Au T2G, le metteur en scène et directeur des lieux se frotte, avec la complicité de Mammar Benranou et la collaboration du Shizuoka Performing Arts Center, à la dernière pièce d’Anton Tchekhov et invite à une fin du monde japonisante, où les rires cachent les drames, les jeux suspendus le refus d’entrer dans des temps révolutionnaires et nouveaux.
Dans un ciel d’un bleu lumineux, des nuages dansent. Un oiseau noir, de temps à temps, rompt l’harmonie. Est-il annonciateur d’une arrivée prochaine, d’un mauvais présage ? Un peu des deux. Au cœur de la fameuse Cerisaie qui sert de cadre à l’ultime comédie du dramaturge russe, le retour forcé de la très belle, très aristocratique et très dépensière Lioubov (Haruyo Hayama), propriétaire des lieux, est attendu avec une certaine allégresse. Les caisses sont vides, les dettes abyssales. Le domaine, végétant depuis longtemps, ne rapporte plus rien. Si aucune solution n’est trouvée, tout sera vendu aux enchères dans quelques mois.
Pour sa quatrième collaboration avec la troupe du Shizuoka Performing Arts Center, dirigée depuis 2007 par Satoshi Miyagi, Daniel Jeanneteau a imaginé une distribution mixte où comédiens français et japonais se répartissent les rôles. Lopakhine (Philippe Smith) vient d’occident, Lioubov d’orient. S’attachant à rendre fluide le changement de langue, les ruptures de style, le metteur en scène ancre sa Cerisaie à la croisée des deux cultures, dans un espace esthétisant où tout ralenti, où toute velléité de révolte, de modernisme est refrénée. Le fatalisme s’installe. La fin est proche. Rien ne peut l’enrayer. Surtout pas Lioubov, qui considère la proposition de son ancien serf de construire des datchas pour les estivants, en lieu et place de la maison de son enfance et de sa chère cerisaie, d’une vulgarité des plus triviales. Il n’y a plus qu’à attendre, laissé l’ennui s’instiller par tous les pores, la mélancolie gagner les cœurs, la nostalgie pendre en bandoulière.
Empruntant au théâtre de No lenteur et épure, à la culture manga tenues bigarrées, pantomimes et grimaces, au théâtre français contemporain non-jeu et décor faussement dépouillé, Daniel Jeanneteau, à la mise en scène, et Mammar Benranou, à la vidéo, signent un spectacle lancinant, crépusculaire et très plastique, moderne dans la forme, intemporel dans le fond. Le geste est beau, clairement, mais terriblement lent.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Cerisaie桜の園 d’Anton Tchekhov
T2G
41, avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
Jusqu’au 28 novembre 2022
Durée 2h20
Tournée
Traductions d’André Markowicz et Françoise Morvan (pour le texte français), Noriko Adachi (pour le texte japonais)
Conception et mise en scène de Daniel Jeanneteau, Mammar Benranou
Avec Kazunori Abe, Solène Arbel, Axel Bogousslavsky/Stéphanie Béghain*, Yuya Daidomumon, Aurélien Estager, Haruyo Hayama, Yukio Kato, Katsuhiko Konagaya, Nathalie Kousnetzoff, Yoneji Ouchi, Philippe Smith, Sayaka Watanabe, Miyuki Yamamoto
Scénographie de Daniel Jeanneteau
Création lumières de Juliette Besançon
Création son d’Isabelle Surel
Création vidéo de Mammar Benranou
Composition musicale de Hiroko Tanakawa
Costumes d’Yumiko Komai
rojet organisé par le T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National ; la Fondation du Japon 15
*Axel Bogousslavsky ne pouvant assurer les représentations à Gennevilliers, le rôle de Firs est confié à Stéphanie Béghain.
« Crédit photos © Jean Louis Hernandez«