En s’emparant du roman d’Arno Bertina, Des châteaux qui brûlent, la metteuse en scène nous plonge dans les réalités d’un monde où les petits, tels des dindons de la farce, se font dévorer par les ogres du pouvoir. Cette fiction théâtrale-documentaire, portée brillamment par douze interprètes, résonne comme un « chant » des possibles. Créé au Volcan, Scène National du Havre, le spectacle tournera avant de se poser en avril à Paris, au Théâtre de la Tempête. Ne manquez pas ce rendez-vous !
Les images projetées, avant que le spectacle débute, vous donnent vraiment envie de ne plus jamais manger du poulet industriel ! Elles sont là pour nous montrer l’aberration de ce que subissent les pauvres bêtes mais également les conditions de travail des ouvriers tout au long de la chaîne. Si ces derniers sont au cœur du spectacle, les premiers le hantent. Nous sommes en Bretagne dans une usine d’abattage de poulets condamnée à la fermeture. Ce qui signifie licenciement. Dans une région où le plein-emploi n’existe plus, la mise sur le carreau signifie galérer pour trouver un job, voire de ne jamais en retrouver.
Ma petite entreprise… elle connaît la crise…
La grève est votée comme un ultime recours ! Un secrétaire d’État débarque pour tenter de trouver des solutions. Il est pris en otage. Dehors les pouvoirs s’affolent, dedans les salariés s’organisent. Nous allons suivre les huit jours de cette révolte qui ne finira pas en révolution. Arno Bertina s’intéresse à l’humain, à ce qui le nourrit, le construit et le pousse à avancer dans l’existence, coûte que coûte. Ils sont dix et représentent vraiment un beau panel sociétal. L’auteur leur donne la parole et elle est bouleversant à entendre.
Tous ensemble !
Chacun porte son histoire, son quotidien, ses failles et ses forces. Jusqu’à présent, ils n’étaient que collègues, sans vraiment faire attention à l’autre. « Bonjour ! Bonsoir ! » Ils vont apprendre à se dévoiler et ainsi à se connaître. Alvie Bitemo, Sandy Boizard, Mélisende Marchand, Marie-Christine Orry, Agnès Sourdillon, Laure Wolf, Olivier Dutilloy, Fabien Joubert, Charles-Antoine Sanchez, Assane Timbo, dans une incarnation pleine d’humanité et de sincérité, donnent chair à ces laissés-pour-compte. Ils sont à la fois héroïques et bouleversants dans ce combat digne d’un David contre Goliath. Ils nous touchent.
Le roman écrit en 2013 et publié en 2017, figure ce qui a généré la colère du mouvement des Gilets Jaunes. Malheureusement, les évènements que traversent les personnages demeurent d’actualité. Il y a encore et il y aura encore des usines, des entreprises qui fermeront, laissant sur le bord de la route des hommes et des femmes qui n’aspirent qu’à travailler pour pouvoir survivre. C’est en cela que ce spectacle nous atteint profondément.
Le haut du panier
Le personnage du Secrétaire d’État à l’industrie est passionnant. Il n’a pas peur de sortir du bureau dans lequel les insoumis l’ont relégué. Il va même jusqu’à descendre vers eux pour élaborer un dialogue afin de les aider. Sa conscience de gauche semble se réveiller. Est-il sincère ? « J’ai compris qu’on ne fait pas de la politique par-dessus les gens » Où Manipulateur ? Ne deviendrait-il pas le grand vainqueur si ces employés trouvaient une porte de sortie digne de ce nom, celui d’un Front Populaire ? Olivier Werner est parfait dans ce rôle ambigu du politicien.
Et puis, il y a le personnage de la conseillère. Cette ancienne syndicaliste vient du monde l’entreprise et non du cénacle des hautes écoles. Elle aurait tant voulu accompagner son supérieur à l’abattoir. Elle aurait su écouter, comprendre, trouver les mots. Si elle a accepté ce poste au Ministère, c’était pour être au service des autres, aider l’État à appréhender les basses couches sociales. Elle s’est exclue de son milieu pour la bonne cause et voilà qu’on la rejette à nouveau. Dans une interprétation très poignante, Anne Girouard est formidable dans cette personne dévouée qui perd pied puis retrouve l’espoir dans un lâcher-prise étonnant.
Un festin théâtral
Anne-Laure Liégeois aime la troupe et sait la faire vibrer à chaque instant. Cela fait des années que son travail nous séduit, que cela soit sur l’Entreprise vu par Jacques Jouet, Rémi De Vos et Georges Perec, avec sa fameuse Augmentation, ou des grand classiques comme le Peer Gynt de d’Isben, ou ce Fléau contemporain qu’il faut fuir, pour n’en citer que que quelque uns.
Sa mise en scène, au cordeau, ne laisse place à aucun temps mort et ennuie. Dans une maîtrise parfaite des grands ensembles, sachant faire entendre l’intime, elle a dirigé les comédiens avec une précision redoutable. Son adaptation du roman est fort bien structurée. Ainsi, cet Opéra des Gueux prend des accents d’une réalité très poignante. Si le secrétaire d’État assure que c’est par la fête que l’on peut s’en sortir, Anne-Laure Liégeois nous rappelle que le théâtre, l’art et la culture, nous en donne les moyens. Et comme le chante Neil Young : Ce ne sont que des châteaux qui brûlent, trouve quelqu’un qui change ta route et tu te trouveras.
Marie-Céline Nivière
Des châteaux qui brûlent d’après le roman d’Arno Bertina (éditions Gallimard).
Le 15 novembre 2022 au Manège – Maubeuge (59).
Le 22 novembre 2022 à L’Équinoxe – Châteauroux (36).
Le 25 novembre 2022 au Bateau-feu – Dunkerque (59).
Du 29 novembre au 1er décembre 2022 à la Comédie de Saint-Étienne (42).
Du 13 au 15 décembre 2022 à la Filature – Mulhouse (68).
Les 28 et 29 mars 2023 à la MCA – Amiens (80).
Du 1er au 23 avril 2023 à la Cartoucherie / Théâtre de la Tempête – Paris.
Durée 2h30.
Conception et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.
Avec Alvie Bitemo, Sandy Boizard, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Fabien Joubert, Mélisende Marchand, Marie-Christine Orry, Charles-Antoine Sanchez, Agnès Sourdillon, Assane Timbo, Olivier Werner, Laure Wolf.
Scénographie d’Aurélie Thomas et Anne-Laure Liégeois.
Lumières de Guillaume Tesson.
Costumes de Séverine Thiebault.
Crédits photos © Christophe Raynaud de Lage