Fin de partie © Pierre Grosbois

La belle Fin de partie de Jacques Osinski

Présentée avec succès, en juillet 2022, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, au théâtre des Halles, la grande pièce de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski, s’installe à Paris, dans le prestigieux théâtre de l’Atelier.

Après Cap au pire, La dernière bande, L’image, Jacques Osinski poursuit son exploration de l’œuvre du prix Nobel de littérature, Samuel Beckett. Avec Fin de partie, le metteur en scène aborde, avec rigueur et précision, une des grandes pièces de l’auteur. Créé en 1957, par le metteur en scène Roger Blin, ce texte prend en ce début de XXIe siècle un écho apocalyptique. Car cette fin du monde dont il est question devient aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, une menace de plus en plus tangible.

Apocalypse now

L’action se situe donc un lieu indéfini où le temps est suspendu. Dehors, tout semble mort. Quatre survivants habitent une maison désolée, située entre terre et mer, au bout du monde. « La nature nous a oubliés », dit Hamm, le vieil aveugle cloué dans son fauteuil roulant. Cet homme tyrannique, capricieux aime tourmenter le pauvre Clov, ce boiteux, à l’allure maladive, qui est à la fois son fils adoptif et son domestique. Leurs rapports peuvent sembler tordus. Cela ressemble à un jeu. « À quoi est-ce que je sers ? » demande Clov à son maître. « À me donner la réplique ». Sans âge et sans jambes, enfermés dans leur poubelle, tel des rebuts de la société, Nell (Claudine Delvaux) et Nagg (Peter Bonke), les parents de Hamm, s’accrochent à la vie. Coincés dans leur habitacle, ils ne peuvent sortir. « Hors d’ici, c’est la mort ». Le temps s’écoule alors dans un rituel immuable.

Fin de partie © Pierre Grosbois

Pourtant, aujourd’hui, quelque chose a changé. Clov, dans un esprit de rébellion, annonce qu’il va partir. Hamm tente de le retenir, car sans lui, rien n’a de sens. La mère passe à trépas et le père lâche prise. Est-ce que, comme le souligne le titre de la pièce, c’est la fin ? Ou est-ce que la partie va se rejouer indéfiniment ? Bien sûr, Beckett ne donne pas la réponse. C’est à chacun de se projeter dans cette vision pessimiste et fataliste de la condition humaine. « … La fin est dans le commencement et cependant on continue ».

Le vide pour combler le manque

Les liens d’amour et de haine qui peuvent lier une famille résonnent dans toute sa cruauté. Pourtant, il n’est question que de solitude et d’abandon. Tel les marins d’un navire en perdition, les personnages naviguent dans les eaux troubles de leurs démons et de leurs peurs. Et l’un sans l’autre, ils coulent. Quant au vide qui les entoure, cette terre abandonnée de tous, il semble les conforter. Comme toujours dans le théâtre du dramaturge, les silences et les répétitions jouent un rôle important, tout comme l’humour, grinçant et subtil. « Personne au monde n’a jamais pensé aussi tordu que nous ». Fidèle aux didascalies chères à Beckett, Jacques Osinski a abordé la pièce avec une belle intelligence d’esprit. Les mots et les idées de l’auteur nous parviennent avec clarté. La scénographie, autour de cette pièce vide donnant sur rien, est impressionnante.

Un magnifique duo d’acteur

Le duo, Hamm et Clov, sorte de clowns pathétiques, répétant leur quotidien dans une partie rondement menée, est ici des plus remarquables. Dans le rôle d’Hamm, le comédien belge, Frédéric Leidgens est impressionnant. On peut même dire terrifiant. Mais, tel le clown blanc, il n’est rien sans son Auguste. Denis Lavant, qui accompagne Osinski dans cette passionnante exploration des textes de Beckett, est à nouveau éblouissant. Sa démarche claudicante, sa voix éraillée, pareille à celle d’un enfant qui a trop crié, sa gestuelle, ses fragilités font qu’il incarne un Clov terriblement touchant. Le regarder jouer, c’est prendre une grande leçon d’humanité. Et cela ne fait pas de mal.

Marie-Céline Nivière

Fin de partie de Samuel Beckett.
Théâtre de l’Atelier
Place Charles Dullin
75018 Paris.
Reprise du 5 juin au 14 juillet 2024.
Du mardi au samedi à 19h, dimanche 15h.
Durée 1h50.

Mise en scène Jacques Osinski.
Avec Denis Lavant, Frédéric Leidgens, Claudine Delvaux, Peter Bonke.
Scénographie Yann Chapotel.
Lumière de Catherine Verheyde. 
Costumes d’Hélène Kritikos.

Crédit photos © Pierre Grosbois

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