sombre dans la neurasthénie, les morts lui pèsent sur la conscience. Hanté par le sang qui chaque jour coule à flots pour plaire au peuple, il prône l’indulgence et l’apaisement. Face à lui, l’incorruptible ascète Robespierre s’y refuse. Il n’y a pas à tergiverser : les parasites, les adeptes de la luxure doivent être sacrifié sur l’autel de la Révolution pour qu’enfin renaisse un monde vierge de toutes imperfections.
Un spectacle esthétisant à contre temps
En s’emparant de cette fresque politique, Simon Delétang espère combler un manque, donner corps à ces hommes et ces femmes qui ont fait notre histoire contemporaine. Malheureusement, la pièce de Büchner, qui ici paraît verbeuse et bavarde, résiste. À trop vouloir la figer dans cette période de bascule où le siècle des lumières sombre dans les ténèbres de la barbarie, il empêche d’en faire résonner les grands principes au temps présent. C’est à se demander si l’esthétisme délicat du décor ne pose pas un voile pudique sur la sauvagerie sanguinaire qui a permis le renversement de la royauté. Comment, en entendant les cris lointains des sans-culottes, ne pas penser à l’Iran, à l’Ukraine, à ces innocents morts au nom d’un idéal que des hommes bafouent à leur propre fin ? Tout est là en filigrane, dans les mots du dramaturge allemand. Certes, des bribes fulgurantes résonnent, mais la plupart du temps, les discours politiques se perdent, faute d’être entendus et audibles dans cet espace démesurément trop grand.
Un pari ambitieux
Longtemps considérée comme injouable du fait de sa longueur et du grand nombre de personnages qu’elle comporte, la pièce, écrite en 1835, ne vit enfin le jour que plus de 70 ans plus tard, à Berlin. Après des mises en scène marquantes, comme celle de Lavaudant en 2002, Simon Delétang devait imposer sa propre vision. Pour cela, il n’a pas lésiné sur les moyens et les effets pour insuffler à l’ensemble fièvre tragique, exaltation épique et pincée romantique. Il y parvient par moments. Certains tableaux, inspirés des toiles de Louis David, et son choix de faire incarner le hiératique Robespierre par un Clément Hervieu-Léger inquiétant et rigide à souhait en sont les traits les plus signifiants. À l’inverse, le tonitruant Danton a bien du mal à exister dans la peau de Loïc Corbery. Le comédien au physique de jeune premier ne démérite pas, mais le costume est trop grand. Touchant dans les failles du personnage — pensées morbides, déprime, manque d’allant, etc. —, il force son jeu à la longue pour donner corps au tribun libertin que l’on imagine telle une montagne au bord de l’explosion, un jouisseur turbulent.
Au plateau, ils sont dix-sept comédiens du Français à s’agiter de toutes parts pour donner force au propos, en vain. La gageure était ardue. Et malgré de belles performances, des idées à revendre, cette Mort de Danton a le goût des rendez-vous manqués. Dommage !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Mort de Danton de Georg Büchner
Salle Richelieu
Comédie Française
1 place Collette
75001 Paris
jusqu’au 4 juin 2023
Durée 2h30
Mise en scène et scénographie de Simon Delétang
Traduction de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil
Avec Guillaume Gallienne en alternance avec Julien Frison, Christian Gonon, Julie Sicard, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Anna Cervinka, Gaël Kamilindi, Jean Chevalier, Marina Hands, Nicolas Chupin et les comédiennes et comédiens de l’académie de la Comédie-Française Sanda Bourenane, Vincent Breton, Olivier Debbasch, Yasmine Haller, Ipek Kinay, Alexandre Manbon
Costumes de Marie-Frédérique Fillion
Lumières de Mathilde Chamoux
Musiques originales et son de Nicolas Lespagnol-Rizzi
Assistanat à la scénographie – Aliénor Durand
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage