On se prépare, nous, spectateurs, car nous n’allons pas rester passifs ! Personnellement, j’ai enlevé mes bagues, car cela peut faire mal. Nous ne sommes plus un public ordinaire mais des claqueurs. C’est-à-dire des gens payés pour applaudir, huer, siffler, rire ou pleurer sur commande. Ce métier existait dans le temps. C’est même l’Empereur Néron qui l’a instauré. Au fil du temps, il s’est peaufiné et a permis à certains directeurs de théâtre, d’auteurs et d’acteurs de connaître le succès ou le bide. Sa pratique s’est arrêtée en 1902. Aujourd’hui, on peut dire qu’il a juste changé de genre, les avis du public sur les sites de revendeurs sont quelques fois l’œuvre des descendants de ces laborieux du spectacle, qui disent ce qu’on leur demande de dire. J’ai bien dit, quelques fois !
Un bon claqueur doit savoir claquer
Nous sommes en 1895, Auguste Levasseur, chef de claque, est bien embêté. Ses claqueurs habituels lui ont fait faux bond à deux heures d’une grande première. Il charge le régisseur du théâtre, Monsieur Dugommier, de leur trouver des remplaçants. Ce qu’il fait. Le problème c’est qu’ils n’y connaissent rien. Il va falloir, en toute urgence, leur apprendre à bien claquer et surtout leur expliquer à quel moment, ils doivent se manifester dans le spectacle. C’est là que le public, transformé en quidam néophyte de la claque, intervient.
Le plaisir de jouer le jeu
Cette interaction est génialement menée par Fred Radix, très à son aise avec le public. Devenu acteur de la pièce, il s’applique à suivre avec attention et dynamisme les ordres du chef. C’est vraiment bien conçu, tout semble être improvisé mais il n’en est rien. Ce spectacle dans le spectacle participe à sa réussite. Mais, pour que le plaisir de jouer le jeu de la claque soit total, il faut une trame narrative solide. Car on ne peut ni applaudir, ni prendre son plaisir sur uniquement une idée gaguesque. Et c’est là que Fred Radix montre tout son talent. Nous retrouvons le fol esprit des Branquignols de Robert Dhéry et Colette Brosset, la folie absurde de l’exceptionnel film de Potter, Hellzapoppin, avec les ineffables, Ole Olsen et Chic Jonhson.
Une parodie vaudevillesque inénarrable
Revenons à nos applaudissements et autres manifestations de fausse humeur. Pour que cela tombe aux moments opportuns, il faut apprendre où les distiller. Or Levasseur n’a devant lui qu’1h20 pour un spectacle qui comporte 5 actes, quarante musiciens et trente changements de décors ! Donc, il va falloir résumer cette Odyssée de Balbuzard, vaudeville musical à base de tragédie grecque. Comme un régisseur doit savoir être débrouillard, Dugommier se démène comme un fou pour trouver les solutions. Il fait venir à la rescousse sa sœur Fauvette, accordéoniste de baltringue, pour remplacer l’orchestre. Et il va, tant bien que mal, essayer de remédier à l’absence de décors et de costumes, pendant que Levasseur explique l’intrigue. C’est fait avec brio et virtuosité ! On pleure de rire à ce joyeux bazar, qui n’en est pas un bien entendu.
Trois joyeux lurons
Ils sont doués ces trois artisans de l’art clownesque et burlesque. Fred Radix est un Monsieur Loyal impayable. Chacune de ses interventions est finement pensée et réalisée. Guillaume Collignon est l’Auguste gaffeur. Son jeu est d’une inventivité réjouissante. Alice Noureux, en digne héritière de Giuiletta Massima, est une clown magnifique qui nous a régalés autant de ses mimiques que de ses reparties. Et quand l’art du grand-guignol atteint ce niveau d’excellence, nos zygomatiques se dérident, le bonheur nous envahit et l’on applaudit à tout rompre en toute sincérité. Bravo !
Marie-Céline Nivière
La Claque écriture, composition, mise en scène de Fred Radix.
Théâtre de la Gaîté-Montparnasse
26 rue de la Gaîté
75014 Paris.
Reprise du 15 septembre 2024 au 28 janvier 2025
Durée 1h20
Avec Alice Noureux, Fred Radix et Guillaume Collignon.
Direction d’acteurs de Christophe Gendreau.
Direction technique de Clodine Tardy.
Costumes de Delphine Desnus.
Crédit photos © Magali Stora