À l’Athénée – Théâtre Louis Jouvet, la jeune comédienne, sortie de l’école du TNB en 2021, présente Discussion avec DS, un projet très personnel, qu’elle porte depuis longtemps, autour de la figure légendaire de Delphine Seyrig. Pétillante, volontaire et rayonnante, Raphaëlle Rousseau illumine la scène. Une belle révélation !
On ne l’entend pas tout de suite, cette voix qui redonnera vie à une autre voix, mythique. Raphaëlle Rousseau, comédienne, arrive sur scène vêtue d’un jogging boudeur, le téléphone à la main. Elle compose le numéro de Pôle Emploi et une voix désaffectée annonce qu’un conseiller prendra bientôt son appel. Les rires fusent dans la salle. On connaît la chanson. Elle attend, sans trop y croire, finit par s’assoupir et rate le si attendu « allo? ». Que faire ? Allumer les bougies de son petit autel, appeler les fantômes. Et soudain, un tressaillement. « Delphine, Delphine c’est vous ? Vous êtes venue ? » Car de tous ses vœux, la jeune comédienne appelle celle qu’elle considère comme une déesse et dont les initiales, ça tombe bien, reproduisent ce mot. DS : Delphine Seyrig, comédienne, actrice, féministe, icône depuis sa première apparition au cinéma dans L’année dernière à Marienbad en 1961, longue silhouette évanescente moulée dans une robe couleur du temps, imprimant d’emblée sa marque, à jamais indélébile, malgré sa mort en 1990. Delphine Seyrig convoquée par Raphaëlle Rousseau pour la soutenir, la sortir du magma dans lequel elle végète. Elle lui parle et la déesse lui répond. Elle ira même jusqu’à se matérialiser, là, sous nos yeux, sur la scène de la délicieuse salle Christian-Bérard du Théâtre de l’Athénée. Le charme agit en assistant à ce drôle de dialogue entre celle qui refuse les catégorisations et les limites et l’autre qui ne demande qu’à apprendre et avoir des réponses à ses questions.
Un projet depuis longtemps en son sein
Raphaëlle Rousseau porte ce spectacle depuis l’époque du cours Florent « lorsqu’un jour, par hasard, j’ai entendu une de ses interviews. » Elle le mettra en forme lors de sa dernière année à l’école du Théâtre national de Bretagne, dirigée par Laurent Poitrenaux et Arthur Nauzyciel. Elle parle de cette formation avec des étoiles dans les yeux : «C’était du caviar ! Nous faisions partie de la première promotion et on a créé l’école qu’on voulait eux et nous. Il nous a été donné la possibilité de travailler sur nos projets. J’ai commencé à écrire sur D.S. sans trop savoir où j’allais mais en sachant que j’en ferai quelque chose. Dès que j’ai entendu cette première interview de Delphine, j’ai su qu’elle serait importante pour moi. Elle me parlait, elle actrice à moi actrice. » Ce métier l’attirait, « plus que tout ! Dès mon enfance, je voulais le faire. À quatorze ans, j’écrivais des sketches et je me suis produite dans un petit festival de « one-man » chez moi à Montpellier, je voyais que ce que je racontais plaisait, faisait rire. Mais quand j’ai recommencé deux ans plus tard ça ne marchait plus : j’étais déjà une jeune femme et mes histoires étaient celles d’une gamine. J’ai arrêté. »
Un rêve de gosse
Arrêté pendant un bon bout de temps, jusqu’à ce qu’elle ait son diplôme de management culturel décroché au Celsa. Cinq ans d’études qui lui plaisent bien même si un bout d’elle-même continuait à rêver à l’idée d’être comédienne « en vrai ». « Alors une fois les études finies, je me suis dit : “c’est maintenant ou jamais”. Mes parents m’ont soutenue et aidée : sans eux, je n’y serais pas arrivée ». Et le sans-faute a commencé : classe libre du cours Florent, et en 2018, elle réussit le concours de la première promotion du TNB. « C’était sur dossier, mais un dossier intelligent avec des dizaines de questions qui permettaient vraiment de donner une idée de sa personnalité. Et puis un passage devant le jury avec une scène révélée trente minutes avant, ce qui rassurait car on savait que ce ne serait pas sur cette prestation qu’on serait jugé mais sur nos qualités de présence. »
Un sacré chien
Et de la présence, elle en a. Intense, intelligente, Insolite. Si sensible. « Pour moi, le corps est partie prenante de tout. J’ai beaucoup pratiqué la danse, je suis à l’aise dans le mouvement. » Et sa voix, donc ! Une voix qui contient tous les possibles, chaude, un peu rauque, profonde, jouant de ses nuances comme d’une palette de couleurs. Elle ose même imiter celle de Delphine Seyrig, une gageure ! Et se paye le luxe de se faire critiquer par son idole, ce qui fait redoubler les rires. Elle adopte le phrasé, la voix légèrement tendue dans le souffle, faisant passer le charme hypnotique de l’enchanteresse.
Delphine Seyrig comme modèle
Connait-elle tout de D.S. ? « Oui, j’ai tout vu, ses films, ses documentaires, j’ai écouté toutes ses interviews. » Et pourtant dans son spectacle, ni Marienbad ou India song, ni Fée Lilas, ni Jeanne Dielman, il n’y aura qu’une seule scène convoquée : la fameuse, celle de la belle Fabienne Tabard face à Antoine Doinel dans Baisers volés, lorsque celle-ci arrive, dans la chambre de bonne et qu’elle apparaît aux yeux stupéfaits d’Antoine : « je ne suis pas une apparition, Antoine, je suis une femme ». « Eh bien voilà, dit Raphaëlle Rousseau, tout est là, tout est dit pour moi. Delphine Seyrig a défendu toute sa vie une idée de l’actrice qui correspond à ce que je veux, moi : je veux avoir une identité comme actrice. Pour cette scène, pour en trouver la justesse, elle a monté et descendu plusieurs fois les escaliers pour arriver essoufflée… »
Un début de carrière plein de belles promesses
Au cours de sa troisième année de formation à l’école du TNB, elle joue déjà dans Nos parents de Mohamed El-Khatib, qui continue à tourner toute la saison, et dans Dreamers, une pièce écrite pour les jeunes acteurs par Pascal Rambert. Son amie Suzanne de Baecque lui demande de jouer avec elle dans Tenir debout, un spectacle immersif chez les miss. Et Arthur Nauzyciel qui reprend son Malade imaginaire lui a offert… Toinette ! Même pas peur devant un tel Molière ? « Si Arthur avait voulu que je joue Toinette comme on l’attend traditionnellement de cet « emploi », voilà ce qui m’aurait fait peur. Mais j’ai confiance dans sa vision ». On la découvrira aussi bientôt pour son premier rôle au cinéma dans le film de Mathias Gokalp, L’établi, d’après le récit de Robert Linhardt.
À la question : « que vous appris votre spectacle ? », elle répond sans hésitation « qu’au fond, c’est un spectacle sur les fantômes, ceux qui nous hantent, ceux qui nous habitent, intimement. Nous sommes constitués par ces fantômes… ». Elle marque une pause, baisse ses yeux clairs et dit dans un sourire un peu voilé comme sa voix : « c’est cela devenir adulte : ne plus avoir peur de ses fantômes. » Une adulte qui croit aux fantômes, cela ne pouvait pas déplaire à Delphine Seyrig…
Brigitte Hernandez
Discussion avec D.S. de Raphaëlle Rousseau
Salle Christian -Bérard
Athénée – Théâtre Louis-Jouvet
2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet
75009 Paris
jusqu’au 20 novembre 2022. 20h30.
Reprise
jusqu’au 7 octobre 2023 au Théâtre de la Bastille
Tenir debout de Suzanne de Baecque
du 23 au 26 novembre 2022, dans le cadre du Festival TNB 2022, au TNB – Théâtre National de Bretagne
du 30 novembre au 2 décembre 2022 au CDN Orléans / Centre-Val de Loire
le 7 mars 2023 au Théâtre Angoulême, Scène Nationale
les 17 et 18 mars 2023 au Méta, CDN de Poitiers Nouvelle-Aquitaine
le 20 mars 2023 au NEST – CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est
Crédit Portrait © Coline Gascon
Crédit photos © India Lange