Nommé en juillet 2021 à la tête du Centre chorégraphique national du Havre Normandie, Fouad Boussouf n’a pas chômé depuis sa prise de fonction en janvier 2022. En quelques mois, avec l’équipe du Phare, il a concocté la première édition d’un Festival où diversité des formes et des esthétiques invite les Havrais à une balade artistique au cœur de la danse d’aujourd’hui. Un feu d’artifice chorégraphique qui fait carton plein !

L’air est vif, piquant dans la cité portuaire en ce mois de novembre. Les bourrasques glacées s’engouffrent à vive allure dans les rues bétonnées, géométriques, imaginés par l’architecte belge Auguste Perret. La pluie battante qui s’est abattue sur la ville tout l’après-midi a laissé des stigmates, d’immenses flaques dans lesquelles se reflètent les lumières de la nuit. À deux pas des anciens docks, dans un bâtiment entièrement réhabilité à la fin des années 1990 par la ville, le Phare est en pleine effervescence. L’atmosphère, chaleureuse, contraste avec le froid extérieur. Depuis trois jours, le tout nouveau festival, imaginé par son fringuant et hyperactif nouveau directeur, brille de mille feux et met à l’honneur pour 3 semaines et pas moins de 47 levées de rideaux, la danse contemporaine. 

Jann Gallois entre les mains du public 

Fondatrice de la Cie BurnOut, l’espiègle chorégraphe présente en ouverture du festival, une de ses pièces détonantes dont elle a le secret. Créée en 2016, Carte Blanche est spectacle interactif, qui se renouvelle et se réinvente à chaque représentation. Le concept est assez simple, avec ses deux épatantes danseuses – Marie Marcon, Aloïse Sauvage en alternance avec Mellina Boubetra, Jann Gallois a imaginé huit phrases chorégraphiques, très différentes allant de la marche à un simple mouvement de hanche, en passant par des postures de yoga ou un enchaînement hip hop. Elle tend ensuite un micro à l’un des spectateurs, qui le fait circuler et chacun s’il le souhaite est invité à donner un chiffre entre 1 et 8. Les dés sont jetés. Les interprètes n’ont plus qu’à s’exécuter, répondre aux demandes du public, passer d’un module à l’autre avec célérité. Très vite, l’ambiance est grisante. Tous se prennent au jeu. La complicité entre salle et scène est totale. La forme pourrait paraître un peu facile, il n’en est rien. Tonique, rythmée, l’écriture de la chorégraphe fait merveille. Portée par les personnalités très marquées, très joyeuses, très volubiles des danseuses, le show s’avère un petit bijou de fantaisie, d’humour. Un joli moment de partage, qui touche à l’humain, à notre capacité à communier ensemble quel que soit notre âge, notre histoire, notre statut social !

Bleus à l’âme 

Mines réjouies, sourire aux lèvres, le public totalement emballé par cette proposition hors normes, profite de l’entracte entre les deux pièces du programme et du foyer accueillant du phare pour reprendre son souffle – à l’instar des trois artistes fatiguées après cette partition folle, enlevée – , boire un verre, échanger leurs impressions. La pause se termine gaiement, chacun retrouve sa place en salle. Dans la pénombre, deux silhouettes masculines se dessinent, l’une trapue, l’autre plus longiligne. Habillé de la même façon, les deux interprètes semblent des doubles discordants. L’un est dans l’action, le geste, l’autre dans la parole. L’un est le corps, l’autre l’âme (Mathieu Morelle). Conjuguant pour la première fois au plateau, texte et danse, Fouad Boussouf signe une œuvre tout en délicatesse et poésie. Les mots, les gestes se répondent, s’expriment à l’unisson. S’intéressant à la personnalité complexe, vibrante, intense de Sami Blondet, danseur que l’on retrouvera le 23 et 24 novembre 2022 au Volcan dans Näss, autre pièce du chorégraphe, l’artiste tisse à travers des des images, des sensations, le parcours d’une vie plurielle. Cendres de lune tombant des cintres, spleen baudelairien, sensibilité à fleur de peau, énergie animale et rêves d’ailleurs, composent en kaléidoscope le portrait singulier d’un être à part !

Le rideau tombe sur une soirée haute en couleurs. Elle est à l’image du festival voulu par Fouad Boussouf, hétéroclite, passionné et dense. Jusqu’au 3 décembre, les propositions sont multiples. D’Oona Doherty à Julien Boclé, en passant par Rémi Esterle, Anthony Egéa ou Margot Dorléans, il y en a pour tous les goûts, tous les esthétismes. Plus foisonnante que jamais, la danse s’invite au Havre, dépasse son image d’élitisme pour toucher au cœur, au corps de tous. Foncez et laissez-vous porter par la folle énergie du tout nouveau directeur du lieu, vous serez forcément attrapé ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial au Havre

Festival Plein Phare
Du 19 novembre au 3 décembre 2022
Le Phare -CCN du Havre Normandie
30 Rue des Briquetiers
76600 Le Havre

Carte blanche de Jann Gallois 
Tournée – 2 février 2023 à la Scène Nationale 61, Alençon
Chorégraphie et costumes Jann Gallois
avec Jann Gallois, Marie Marcon, Aloïse Sauvage en alternance avec Mellina Boubetra
Musique d’Abraham Diallo aka Tismé

Âmes de Fouad Boussouf
Tournée – les 28 et 29 janvier 2023 au Théâtre de Suresnes Jean Vilar / Festival Suresnes Cités Danse
Direction artistique et chorégraphie – Fouad Boussouf assisté de Natacha Balet
avec Sami Blondet d Mathieu Morelle
Dramaturgie de Mona El Yafi
Scénographie de Camille Duchemin
Création lumière de Nicolas Faucheux
Textes de Charles Baudelaire & Mona El Yafi
Musique d’Eryck Abecassis
Arrangements sonores de Najib El Yafi
Costumes de Gwladys Duthil

Crédit photos © Anne-Sylvie Bonnet, © Julie Cherki & © Charlotte Audureau