Pour ceux qui ne les connaissent pas, le nom peut évoquer un concile obscur. En réalité, le Groupe des 20 Théâtres en île-de-France (son nom entier) œuvre à défendre le rôle des théâtres en tant que coproducteurs, à favoriser la diffusion de spectacles coup de cœur, et tente ainsi d’imposer un contre-pouvoir aux très grandes structures. En octobre dernier se tenaient, entre les murs du Théâtre du Fil de l’eau et de la salle Jacques Brel, à Pantin, les annuels « plateaux » — des journées de présentation, par les compagnies, de projets en cours de production ou de diffusion. Une journée de présentations et d’échanges où le brouhaha des discussions entrecoupe les incursions dans les univers artistiques de compagnies tentant de se faire une place dans le paysage. Avec un principe pilier : chaque membre s’y fait le parrain d’un projet et l’accompagne devant ces gradins remplis de professionnels.
Recherche d’Ancrage
Sur le plateau, les artistes défilent tour à tour pour défendre leurs projets, espérant des financements, des lieux de résidence ou des dates de diffusion. L’exercice ressemble à un mini-marathon de deux jours pour les artistes et les programmateurs. Le stade du travail détermine la forme de l’intervention. Certains présentent leurs projets à l’oral, axant davantage le speech sur une genèse intime de l’idée artistique que sur une récitation des intentions de mise en scène.
D’autres présentent des maquettes, comme Modou Fata Touré de Sencirk, qui dévoilait un extrait de son spectacle Ancrage, corps-à-corps entre le porteur Touré et le voltigeur Ibrahima Camara, le premier émergeant de la terre recouverte de paille, le second se hissant à des hauteurs vertigineuses. Pour cette compagnie sénégalaise, il y a besoin d’un lieu de résidence en février, et de coproducteurs pour boucler la création. Des demandes encore en attente de réponses. Mais les artistes se réjouissent néanmoins d’avoir pu ce jour-là engager des discussions avec des professionnels enthousiasmés. De quoi augurer d’autres développements avant la création, fin février, à l’Espace d’Albret de Nérac, dans le lot.
Changer l’écoute
« Les enjeux sont forts, il ne faut pas se planter », explique le metteur en scène Vincent Dussart, venu présenter Ma Forêt fantôme, création sur un texte de Denis Lachaud, bal de revenants morts du Sida. Étoffé de photographies de plateau, qui mettent une image sur l’univers onirique et coloré de la pièce, la prise de parole de l’artiste, préparée puis repensée intégralement la veille, permet à l’artiste de faire découvrir son projet à un parterre de programmateurs dont il peut être difficile d’obtenir l’attention tant les propositions fusent. « Le réseau d’Île-de-France, on le connaît, mais il est difficile d’entrer en contact. Un moment comme celui-là nous facilite, observe-t-il. Lui qui recherche des salles pour l’accueillir cherche donc à attirer les programmateurs de la région parisienne au Théâtre de Belleville lorsque sera jouée la pièce en avril prochain.
L’auteur et metteur en scène Ido Shaked, venait, lui, présenter Le Sommeil d’Adam, pièce qu’il signe avec sa complice du Théâtre Majâz, Lauren Houda Hussein. Pour cette compagnie dévoilée au Théâtre du Soleil en 2012 avec Les Optimistes, il s’agit également de faire vivre le spectacle sur de nouvelles dates. Créé en novembre à Aubusson, Le Sommeil d’Adam ausculte les traumatismes de l’exil à travers le syndrome de résignation, une réaction léthargique au parcours migratoire de certains enfants. Le projet est accompagné sur ces « plateaux » par le Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, sous la houlette de la directrice (qui a depuis pris la tête du Théâtre Joliette, à Marseille) Nathalie Huerta, « une vraie partenaire » selon Shaked.
Pour Vincent comme pour Ido, cette mise en réseau permet une identification de la compagnie et du projet, et de mettre la puce à l’oreille des programmateurs. Le son de cloche est le même des deux côtés : l’impression d’une bienveillance générale lors des plateaux et d’un intérêt manifeste pour les présentations — « je pense que c’est aussi dû au fait que je ne me suis pas planté dans ma présentation », nuance Vincent. Difficile, pour l’auteur du Monde d’Adam, de jauger la part du réseau des vingt et celle des chargés de diffusion dans la venue des programmateurs, mais « du monde est venu » lors des représentations de la pièce à Vitry. « J’ai l’impression que si je contacte aujourd’hui des gens qui étaient dans le public en octobre, l’écoute serait différente. Ce sont des choses dont je jugerai sur le long terme », conclut-il.
Défendre l’exigence
Jusqu’au covid, l’action du groupe se cantonnait à accompagner la création ; désormais, l’organisation repense son rôle, et tente de d’axer nouvellement sur l’aide à la diffusion, comme en attestent les besoins de Vincent Dussart et Ido Shaked. La coprésidente la conçoit comme « le facilitateur d’une rencontre avec le public », tout en gardant l’œil sur le volet artistique. « On essaie de défendre et d’accompagner des formes exigeantes », ajoute-t-elle.
Le deuxième temps fort annuel est un appel à candidatures pour des créations. Une vingtaine de projets sont présélectionnés, après quoi quatre finalistes présentent un plateau. Le lauréat retenu obtient une bourse de 20 000€. Chaque appel recoupe un thème large : cette année, les enjeux du numérique étaient mis à l’honneur. Le duo Anne Sophie Turion–Eric Minh Cuong Castaing de la compagnie Shonen l’a remporté avec Hiku, une forme audacieuse mêlant théâtre et installation plastique autour des hikikomori, ces reclus volontaires de la société japonaise.
« Faire ensemble »
Chez les programmateurs, la mise à disposition d’un réseau organisé représente une plus-value dans leur travail. « L’idée est de faire ensemble ce que l’on ne pourrait pas forcément faire seuls », résume Annette Varinot, directrice du théâtre Jacques Carat de Cachan et coprésidente du groupe avec Christian Lalos et Bertrand Turquety. Avec l’idée de la mise en réseau comme nerf central de l’action, cette coalition offre la chance aux salles d’Île-de-France, certaines petites et d’autres plus grandes, de faire venir d’un plateau à l’autre des spectacles sélectionnés pour leurs qualités artistiques. Le lauréat de la bourse annuelle peut donc automatiquement compter sur sa programmation dans chacune des structures membres — un graal dans un paysage théâtral saturé.
Aujourd’hui, le Groupe des 20 met en place un nouveau dispositif, « Premières Mesures », destiné à accompagner les artistes dans leurs premiers pas. Pour des premiers, deuxièmes ou troisièmes projets. À la clé, 10 000€ de bourse, des temps de travail et de présentation publique. Alors que le secteur du spectacle tire encore les conclusions de la crise sanitaire, Annette Varinot, observant la petite myriade d’organisations similaires disséminées sur le territoire — en Auvergne-Rhône-Alpes, en Grand-Est, dans les Hauts-de-France et même en Suisse — se pose une question : « Qu’est-ce qui fait réseau ? » Et la co-présidente de trouver une réponse dans les intentions affichées par le groupe : « Accompagner des artistes sur le temps long, sur un territoire donné, en se mettant tous en relation ».
Samuel Gleyze-Esteban
Groupe des 20 Théâtres en Ile-de-France
c/o Théâtre Romain Rolland
18 rue Eugène Varlin
94800 Villejuif