Avec quelques-unes de ses camarades, la sociétaire de la Comédie Française salue le chanteur poète qui (en)chante le monde depuis cinquante ans. Une façon aussi de lui tirer le portrait.
« Faire une balade à travers ses ballades… » C’est ainsi que Françoise Gillard résume joliment la bonne idée qu’elle a présentée il y a maintenant trois ans à Eric Ruf, l’administrateur général de la Comédie-Française. L’idée fut jugée si bonne qu’elle fut maintenue malgré les reports dus à la pandémie. Le spectacle musical remporte toujours un grand succès depuis que Muriel Mayette-Holtz, la précédente administratrice, l’a inscrit au cahier des charges. « Même si nous ne sommes pas chanteurs… » précise la comédienne qui adore ces formes courtes et singulières. Car la sociétaire est une amoureuse des arts, toujours prête à se lancer dans la conquête d’un territoire qui n’est pas le sien. « J’aime explorer ce qui n’est pas notre domaine, comment s’exprimer quand ce n’est pas par l’art du théâtre ? » Sa première expérience se fit avec la danse et le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui : « Lui parlait et moi je dansais ! », explique-t-elle en riant et encore une autre fois avec des comédiens de la Maison, qui, par l’exploration de l’espace qu’elle avait défini, s’interrogeaient sur « l’autre ». A chaque fois, il s’agissait d’altérité.
D’autres « ailleurs »
D’une certaine façon, avec Souchon, c’est aussi le cas. Bien sûr, il arrive que les comédiens du Français chantent dans les pièces qu’ils interprètent, classiques ou contemporaines, mais enfin, chanter une partie du répertoire d’un chanteur aussi emblématique de notre époque, de nos époques, n’est pas une mince affaire. Avec l’aide de sa copilote Amélie Wendling, la comédienne a imaginé un spectacle qui reflète le côté « oxymore » du chanteur-poète, comme elle le dit du poète : « il n’aime pas être regardé et pourtant il cherche la lumière. J’aimerais que ce spectacle nous fasse l’effet d’une douceur car la nostalgie de Souchon nous fait du bien. C’est un visionnaire, jamais agressif, qui dit notre société dure et râpeuse avec humour et délicatesse. » Celui qui aime les solitaires à la Théodore Monod et déplore l’ultra-moderne solitude a accepté le projet de Françoise Gillard sans rien vouloir savoir : « C’est par son fils, le chanteur Ours, que je l’ai contacté. Il a dit oui. Viendra-t-il voir le spectacle ? On verra bien…»
Un éventail de comédiennes
La comédienne établit une première distribution et en fera beaucoup d’autres : « au fur et à mesure le temps passait et le théâtre était toujours fermé, alors certaines de mes camarades n’étaient plus disponibles. » Celles qui vont se produire sur la scène du Studio offrent un éventail idéal de générations : de Danièle Lebrun (85 ans et toujours aussi craquante) aux cinquantenaire, quarantenaire, trentenaire : Coraly Zahonero, Françoise Gillard elle-même et Claire de La Rüe du Can, jusqu’aux deux « jeunes » académiciennes en formation au Français : « je voulais que ce soit des femmes qui chantent Souchon. Parce qu’il les chante si bien lui-même… cela n’a rien à voir, et j’insiste sur ce point, avec une quelconque revendication féministe. C’est un portrait avec ses mots à lui, ses chansons mais aussi des extraits de ses interviews, d’articles où il s’est exprimé, des citations de lui, des passages que nous dialoguons…»
Une Belge au Français
Depuis 25 ans, la comédienne belge « de Charleroi ! » s’émerveille du bonheur qu’est le sien d’être « dans ce théâtre où tout est possible, ouvert, où l’on apprend à travailler comme nulle part ailleurs. » Lorsque Jean-Pierre Miquel l’a engagée, elle fut si surprise de sa proposition qu’elle lui répondit : « Vous devriez bien réfléchir avant que je vous donne ma réponse. » Elle ajoute aujourd’hui : « Je crois bien qu’il a été surpris devant tant d’audace mais il a maintenu sa proposition ». La Comédie-Française n’était pas dans ses plans, mais « il fallait une Henriette pour la mise en scène des Femmes savantes de Simon Eine, et voilà… je travaillais déjà beaucoup, j’ai dû apprendre à travailler encore plus. »
Elle referme le gros cahier dans lequel toutes ses notes sont consignées et sourit. « Non, non, je ne vous dirai pas les titres des chansons. Sachez qu’il y en a quatorze, et que cette bal(l)ade nous promènera entre l’amour des filles, l’enfance, l’engagement, la mélancolie… » Le plus dur sera de ne pas fredonner, en même temps que les filles, Souchon sur scène…
Brigitte Hernandez
La Ballade de souchon de Françoise Gillard
Studio de la Comédie-Française
99 rue de Rivoli
75001 Paris
Jusqu’au 5 mars 2023
durée 1h00
Mise en scène de Françoise Gillard
Adaptation de Françoise Gillard et Amélie Wendling
Avec Coraly Zahonero, Françoise Gillard, Danièle Lebrun, Claire de La Rüe du Can et la comédienne de l’Académie de la Comédie-Française Yasmine Haller, Emma Laristan Yannick Deborne (guitares), Mathieu Serradell (claviers, piano) Florence Hennequin (violoncelle)
Costumes de Bernadette Villard
Lumières d’Éric Dumas
Arrangements et direction musicale d’Yannick Deborne
Son de Théo Jonval
Travail vocal de Mathieu Serradell
Travail chorégraphique de Glysleïn Lefever
Collaboration artistique d’Amélie Wendling
Collaboration à la scénographie d’Éric Ruf assisté de Nina Coulais de l’Académie de la Comédie-Française
Crédit portrait © Stéphane Lavoué
Crédit photos © Brigitte Enguerrand, coll. Comédie-Française